Critique

Sarah, Susanne et l’écrivain, d’Éric Reinhardt : les intimités partagées

17 août 2023
Par Thomas Louis
Eric Reinhardt est de retour dans les librairies avec “Sarah, Susanne et l'écrivain”.
Eric Reinhardt est de retour dans les librairies avec “Sarah, Susanne et l'écrivain”. ©Francesca Mantovani

[Rentrée littéraire 2023] Après Comédies françaises, Éric Reinhardt revient avec Sarah, Susanne et l’écrivain, un livre dans lequel il sonde l’intimité dans ce qu’elle a de plus romanesque.

Ça commence par un titre. Brûlant, énigmatique, tentant : Sarah, Susanne et l’écrivain (Gallimard). Rien que ça. On imagine un trio flamboyant, une histoire, pourquoi pas, de triangle amoureux. D’amitié. De confidences. On y est presque.

Un livre à plusieurs voix

Si on ne lit pas le résumé de Sarah, Susanne et l’écrivain, on entame la lecture face à un dialogue dont seul le titre du roman nous indique la portée. Sarah échange avec quelqu’un – le fameux écrivain – à propos d’une certaine Susanne Stadler, qui deviendra plus tard Susanne Sonneur.

Très vite, on réalise que Susanne sera le personnage qui incarnera Sarah. En se plongeant dans l’échange d’ouverture, où il est question de la couleur de ses cheveux, de sa ville, de sa famille, la brume laisse place aux éclaircissements. À force de confidences, la vie de Sarah sera celle de Susanne, Susanne sera Sarah, et l’écrivain chapeautera l’ensemble. Un roman est né.

« Sarah lui demanda comment il imaginait Susanne Stadler, puisque c’était le nom qu’il lui avait choisi. Qui est cette femme, finalement ? lui demanda-t-elle. »

Éric Reinhardt
Sarah, Susanne et l’écrivain

C’est donc d’abord ça. Ici, Éric Reinhardt questionne simplement le rapport entre la réalité et la fiction. Il construit quelques briques mentales et déploie l’intrigue avec ces briques en tête, pendant plus de 400 pages finement construites. Et la ponctuation a ici un rôle majeur. Car d’une voix à l’autre, aucun changement radical à la lecture. Seuls des sauts de ligne étrangement limpides réussissent à ne pas nous perdre. Le dialogue peut continuer.

Un personnage kaléidoscopique

Lorsque ce rapport entre fiction et réalité est fermement installé dans notre esprit, les personnages libèrent leur potentiel. Sarah est une femme mariée depuis plus de 20 ans, quarantenaire bretonne, deux enfants, architecte. Rien à signaler. Tout semble aller pour le mieux. Mais, bien sûr, on ne s’arrêtera pas là. En réalité, Sarah n’est pas pleinement épanouie. Son mari l’aime moins, c’est ce qu’elle pense, c’est ce qu’elle vit. Chaque soir, il s’isole et la laisse face à ce qu’il reste de leur amour.

Alors que faire ? Le déclic arrive lorsque Sarah réalise qu’elle ne détient en réalité que 25 % de la maison qu’elle habite avec son mari – les trois autres quarts lui revenant. Alors, Sarah part. Sarah prouve qu’il n’a pas tout gagné. Il a la maison, mais il n’a pas tout son cœur. Sarah s’en va. Elle loue une petite maison pour quelques temps, quelques semaines, quelques mois. Mais face à cette annonce, son mari est aux abonnés absents. Lui aussi est parti.

Éric Reinhardt. ©Francesca Mantovani

Être à sa place

Sarah, Susanne et l’écrivain pourrait donc être un livre sur l’amour. Il l’est, sur l’amour qui s’installe, sur l’amour qui dure, sur l’amour flottant et sur l’amour décevant, enfin. Sur l’amour qui, année après année, nous fait sentir ailleurs qu’à notre place.

Ce sentiment de malaise permanent est commun au personnage de Susanne. Si Sarah et elles ne sont pas similaires en tous points, l’écrivain a ceci pour lui qu’il a réussi à calquer les grands axes de la vie de Sarah « dans » Susanne. Dans ce jeu de miroirs, la création a une place non négligeable. Sarah est également artiste, tandis que Susanne, passionnée par la pratique de l’écriture, jettera son dévolu sur un tableau singulier, qui la nourrira autant que l’écrivain se nourrira de la vie de Sarah pour continuer.

L’écrivain, buvard public

L’écrivain est ici un créateur, mais aussi un réceptacle à confidences. C’est d’ailleurs à partir de la lettre d’une « vraie » lectrice qu’Éric Reinhardt a décidé d’entamer Sarah, Susanne et l’écrivain. Une intimité proposée, qu’il travaille ici plus que jamais. Même s’il semblait que L’Amour et les Forêts (Gallimard, 2016) – roman récemment adapté au cinéma par Valérie Donzelli et présenté au Festival de Cannes – avait déjà cette couleur, ce nouveau livre sonde jusqu’à la moelle ce qui se passe derrière les portes closes.

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Une fois le livre refermé, on revient aux premières pages, et l’on commence à se dire que choisir l’exergue d’un livre n’est résolument pas anecdotique lorsqu’on lit celui qu’Éric Reinhardt a choisi ici : « Que ce soit les sentiments qui amènent les événements. Non l’inverse. (Robert Bresson, Notes sur le cinématographe) ».

Sarah, Susanne et l’écrivain, d’Éric Reinhardt, Gallimard, 432 p., publié le 17 août 2023.

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