« La littérature, pour mettre le désordre là où l’ordre s’installe. » Écris à la main sur la page d’accueil du site des éditions P.O.L, les mots de Paul Otchakovsky Laurens sonnent comme une passionnante philosophie littéraire que la maison applique depuis quarante ans.
Indissociable de son créateur auquel elle emprunte ses initiales, P.O.L est une maison à part dans le paysage littéraire français, une maison audacieuse, qui interroge les codes de la littérature contemporaine et contribue à révéler certains des plus grands talents du roman hexagonal. Successeur de Paul Otchakovsky Laurens à la tête des éditions P.O.L, Frédéric Boyer qui fut d’abord un écrivain fidèle de la maison perpétue cet héritage : « Paul disait toujours : d’un livre, je n’attends rien, ce qui m’intéresse, c’est l’inattendu, des textes qui me troublent, me dérangent, ce sont des formes nouvelles. Aujourd’hui on veut continuer à faire vivre cette philosophie. P.O.L, c’est une recherche de ce que l’écriture peut, de jusqu’où la littérature peut aller .»
Depuis, près d’un an, le milieu littéraire célèbre en grande pompe, l’anniversaire des éditions P.O.L, une maison emblématique fondée en mars 1983 avec la publication du Livre des Ciels de Leslie Kaplan. Un colloque international organisé fin 2022 à l’Université de Poitiers et de Paris Cité, la publication d’un livre aux Presses du réel, P.O.L : futur, ancien, actuel, sous la direction de Stéphane Bikialo, Maryline Heck et Dominique Rabaté, des invitations dans toutes les manifestations littéraires du printemps : Frédéric Boyer, Jean-Paul Hirsch et tous les auteurs qui font aujourd’hui le succès de la maison arpente la France pour raconter un destin pas comme les autres. A notre tour, nous avons voulu rendre hommage à P.O.L en retraçant son histoire à travers les écrivains et les livres qui l’ont accompagnée.
Georges Perec, le saint protecteur
« Dès ses débuts, Paul Otchakovsky Laurens a voulu bâtir un catalogue singulier, animé par une soif de liberté et qui mettait la forme littéraire au-dessus de tout. Il tombait en adoration des œuvres indéfinissables, qui cassaient les codes et brouillaient les pistes. »
En 1977, P.O.L apparaît pour la première fois dans le paysage littéraire français. Après avoir dirigé la collection « Textes » chez Flammarion, Paul Otchakovsky-Laurens crée chez Hachette Livre une collection portant ses initiales. L’année suivante, il fait déjà les gros titres et remporte un prix Médicis avec un livre qui restera dans les annales comme l’œuvre phare du génie Oulipien Georges Perec, La Vie mode d’emploi. Fascinant dédale littéraire dans lequel on pourrait se perdre des jours entiers, ce roman nous propose une plongée au microscope dans la vie d’un immeuble parisien situé au 11 de la rue Simon-Crubellier, dans le XVIIème arrondissement. Régis par des règles alambiquées, des contraintes artistiques destinées à stimuler l’auteur, pétris d’humour et d’ironie, les 99 chapitres décrivent chacun une des pièces de l’immeuble Haussmanien et raconte par le menu, l’histoire de ses habitants. Pour ses débuts, Paul Otchakovsky-Laurens publie un des romans les plus brillant et original de l’Histoire de la littérature.
Georges Perec et Paul Otchakovsky-Laurens noue dès lors une relation forte et l’écrivain vante les mérites de celui qu’il annonce comme un futur grand éditeur. Jusqu’à la fin de sa vie, il publiera la majorité de ses livres dans la jeune collection. Devenue une maison d’édition à part entière, P.O.L publiera même certains ouvrages posthumes de l’auteur comme son roman inachevé 53 jours.
Comme un ultime hommage à ce génie qu’il a côtoyé, Paul Otchakovsky-Laurens choisira pour sa maison un logo bien particulier. Sept pastilles, quatre noires et trois blanches, qui évoquent le ko, en référence au jeu de go que pratiquait Georges Perec, devenu saint protecteur des éditions P.O.L.
Marguerite Duras, autrice et éditrice
Une autre figure majestueuse des lettres françaises sera pour toujours associée aux éditions P.O.L. En 1984, Marguerite Duras remporte le Prix Goncourt et devient une star mondiale de la littérature avec l’Amant, publié aux Éditions de Minuit. Mais elle se brouille avec son éditeur et atterri dans la toute nouvelle maison P.O.L. Elle publie en 1985, La Douleur, un recueil de six nouvelles, recomposé à partir des carnets de guerre qu’elle a tenu après l’arrestation et la déportation de son mari, le poète et résistant Robert Antelme, en juin 1944. Succès commercial autant que polémique critique pour son travestissement supposé des faits historiques, le livre fera grand bruit et sera même adapté au cinéma des années plus tard par Emmanuel Finkiel avec Mélanie Thierry et Benoît Magimel.
