Entretien

Antoinette Colin : “La quête du stand-up, c’est la quête de l’authenticité et de la singularité”

05 juin 2023
Par Lisa Muratore
Antoinette Colin.
Antoinette Colin. ©DR

À l’occasion de la huitième édition du Festival de l’humour de Paris, L’Éclaireur a rencontré sa programmatrice, Antoinette Colin, pour parler de l’humour en 2023, du travail autour du sketch, ou encore des qualités d’un bon humoriste.

« Lassée du Point Virgule fait l’Olympia », comme elle l’explique avec beaucoup humour et d’ironie au début de notre rencontre, Antoinette Colin a voulu se lancer un nouveau défi en reprenant cette année la programmation du Festival de l’humour de Paris 2023. Du 7 au 11 juin, au cœur du Théâtre Bobino, plus de 60 artistes et humoristes vont se succéder sur scène, fruit d’une programmation éclectique, triée sur le volet par la directrice du Point Virgule.

Affiche du Festival de l’humour de Paris 2023.

À l’occasion du lancement de la huitième édition du festival, L’Éclaireur s’est entretenu avec Antoinette Colin afin de discuter de l’événement, mais aussi plus globalement de sa vision du milieu artistique et humoriste en 2023.

En quoi le challenge du Festival de l’humour est-il différent du Point Virgule fait l’Olympia ? 

L’Olympia, malgré le fait que ce soit 2 000 personnes, ça ne dure qu’un soir. Avec le Festival de l’humour, on est sur plusieurs soirs à 800 places, avec 60 artistes sur six plateaux, car il n’y a pas une programmation identique chaque soir. J’ai voulu m’appuyer sur des artistes que j’affectionne particulièrement comme La Bajon, Booder ou Karim Duval.

Le Festival de l’humour laisse carte blanche à La Bajon le 7 juin. ©FUP/Jean-Marc Dumontet

Le challenge, finalement – et ça résume parfaitement l’idée du festival –, ça été d’allier toutes les générations, de La Bajon à Jérémy Nadeau, en passant par Blandine Lehout et Waly Dia. Ça crée des étincelles, c’est artistique et ludique. Il y a une écriture très théâtrale par des sketchs, des situations, des personnages. Il y a aussi évidemment cette approche du stand-up. C’est un mariage de toutes les écritures, de toutes les rencontres, et des dynamiques de jeu. C’est très jubilatoire à monter.

Votre rôle semble proche de celui d’une metteuse en scène. 

Disons que je fais en sorte que les thématiques soient complémentaires. Je coordonne artistiquement, mais je ne peux pas parler de mise en scène, parce que dans ce genre d’événement, la mise en scène est simple. Ce n’est pas Starmania, restons humbles [rires].

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En revanche, l’exigence est dans la proposition artistique, dans les thèmes et les écritures. J’ai un droit de regard dans le sens où je soumets des idées et je réfléchis à une harmonie générale. 

Vous êtes aujourd’hui la programmatrice artistique du Point Virgule. Comment êtes-vous entrée dans cette salle emblématique de Paris ?

Tout s’est fait par hasard, je dois avouer. Je cherchais un travail pour financer mes études de théâtre. Un jour, je passe devant le Point Virgule, et j’ai la chance ce jour-là de tomber sur la directrice du théâtre. Elle remplaçait la jeune fille qui s’occupait de la billetterie, partie en pause. Je lui explique alors que je cherche un petit boulot. C’était une femme très impressionnante, qui ne m’a pas crié dessus, mais qui m’a dit : Ici, il n’y a que des boulots, ici on bosse ! Elle m’est rentrée dedans, mais je lui ai répondu que je voulais travailler. 

« Pour savoir ce qu’on a à raconter sur un plateau, il faut se nourrir de la vie, et aller au-delà de sa vie. C’est s’alimenter de toutes les formes d’art et avoir la curiosité de se surprendre. »

Antoinette Colin

Ça, c’était un mardi. J’ai eu un entretien le jeudi et j’ai démarré le lundi suivant au Point Virgule. Il y avait essentiellement des seuls en scène et du stand-up. Les premiers qui m’ont accueillie les bras ouverts, ça a été Jean-Marie Bigard et Florence Foresti. Il faut aussi souligner que tous ceux qui travaillent au Point Virgule sont des passionnés. Ce sont des gens qui ont une vraie appétence pour le spectacle. Moi-même, j’étais chanteuse lyrique à l’opéra et je suis passée par les Cours Florent. J’ai aussi monté ma compagnie de chansons, j’ai composé mes chansons, j’ai été sur les routes… Je ne me destinais pas forcément à l’humour.

Comment s’est construite votre passion pour l’humour ? 

