Le quatrième roman de Denis Michelis est aussi corrosif que ses précédents. Dans Encore une journée divine, véritable farce tragique aux allures de roman policier, l’auteur s’affronte à la menace du populisme et aux dangers de la simplification de la pensée.
Alors qu’il consacrait La Chance que tu as (Stock, 2014) et Le Bon Fils (Noir sur Blanc, 2016) aux tourments de l’adolescence aux prises avec les études, le monde du travail et la famille, État d’ivresse (Noir sur Blanc, 2019) sondait la conscience tourmentée et malhonnête d’une mère célibataire engoncée dans un alcoolisme incontrôlable. Dans Encore une journée divine, Denis Michelis nous entraîne au chevet de Robert. Robert est psychologue ; il a réussi sa vie – puisqu’il la gagne bien. Il a soigné des centaines de patients, il a écrit des dizaines d’ouvrages théoriques. Et puis, tout a basculé : il est maintenant interné dans un hôpital psychiatrique. Et son inépuisable verve se déverse désormais sur le Docteur et Madame l’Infirmière qui lui rendent visite tous les jours. D’abord intrigant, Robert devient vite inquiétant, alors qu’il se révèle peu à peu être tout le contraire de ce qu’il dit être.
Un psychologue aussi dérangé que dérangeant
Aux prises avec les difficultés de tout un chacun, Robert se rêve gourou. Il a trouvé – il dit avoir trouvé, du moins – la méthode infaillible, la solution simple et implacable aux tracas de tous. Cette méthode, il l’expose dans le livre qu’il a écrit, Changer le monde, dont il ne cesse de vanter la simplissime justesse. Ce que Robert s’emploie en réalité à faire, c’est à refuser, quoi qu’il en coûte, la complexité du monde et de la pensée. Il refuse la nuance, la littérature et la poésie – et serait prêt à refuser le langage, s’il n’y était pas tout entier suspendu. Par ce personnage troublant, Denis Michelis s’affronte aux ambiguïtés contemporaines avec une rare honnêteté. Il s’essaye aussi à une forme littéraire originale et difficile, celle du monologue adressé.
Loin du roman à thèse et des discours théoriques, l’intrigue n’est pas en reste dans Encore une journée divine. Le dispositif narratif – on a presque envie de dire « scénique » – est fort et signifiant : le psychologue se retrouve à la place du patient, immobilisé sur son lit de malade. Entre attirance et dégoût pour le personnage de Robert, on se prend bien vite au jeu du thriller psychologique qui s’est mis en place sous nos yeux. Quel acte Robert a-t-il commis pour se retrouver interné à l’hôpital ?
Un texte habile, porté par Camus
Aux prises avec des questionnements et des inquiétudes contemporaines, le roman de Denis Michelis est aussi porté par des références classiques. On reconnaît dans Encore une journée divine l’exploit formel qui portait La Chute de Camus (Gallimard, 1956) : le monologue adressé. Loin de la coquetterie formelle, cette mise en œuvre théâtrale de la narration soutient le personnage principal dans sa logorrhée – elle s’impose comme le seul moyen de rendre justice à ses digressions et à sa langue ampoulée. Et, comme pour confirmer ce qu’Encore une journée divine doit à Camus, un autre personnage de l’auteur – Meursault, de L’Étranger (Gallimard, 1942) – traverse brièvement le récit. Juste le temps pour Robert de mettre sa bonne foi en doute :
« C’était une belle après-midi ensoleillée, le moment idéal, m’étais-je dit en mon for intérieur, pour échanger quelques douceur avec Windy. Pour la rejoindre, j’avais roulé à toute berzingue dans ma petite décapotable sous le cagnard de la fin de l’été. Allez savoir pourquoi j’ai commis une telle erreur de débutant… Je vous rappelle que d’autres ont tué, soi-disant éblouis par le soleil. »
Denis Michelis, Encore une journée divine, Les éditions Noir sur Blanc, collection « Notabilia », août 2021, 208 p., 16€.