Depuis 2021, Series Mania et la Sacem récompensent la meilleure musique originale du festival. L’Éclaireur a profité de l’occasion pour rencontrer Loïk Dury, compositeur phare des films de Cédric Klapisch, et le musicien Yuksek, à l’origine de la BO de la série En thérapie.
Longtemps considérées comme un sous-genre, les séries s’anoblissent et attirent de grands noms du cinéma. J’ai l’impression que la prochaine étape, c’est de miser sur des stars de la musique pour composer la bande original, comme Olivia Merilahti (The Dø) l’a fait pour Asperger.
Loïk Dury : Il y a un changement de paradigme, car le cinéma n’a plus l’importance qu’il avait. La série a réinventé la façon de raconter des histoires. Elle permet d’aller plus loin dans le rapport et dans l’affect des personnages. Je viens du cinéma, et composer pour le petit écran n’a rien à voir.
Quelles sont les différences ?
Loïk Dury : Au cinéma, le générique est un mouvement puissant qui doit sortir le spectateur de sa réalité pour le projeter dans le film. À l’inverse, dans la majorité des séries d’aujourd’hui, il dure à peine 30 secondes. Personne ne me croit, mais celui que j’ai créé pour Dix pour cent n’est pas plus long. C’est court, mais ça suffit pour identifier la série. Quelques plateformes comme Apple TV+ misent sur des génériques d’une minute et demie, mais c’est très rare.
Yuksek : J’ai l’impression que la nouvelle tendance, c’est de ne plus en avoir. Certaines séries ont juste une virgule sonore. On n’est plus à 30 secondes, mais à 7. Les spectateurs ont tendance à les zapper, donc on se demande pourquoi on devrait continuer à en faire.
Loïk Dury : Finalement, on est plus dans l’habillage avec ce format. Le générique est une identité sonore. 80% des gens qui m’approchent me disent qu’ils cherchent “un truc à la Netflix”. On a tous été marqués par leur “Tudum”. J’ai de la chance, car pour Salade grecque, Cédric Klapisch s’est battu avec Amazon pour avoir 30 secondes. Il voulait quelque chose de familier, dans lequel on peut tout de suite s’identifier. Dans Dix pour cent, il y avait une idée d’uplifting, un son qui nous porte et qui nous fait nous sentir bien.
Yuksek : J’ai fait le générique d’En thérapie et, pour moi, l’intérêt de la série réside dans le fait de creuser les thèmes musicaux. Dans les films, les scènes musicales sont plus rares. Là, on peut s’amuser et jouer avec des thèmes qui s’entrecroisent, ou suivre un personnage d’une manière musicale. Les réalisateurs de films choraux rêvent d’associer les protagonistes à des sons particuliers, mais la vérité, c’est que ça ne marche jamais. C’est quasiment impossible. À l’inverse, les séries permettent de l’envisager.
Yuksek, on vous connaît essentiellement pour vos expériences sur la scène électronique. Comment avez-vous appréhendé la composition de vos séries (En thérapie, Irrésistible), qui s’adressent à un public très large ? Pensez-vous qu’une BO doive forcément être populaire et plus commerciale que ce que vous avez l’habitude de faire ?
Yuksek : Quand j’arrive sur une série, ce n’est pas en tant que Yuksek. Je suis au service d’une œuvre. J’ai fait une formation classique, je me suis ensuite tourné vers l’électronique, mais j’aime aussi la pop, je n’écoute quasiment que de la musique brésilienne ou africaine… Bref, j’aime tous les styles, donc ça m’éclate de les appréhender.
Mais vous sentez-vous aussi libre dans cette forme de composition ?
Yuksek : Oui, je trouve toujours mon bonheur, même s’il s’agit de commandes.
Loïk Dury : Une partie de ce job, c’est de créer une musique qui va rester en tête et accrocher le spectateur. Si tu veux durer dans ce métier, ça passe aussi par là. Il faut échanger avec le réalisateur sur ses envies et ses attentes, et trouver un son qui mettra tout le monde d’accord. J’ai fait du cinéma parce que les egos de la pop étaient trop gros, et ça me gonflait. Dans le ciné, l’ego, c’est le film. On est toute une équipe, parfois 100 personnes, à tout donner pour le bien d’une œuvre.
