Avec son Éloge de la plage, Grégory Le Floch nous offre une plongée passionnante dans le lieu emblématique de l’été. À cette occasion, L’Éclaireur a rencontré le romancier.
Comment ce projet surprenant est-il né ?
Je me suis rendu compte que j’avais une pratique particulière de la plage, tout simplement parce que c’est le lieu où j’écris. Au départ, j’imaginais un livre qui explorait toutes les plages de ma vie, qui expliquait mon rapport à chacune et racontait ce que j’y faisais. C’est Émilie Colombani de chez Rivages qui m’a suggéré l’idée d’un éloge. C’était la forme idéale, qui me permettait de sortir du texte centré sur moi-même. C’était un point de départ pour explorer plusieurs autres aspects de la plage.
Comment définiriez-vous le lien qui vous unit à ce lieu ?
Enfant, j’étais un enfant de la plage, je suis né en Normandie au bord de l’eau, mais c’est vraiment quand j’ai commencé à écrire sur le sujet que ce lieu s’est révélé à mes yeux. Je me suis mis en tête de trouver les meilleures plages pour écrire, à organiser mon temps d’écriture en rapport à cela. Ce lieu est lié à ma destinée littéraire. Je ne retourne pas forcément sur les mêmes, je teste ma plume dans différents environnements. Je pars dix jours dans les Pyrénées pour découvrir un autre type de plage, des plages de lacs d’altitude. Je n’en parle pas dans le livre, mais il en existe indépendamment de la mer. Quel effet ce lieu aura-t-il sur mon écriture ?
Comment se déroule l’écriture sur la plage ?
J’écris à la main dans un cahier donc ça me donne une grande liberté. Je l’ai avec moi en permanence, donc je peux tester l’écriture partout. Lors de vacances en Calabre en 2016, je me suis allongé sur une plage et j’ai écrit. J’ai senti tout de suite que ça me correspondait. Le vent, les vagues qui font comme un effet tambour, le soleil qui enivre… Ça me mettait dans un état proche de la transe, comme un rituel chamanique.
Je ne me drogue pas, mais ça me faisait le même effet ; ça mettait mon esprit dans les bonnes conditions pour écrire. Sur la plage, il y a une vacance de l’esprit, on se vide de ce qui n’est pas essentiel pour laisser place à des images, des couleurs, tout un univers qui va se projeter sur le paysage. Depuis, les premiers jets sont forcément écrits sur une plage, peu importe la saison. Une fois à Paris, je prends tous mes cahiers qui sont pleins de sables, qui ont l’odeur de la mer et des maillots mouillés, et je retravaille.
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Aimez-vous vous plonger dans les œuvres, les films, les livres qui abordent le sujet de la plage ?
Ces œuvres m’attirent, et en même temps, j’ai toujours peur qu’elles soient trop clichées, sur les amours à la plage, les émois adolescents… Pour que ce soit bien fait, il faut qu’elles racontent la plage dans sa complexité. Elle n’est pas du tout un monde joyeux, léger. On est face à des entités qui nous dépassent. Dieu, la mort, les éléments.
Quelle est selon vous la plus belle œuvre consacrée à la plage ?
À l’ombre des jeunes filles en fleur de Proust. La plage de Balbec où se situe presque l’intégralité du roman, c’est Cabourg, et je connais bien cette plage. Surtout, Proust fait de ce lieu un vrai personnage qui va transformer les autres en nymphes et en hallucinations. Je le relisais la semaine dernière, et on se rend bien compte à travers l’attitude provocante des jeunes filles que l’auteur parle en fait de jeunes garçons. La plage est faite d’illusion, elle crée des mirages.
Votre ouvrage raconte aussi une histoire de la plage ?
L’évolution du rapport que les Hommes ont eu avec la plage est intéressante. De façon inconsciente, la peur du déluge qui les a tenus éloignés des rivages pendant très longtemps. Puis la médecine est entrée dans la danse. Russell, au XVIIIe siècle, est le premier à énoncer que respirer l’air de la mer, boire de l’eau de mer, manger ce qui vient de la mer, a forcément des vertus pour soigner. À partir de là, on transforme la plage en médicament. Et enfin, on entre dans un processus de familiarisation.
On va se rassurer en ramenant des parties de notre maison sur la plage. On le voit bien sur les tableaux de Boudin. On transporte son salon. Le guéridon, les chaises, la gouvernante en uniforme, le service à thé. Ça rappelle les habitudes actuelles du sud de l’Italie qui en font un prolongement de la maison, de la salle à manger notamment. On a même parfois l’impression de petites villes et de ruelles. Aujourd’hui, on a transformé la plage en chambre à coucher. Un lieu de repos, apprivoisé.
Vous prônez également la réhabilitation des plages mal aimées.
Je milite pour qu’on appelle « plage » des surfaces en pente, presque des éboulis qui nous amènent sur la mer. Je suis un ardent défenseur des plages rocheuses, piquantes, inconfortables. Elles sont difficiles d’accès et elles attirent une autre catégorie de personne, des gens seuls qui ont un rapport intense à ce lieu. C’est presque un besoin vital. C’est dans leur être.
Votre livre se conclut sur des inquiétudes écologiques, craignez-vous pour l’avenir des plages ?
Il suffit de regarder les cartes interactives sur Internet et de déplacer le curseur sur 2050, 2070 et vous voyez bien que les plages sont vouées à disparaître. Elles disparaîtront d’abord en Catalogne puisque là-bas, on parle de tsunami au ralenti. Puis, ce sera l’Italie, la Normandie…
Peut-être que dans le futur, les historiens appelleront les quatre siècles où nous nous sommes baignés, l’ère de la plage. Avec un début au premier bain de mer de la Duchesse du Berry en 1824 et une fin dans 50 ans, ou 100 ans. On a créé les plages et on est en train de les tuer. C’est un moment de l’histoire humaine.
Quelle serait pour vous la plus belle plage du monde ?
Je suis un chasseur de plage, alors la plus belle, c’est celle qui reste à découvrir. J’aimerais beaucoup aller au Groenland, par exemple. J’ai rencontré une autrice groenlandaise, Niviaq Korneliussen, qui m’a parlé des plages de son pays. Elles ont l’air extraordinaires. Elles sont d’une autre espèce, qu’il faut avoir vue dans sa vie.