L’appétence que j’ai pour l’humour et la légitimité, si je puis dire, que je pense avoir en programmant, viennent du fait que j’ai pris connaissance du plateau. Je sais ce que c’est que d’être sur scène. Certes, le one-man-show, c’est une forme que je n’ai pas vécue, mais je connais l’échéance d’un plateau, l’état dans lequel ça vous met. J’ai des clés qui m’autorisent à accompagner et avoir mon libre arbitre sur la programmation que je monte. 

Il y a aussi tout un relais théâtral. Il y a une phrase qui, encore maintenant, résonne énormément pour moi. C’est l’idée d’avoir la culture de son métier. Ça veut dire que le stand-up, ce n’est pas chasse gardée. Pour savoir ce qu’on a à raconter sur un plateau, il faut se nourrir de la vie et aller au-delà de sa vie. C’est s’alimenter de toutes les formes d’art et avoir la curiosité de se surprendre. 

C’est quoi l’humour, en 2023 ? 

C’est vraiment un humour très pluriel. Je reste convaincue qu’on peut rire de tout, si l’objectif premier est de rester dans le rire et pas dans une tribune politique. Parfois, je pense que l’on est dans une société dans laquelle ça peut arranger de dire que l’on ne peut pas rire de tout, parce qu’on ne sait pas le faire.

« Sarah Bernhardt, c’est quand même l’inventrice du one-man-show. »

Antoinette Colin

On a la chance d’être dans une société où l’humour reste pluriel. Après, il faut trouver sa niche et travailler de sorte à ce que cette niche devienne large. L’exigence initiale, c’est d’être en quête de sa singularité et de créer sa famille, c’est ça l’humour. 

Qu’est-ce qu’il faut pour devenir un bon humoriste ? 

Je dirais qu’il faut savoir s’entourer ; même les génies de l’humour doivent s’entourer. Quand je suis arrivée en 1995 au Point Virgule, l’exemple du génie, c’était Pierre Palmade. C’était un auteur exceptionnel. Il a apporté énormément à l’humour, parce qu’il avait un instinct du détail et un instinct des situations. Il donnait corps à l’humeur de ses personnages ; il créait une tension. Je pense aussi à Alex Lutz plus récemment. Mais, malgré leur génie, ce sont des gens qui ont su s’entourer.

Trop d’artistes sont convaincus qu’ils vont y arriver seuls, sauf qu’on ne fait pas une carrière tout seul. On est dans une période où c’est presque honteux d’avoir un co-auteur ; certains artistes vont se cacher, alors qu’au final, tous les grands humoristes ont eu à un moment besoin de se faire accompagner. L’autre enjeu, c’est l’exercice de l’écriture. Il faut que les idées viennent de l’artiste ; que l’ADN soit respecté. La quête du stand-up, c’est la quête de l’authenticité et de la singularité.

Quel regard posez-vous sur l’évolution du stand-up aujourd’hui ? 

L’humour est un art très populaire. L’idée du divertissement, que ça soit par la télévision, le cinéma, ou le théâtre, est toujours passée par l’humour. Je pense à Fernandel et Louis de Funès, mais, avant, on a eu Sarah Bernhardt ; c’est quand même l’inventrice du one-man-show ! Aujourd’hui, on a de plus en plus de comedy clubs ; ça prouve que les gens ont vraiment besoin de rire. Ça a explosé et, à l’époque, plusieurs théâtres s’en inquiétaient. Moi, ça ne m’a jamais inquiétée, car nous sommes complémentaires. Le nombre d’artistes a également explosé depuis la pandémie, donc il faut bien qu’ils se rôdent, et le comedy club sert de ring d’entraînement. 

Quel a été l’impact des réseaux sociaux sur la culture du stand-up, selon vous ? 

À une période, on a eu énormément d’artistes qui venaient du Web. Ils faisaient de l’humour de chambre, puis ils sont sortis de leur salon ; comme Norman, par exemple. Mais ce n’est pas le même métier : monter sur scène, raconter pendant une heure son univers, tenir en haleine un public… Ce n’est pas la même chose que de parler devant sa caméra. L’exigence n’est pas la même. 

Vidéo d’Inés Reg « C’est quand que tu vas mettre des pailletas dans ma vie Kevin ? »

Je reste convaincue que c’est une chance d’avoir le Web, mais ça reste un moyen de collaborer. C’est un accélérateur quand un artiste sait bien s’en servir. Il va trouver la pastille qui va susciter l’intérêt. Je pense à Inès Reg qui a fait un carton avec son Kevin et ses paillettes. Cette vidéo a été un déclencheur, mais il y a un énorme travail en amont. C’est une artiste à part entière. Les gens pensent que c’est une artiste du Web, alors que c’est une artiste de plateau.

Quelle vision avez-vous des femmes dans le stand-up aujourd’hui ? 