Yuksek : Clairement. Si tu arrives dans la composition avec ton ego de musicien surgonflé, il faut arrêter directement. Ça ne marchera pas.
Mais comme toute forme d’art, la musique est une pratique très intime. Comment parvenez-vous à conserver votre touche personnelle tout en vous mettant au service de l’œuvre ?
Yuksek : On est l’un comme l’autre des musiciens depuis longtemps. Il y a un moment où la musique vient, tu vois des images, des ambiances, et ça t’appartient.
Loïk Dury : Ce que tu crées devient “ton style”, “à l’insu de ton plein gré” ! On m’a déjà dit : “J’ai fait un cours en prenant pour exemple les vieilles BO de Klapisch !” La vérité, c’est que je n’ai jamais essayé de coller au marché commercial. Je suis juste sincère. Parfois, il y a des hasards heureux. Dix pour cent en est un bon exemple, car on a bien réussi le générique. Sur Salade grecque, Cédric voulait une tout autre démarche. Ça fonctionne, mais l’impact musical n’est pas le même que dans Dix pour cent. Il faut juste être honnête et inventer.
Yuksek : On essaie aussi de se challenger nous-mêmes. Il y a un moment, j’avais l’impression d’être en roue libre. Je répondais aux commandes sans conviction. Les gens étaient contents, mais quand je réécoutais ce que j’avais fait, je n’étais pas satisfait à 100 %. Maintenant, j’essaie d’être plus exigent avec moi-même et je tente plein de choses différentes, même s’ils sont satisfaits de ma première proposition.
Loïk Dury : C’est dangereux, ça ! S’ils aiment ta première proposition, ce sera difficile de la modifier. Dans Salade grecque, on m’a demandé de reprendre le thème de la fin de Casse-tête chinois. J’ai donc repris le son, j’ai fait un arrangement différent, et finalement Cédric m’a dit qu’il voulait la même chose. Il cherchait un truc très rétro, style années 1990, et je ne le voyais pas comme ça. On a réussi à trouver un son qui correspondait à tout le monde, mais on a beaucoup échangé pour arriver ce résultat.
« J’ai la chance d’avoir fait beaucoup de projets avec Klapisch. On a eu des idées saugrenues, et ça a marché. »
Loïk DuryCompositeur
Yuksek, vous avez composé la musique du documentaire Netflix sur le petit Gregory. Comment trouver les musiques justes pour un sujet aussi sensible ?
Yuksek : C’est aussi une question d’équipe. Le showrunner, Gilles Marchand, est brillant. Avec lui, j’étais sûr de ne pas partir sur des documentaires à la W9. Il a une approche différente. Il est plus dans le psychologique que dans le sensationnaliste. Pour la musique, c’est pareil. Je voulais trouver un ton grave, mais pas larmoyant. Il ne fallait pas souligner bêtement la situation avec des sons glauques et tristes qui allaient dans le sens du sujet. Personne ne m’a encouragé à aller dans les trémolos.
Loïk Dury : Pendant très longtemps, la musique soulignait simplement ce qu’il se passait à l’écran. Maintenant, on sublime l’image et on la met en valeur. Si on voit une émotion forte, on n’est pas obligé de sortir les violons – mais ils peuvent arriver quelques secondes avant pour l’annoncer. Ce côté américain redondant, de sur-souligner les sentiments, n’est pas arrivé en Europe. Il y a vraiment deux approches. Pendant longtemps, on voulait associer un thème à un personnage, mais aujourd’hui, on essaie de l’associer à une émotion.
Comment retransmettez-vous ces émotions en musique ?