Marguerite Duras continuera à publier sporadiquement ses livres chez P.O.L. Elle publiera notamment certains textes très personnels comme La Vie Matérielle, en 1987, où elle se livre sans fard sur les thèmes qui traversent son œuvre et sur son addiction à l’alcool. En parallèle, la romancière devient également éditrice au service de Paul Otchakovsky-Laurens. Au moment de l’inauguration de la collection Outside, dont elle est la directrice, il déclare : « L’idée est venue tout naturellement. Elle me disait qu’elle voulait aider de jeunes auteurs à se faire connaître. Elle voulait les publier et les protéger. Je lui ai donné carte blanche. » Elle contribuera à révéler des auteurs comme Catherine de Richaud, Nicole Couderc et Jean Pierre Ceton mais la collaboration prendra rapidement fin en raison de désaccords littéraires.
Le Petit prince – Emmanuel Carrère
« Ce qui l’excitait le plus, c’était le livre à venir. Avec tous les écrivains, il était dans cette tension- là. Il vous donnait toujours le sentiment d’être attendu. Ça crée quelque chose de très fort avec les écrivains, une forme d’amitié au long cours. C’est ce qui s’est passé avec Emmanuel Carrère. »
En plus d’être l’un des écrivains français en activité les plus acclamés, Emmanuel Carrère est l’homme d’une seule maison, un auteur étiqueté P.O.L qui doit tout au travail de Paul Otchakovsky-Laurens. S’il publie son premier texte au éditions Flammarion en 1983, il l’adresse d’abord à Paul Otchakovsky-Laurens, qu’il admire pour son travail avec Perec. En partance de chez Hachette et en pleine construction de sa maison, il ne peut accéder à sa requête mais promet une future collaboration. Ce sera chose faite dès l’année suivante avec Bravoure, un roman déroutant, atypique, qui joue avec la réalité et raconte une genèse inventée du Frankenstein de Mary Shelley.
A ce jour, la collaboration entre Emmanuel Carrère et les éditions P.O.L s’étale sur plus de trente-cinq ans et nous a offert certains ouvrages cultes. Un chef d’œuvre du True Crime à la française, l’Adversaire, en 2000, roman vrai de la vie de Jean-Claude Romand ou encore une biographie romancée d’Edouard Limonov, personnage trouble de l’Histoire russe, à la fois héros et salaud, qui lui valut le Prix Renaudot en 2011. Avec le prix Goncourt d’Atiq Rahimi en 2008 pour Syngué sabour, pierre de patience, ce sont à ce jour les deux seules victoires de P.O.L aux deux plus grands prix littéraires malgré une myriade d’autres récompenses.
Marie Darrieussecq et Emmanuel Bayamack-Tam, une vie avec P.O.L
« Le catalogue P.O.L regorge d’auteurs élevés au sein de la maison comme Emmanuelle Bayamack-Tam ou Marie Darrieussecq. On s’est battu pour imposer leur écriture et leur univers si particulier dans le paysage littéraire français .»
Débuter son aventure littéraire au sein des éditions P.O.L a cela de particulier qu’elle vous fait entrer dans une grande famille, une famille protectrice qui vous accompagnera toute votre vie dans votre périlleuse carrière d’écrivain. Nombreux sont les auteurs qui n’ont jamais quitté le giron P.O.L. Il y règne à la fois une confiance rassurante qui vous permet de tenter sans craindre d’échouer et une énergie stimulante qui vous pousse sans cesse à vous dépasser. Depuis la parution de Truismes en 1996, Marie Darrieussecq fait office de porte-étendard de la maison. Tout comme Emmanuelle Bayamack-Tam qui publiait la même année Rai-de-Cœur. Toutes les deux ont bâti lentement une œuvre complexe, singulière qui a pu parfois dérouter le public mais qui a forgé leur réputation. Au fil du temps, elles se sont installées comme des voix majeures de la littérature française contemporaine. Après le succès de White et Clèves, Marie Darrieussecq a remporté le Prix Médicis en 2013 avec Il faut beaucoup aimer les hommes. Emmanuelle Bayamack-Tam quant à elle, a mis plus de temps pour imposer sa patte mais est devenue aujourd’hui une des écrivaines préférées des Français, couronnée en 2019 du Prix du Livre Inter pour Arcadie et l’année dernière du Médicis pour La Treizième heure. Elle publié également des textes plus sombres, proches du roman noir sous le pseudonyme Rebecca Lighieri.
Découvreur de talents
« P.O.L n’a jamais eu de comité de lecture. Comme Paul Otchakovsky-Laurens à son époque, je suis le seul à ouvrir les manuscrits envoyés par la poste. Il y a un engagement fort sur le front de la découverte. On cherche la rencontre avec les nouveaux auteurs. »
Depuis sa création, P.O.L met un point d’honneur à valoriser le travail des jeunes auteurs. Faire éclore un talent, l’accompagner pour l’installer auprès du public : une mission de longue haleine qui porte ses fruits. Pierric Bailly, Lucie Rico, Louise Chennevière, Arthur Dreyfus, Laure Gouraige : on ne compte plus les jeunes plumes acérées révélées grâce à l’éditeur. Avec toujours le même mot d’ordre : bousculer les formes littéraires, interroger les codes du récit. A l’heure où les grandes maisons tendent à limiter les prises de risques et préfèrent tout miser sur des noms installés, P.O.L se bat bec et ongles pour fabriquer les grands écrivains de demain.