Critique

Paranoïa, Angels, True love : la renaissance mystique et lumineuse de Christine and the Queens

08 juin 2023
Par Benoît Gaboriaud
Christine and the Queens.
Christine and the Queens. ©Melanie Lemahieu/Shutterstock

À la manière de Björk ou Lana Del Rey, deux stars vouées aux tubes commerciaux, mais parties vers d’autres contrées, Christine and the Queens s’aventure au fil du temps sur des terres moins accessibles, mais passionnantes. Preuve en est avec ce quatrième album Paranoïa, Angels, True love : un triptyque conceptuel et ambitieux.

Certains artistes passent leur carrière à surfer sur un ou deux succès, tentant de le décliner à l’infini avec plus ou moins d’inspiration et de talent. D’autres, plus audacieux et probablement plus passionnés, comme Christine and The Queens, expérimentent et tissent de disque en disque un projet artistique global et évolutif.

En 2018, Héloïse Adélaïde Letissier, de son vrai nom, se réincarne en Chris (influencé par Michael Jackson), puis en Redcar en 2022 pour raconter sa transition touchante à travers un album pensé pour une poignée de spectacles baptisés Redcar les adorables étoiles. Depuis toujours, Christine and the Queens se cherche une identité. N’est-ce pas le propre d’un·e artiste ? Désormais, le choix est fait : c’est Chris, au masculin (aka Christine and the Queens). 

Un projet atmosphérique

Cela marque-t-il un retour aux sources de la musique de ses débuts ? Ne tournons pas autour du pot, la réponse est non. Paranoïa, Angels, True love est le prolongement de Redcar les adorables étoiles, inspiré de la pièce culte de Tony Kushner, Angels in America, dans laquelle Prior, le héros, navigue dans la folie de ses rêves. À son image, Chris, entre chimère et réalité, évolue de personnage en personnage pour mieux appréhender le monde. Dans cette suite, il explore son rapport au manque – celui de l’être aimé ou de sa mère disparue tragiquement. Sur le papier, le concept intimiste est assez complexe et fait un peu peur, mais, finalement, le projet apparaîtra captivant pour celui qui se montrera curieux et patient. Tout a du sens.

Christine and the Queens.©Paolo Roversi

Madonna complice en figure maternelle dominatrice

Impressionnée par Chaleur humaine, premier ovni musical de Chris paru en 2014, Madonna invitait l’auteur-compositeur-interprète sur scène pour lui claquer les fesses sur le Rebel Heart Tour. Aujourd’hui, il lui rend la pareille ou presque, en lui offrant trois featurings, Lick the Light Out, Angels Crying in my Bed et I Met an Angel : trois clins d’œil teintés d’ironie, vu le rapport ambigu qu’entretient la Queen de la pop avec la religion. Telle une figure maternelle et dominatrice, Madonna y incarne des textes, mais a laissé ses boules à facettes au placard. Sur le plan musical, sa présence reste anecdotique et apparaît davantage comme un soutien spirituel que comme une envie de faire danser les foules. 

Christine and the Queens, Tears Can Be so Soft.

De Pachelbel à Marvin Gaye, l’art du sample

Assez difficile d’accès, Paranoïa, Angels, True love ne contient aucun tube formaté pour les bandes FM, mais, après plusieurs écoutes, certains titres se révèlent envoûtants, voire entêtants. En ce sens, A Day in the Water, avec ses beats bruts et ses arrangements électro minimalistes, est le titre qui se rapproche le plus de son succès Saint Claude. À l’exception aussi d’Aimer, puis vivre, et Marvin descendant, les 17 autres chansons, davantage atmosphériques, s’en détachent. Ce nouvel opus nécessite donc une écoute toute particulière.

Chris nous y prépare via l’Overture de la première partie Paranoïa, en adressant à l’auditeur ces mots en forme d’annonce divine : « Bienvenue dans la lumière. » Une lumière omniprésente et purificatrice dans un environnement sonore chaotique constitué de guitares lancinantes et de sons saturés, mais aussi de chœurs angéliques et de cordes, dont une des partitions n’est pas inconnue. Chris s’empare à merveille du Canon de Pachelbel (1680) pour en faire le fond sonore du sublime et angélique, Full of life.

Christine and the Queens, True Love (feat. 070 Shake)

Le procédé n’est pas nouveau. Adepte des dissonances et des mélanges curieux, le compositeur bidouille depuis toujours des samples, avec fantaisie et maestria. Pour l’occasion, en collaboration avec son producteur, Mike Dean, il a jeté son dévolu sur un sample issu de Feel my Love Inside de Marvin Gaye pour composer Tears Can Be so Soft, puis sur un autre, extrait de Lucky Man du groupe Emerson Lake & Palmer, pour clôturer sa première partie. Ces références risquent de passer inaperçues, mais méritent d’être soulignées, car elles montrent bien que l’artiste, dans une démarche textuelle résolument intimiste et axée sur la solitude, ne se renferme pas sur lui-même. Au contraire, sur le plan musical, il laisse la porte ouverte à toutes les opportunités.

Un casting hors pair

Madonna, Mike Dean, 070 Shake… Le casting de Paranoïa, Angels, True love est sans fin, mais reste cohérent. Sous la houlette de Chris, chacun y tient son rôle et participe à rendre palpable l’atmosphère double du projet : sombre et angélique. Magnifique clair-obscur, l’album évoque une renaissance mystique, à écouter comme on regarde un bon film. Nous avons hâte de savoir comment Chris va lui donner vie sur scène. La tournée vient de débuter et se poursuivra jusqu’en novembre 2023 après un passage de l’artiste par le festival Rock en Seine.

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Paranoïa, Angels, True love, le nouvel album de Christine and the Queens, disponible le 9 juin 2023. Actuellement en tournée.

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