Loïk Dury : C’est notre boulot, tout simplement. Quand on entre dans le studio le matin, on n’est pas toujours inspiré. En revanche, on y va tous les jours. Quand tu travailles, ça finit par venir. J’ai fait des morceaux géniaux et appréciés du grand public en seulement en cinq minutes. À l’inverse, il y en a d’autres que j’ai mis trois ans à faire, et tout le monde est passé à côté. Il faut essayer, recommencer, chercher des idées…
« Cédric Klapisch m’a proposé de faire L’Auberge espagnole ; quand j’ai regardé le scénario, ça ne me branchait pas trop. »
Loïk DuryCompositeur
Yuksek : L’inspiration est le seul phénomène qu’on ne peut pas expliquer. C’est magique. Tu as des images dans la tête, tu essaies de te mettre en condition, dans les émotions de la scène et des personnages, puis tu commences à faire un accord, tu le trouves, et tu brodes autour de ça.
Loïk Dury : Les rapports avec les réalisateurs sont cruciaux. Si tu as une vraie interaction avec eux, c’est hyper stimulant. J’ai la chance d’avoir fait beaucoup de projets avec Klapisch. On a eu des idées saugrenues, et ça a marché. J’adore travailler avec lui, car il me laisse le temps de me perdre dans mes idées et mes propositions. Aujourd’hui, plus personne ne nous donne cette opportunité et on n’a plus le temps de chercher.
Ça semble bien fonctionner, car vous avez travaillé sur un grand nombre de ses films, dont L’Auberge espagnole et Les Poupées russes !
Loïk Dury : Cédric est venu vers moi parce que je n’étais pas un musicien. C’était l’époque où il détestait les violons au cinéma. Je n’ai pas de formation de musicien classique, je montais des bandes à la radio. À ce moment, les moyens de production se sont démocratisés. On a tous eu un ordinateur et un sampleur, et on faisait du son dans notre chambre.
On passait des heures à essayer de créer des musiques, et au bout d’un moment, ça fonctionnait. Il n’y a pas d’inspiration divine. Je passais des nuits blanches à essayer des choses et tout d’un coup, bam, il y avait ce son qui sonnait bien.
Cédric a toujours cru en moi et il m’a toujours mis en avant. On a beaucoup travaillé, et le premier film qu’on a fait ensemble, Peut-être, a été nommé aux Victoires de la musique. C’était chouette. Ensuite, il m’a proposé de faire L’Auberge espagnole, j’ai regardé le scénario, et ça ne me branchait pas trop. Je savais qu’il allait faire un polar, Ni pour ni contre (bien au contraire), et je me disais que si j’acceptais le premier, il me refuserait le deuxième. C’était ma stratégie de jeune con à l’époque.
À la fin de L’Auberge espagnole, il m’a appelé en me demandant de l’aider sur quelques morceaux. J’ai répondu à la demande, ça s’est bien passé, puis on a enchaîné sur le polar et d’autres. Parfois, une idée nous vient en tête et, des années plus tard, ce son devient un thème populaire. Je sais que je peux me lâcher avec lui. On se perd et on essaie ensemble. Il y a peu de personnes avec qui je peux me le permettre.
Comment écrit-on la musique de comédies romantiques sans tomber dans le cliché ? Je pense notamment à Love Actually, qui est essentiellement rythmé par des notes de piano et des violons.
Loïk Dury : Mais il faut tomber dedans, car la puissance du cliché est essentielle. On ne peut pas l’éviter et passer à côté serait une erreur. Il faut apprendre à le respecter, savoir quand s’en servir, quand jouer avec, temporiser…
Mais vous disiez que Cédric Klapisch n’aimait pas les violons !
Loïk Dury : Il n’en voulait pas au début. Mais un jour, j’étais dans la fosse d’un orchestre pour un enregistrement. Quand les mecs ont commencé à jouer, c’était incroyable. À l’époque, j’étais DJ au Rex Club, donc j’avais l’habitude des gros sons, mais là, c’était encore plus fort. Quand je suis sorti, j’ai appelé Klapisch pour lui dire : “Cédric, on est des cons ! On n’avait pas compris, mais les violons au cinéma, c’est génial !” Depuis, il y en a dans tous ses films. On se réinvente tout le temps.
Yuksek : C’est comme dans la vie. Quand tu dis que tu ne feras jamais telle ou telle action, tu finiras forcément par la faire.