Évidemment, il y a eu une grande période où on n’avait pas assez de femmes dans le stand-up. Aujourd’hui, il y a un éclectisme de femmes très riche. Depuis plusieurs années, on a enfin plus de choix sur une même génération, là où avant, notamment après l’explosion de Blanche Gardin, on a eu tendance à avoir une armée de mini-Blanche. Aujourd’hui, on a Blandine Lehout, Nash, Karine Dubernet…

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Pour le coup, le Web autorise le pluralisme de toutes les écritures, de tous les styles de jeu. Je trouve aussi que la société grandit parce que les femmes n’ont plus à revendiquer le fait d’être une femme. Elles passent par leur thème, leur écriture et leur jeu. Elles ne s’excusent pas d’être femme, elles ne demandent pas d’indulgence. Il y a plus d’aplomb dans cette génération. On est sorti de cette période très girly et de cette période femmes-enfants. On a beaucoup de personnalités diverses. 

Comment faut-il travailler pour avoir un bon sketch ?  

Selon moi, c’est en lien avec le théâtre. Je me suis formée au théâtre et j’ai travaillé sur toute la méthode Stanislavski ; la méthode de l’acteur, le travail du corps et de la voix. Quand je fais des auditions et que je débriefe avec les artistes, je ne vais pas être que sur la punchline. Je vais être sur le travail de comédien, car dès qu’un artiste maîtrise sa singularité, c’est comme un instrument qui est bien accordé. Un bon sketch, c’est une musique. 

« L’humour est là pour nous enlever nos petites œillères. »

Antoinette Colin

Ma façon à moi de grandir dans ce métier, ça a été un peu ce parallèle avec la musique, que je connaissais mieux. Chaque grand artiste a sa musique. Éli Kakou avait l’attaché de presse ; Bigard avait le sketch du restaurant. Ils ont tous une signature musicale et, une fois trouvée, cela fonde un bon sketch. J’adore travailler un sketch dans cette direction-là, car ça exige une rigueur. L’humour dans le travail, ce n’est pas très drôle parfois !

Pourquoi l’humour est-il aussi difficile à travailler ? 

Je ne sais plus qui a dit “L’humour est sérieux”. Il faut être dans la quête d’efficacité qui réside dans l’écriture, mais ce n’est pas seulement cela. Au Point Virgule, il m’arrive d’avoir en auditions d’excellents comédiens qui ne sont cependant pas faits pour le one-man-show. Ils arrivent avec quelque chose de trop propre, alors je leur dis “maintenant, il faut se salir” [rires]. C’est comme un bijou brut, il faut le façonner. Parfois, on va renoncer à une partie pour la réintégrer à une autre structure à un autre moment du sketch. Parfois, il faut tout casser pour mieux bâtir.

Quelles sont vos pépites humoristiques ?

Le premier à qui je pense, car nous avons un grand vécu ensemble, c’est Ben, qui a 15 ans de métier. L’intelligence de l’artiste et de ce spectacle, c’est qu’il a l’expérience du métier, l’observation du monde et une modernité de ton. On dit souvent que le stand-up est un milieu qui est frappé de jeunisme. Ce n’est pas faux, et en même temps, il y a toujours l’exception qui confirme la règle. Ben a réinventé une forme de stand-up avec sa singularité. C’est une claque, il fait un travail exemplaire.

L’humoriste Ben.

Après, dans la nouvelle génération, je pense à Blandine Lehout, qui vient du théâtre, de l’improvisation, du Web et qui est en train d’accoucher de son spectacle. Elle joue à guichet fermé, mais elle est encore en plein doute. Elle arrive à offrir un spectacle très efficace avec une singularité forte. Elle a une telle empathie et elle est d’une chaleur incroyable. 

Je pense aussi à Alexis Tramoni, car c’est du trash. C’est de l’insupportable, mais c’est irrésistible. Justement, ça rejoint la question “Peut-on rire de tout ?”. J’ai envie de dire : si c’est Alexis Tramoni, bien sûr. Il défonce les portes avec sa pugnacité et avec cette jubilation, il embarque la salle. Âme sensible, le savoir, mais ne pas s’abstenir !

Justement, est-ce que l’humour est fait pour déranger ? 

Il faut déranger dans le bon sens du terme. L’humour est là pour nous enlever de nos petites œillères vis-à-vis de ce qui doit ou ne doit pas se dire. Ayons le choix pour faire nos choix. Je pense que c’est très important. Plus on en a sur la table, plus on a envie de déguster. Il en faut pour tout le monde. Il faut vraiment foutre la paix à l’artiste. Quand j’ai démarré, il y avait dans le métier Laurent Violet et il était très provocateur, mais c’était aussi un jouisseur de la scène. J’ai vu des gens sortir de la salle offusqués. J’étais étonnée par son aplomb. On n’est pas là pour faire sortir les gens [rires], mais l’humour, on aime ou on déteste. 

Le Festival de l’humour de Paris, du 7 au 11 juin au Théâtre Bobino.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste