Révélée en 2011 avec Video Games, Lana Del Rey aura su se défaire de son image de phénomène d’Internet avec une discographie solide. À l’occasion de la sortie de son neuvième album ce vendredi 24 mars, L’Éclaireur revient sur le parcours d’une artiste aussi mystérieuse que mélancolique. Portrait.
Quelques notes de harpe et de piano, des images de la chanteuse filmées à la webcam, des vidéos de skateboard… En 2011, le monde découvre Video Games et Lana Del Rey, chanteuse énigmatique de 26 ans racontant l’histoire d’une relation à sens unique avec un ex petit-ami fou du jeu vidéo World of Warcraft. Sorti quelques mois plus tard, le single Blue Jeans devient lui aussi viral et confirme la sensation Lana Del Rey.
Son ascension fulgurante et sa figure de mannequin attirent rapidement les critiques et les moqueries. Une vidéo virale intitulée Lana del Duck remplace la voix de Lana Del Rey par une imitation de Donald Duck, moquant les lèvres pulpeuses de la chanteuse. Cet acharnement virtuel est renforcé par une performance ratée au Saturday Night Live en 2012. La chanteuse apparaissait hésitante, changeant constamment de voix et d’intonation pour interpréter ses deux singles. Il faudra attendre la sortie de l’album Born to Die (2012) quelques jours plus tard pour qu’Elizabeth Woolridge Grant, alias Lana Del Rey, puisse enfin mettre la musique au centre du débat.
Cinquième album le plus vendu de l’année 2012, Born to Die fait accéder Lana Del Rey au rang de superstar et consolide une base de fans déjà acquis à sa cause. Pourtant, l’album est mal reçu par la critique, encore persuadée que la chanteuse n’est qu’une invention, le coup marketing d’une maison de disque fabriquant de toutes pièces une artiste formatée et fausse. Dans le magazine Rolling Stone, le journaliste Rob Sheffield dénonce « une artiste trop immature pour écrire un album ». Après avoir accordé la note de 2/5 à Born to Die, le critique poursuit : « Il est étonnant qu’avec une image aussi chic, Lana Del Rey propose une pop aussi fade. »
Alors que Born to Die devient le premier album à atteindre les 100 000 ventes en 2012, on sait peu de choses sur Lizzy Grant, propulsée du jour au lendemain sur le devant de la scène. Née en 1985 à New York, elle apprend le chant à l’école et dans les églises, jouant avec sa voix pour oublier la solitude du milieu scolaire. La découverte de la guitare lui fait prendre conscience des possibilités de l’écriture de chansons et la jeune femme écrit près de 500 morceaux sous le nom de May Jailer en 2005. Ces chansons restent encore introuvables sur Internet aujourd’hui.
Passé inaperçu à l’époque, l’album Sirens devient un objet de fascination lors de sa fuite sur Internet en 2012, alors que Lana Del Rey connaît un succès planétaire avec Born To Die. On parle d’un piratage d’ordinateur portable après une connexion à un réseau wifi public, mais la chanteuse ne révélera jamais l’origine de ce leak. En 2010, Elizabeth devient « Lana Del Ray » pour un premier album jamais sorti en version physique, puis « Lana Del Rey » pour signer un an plus tard les morceaux qui feront son succès.
Chanter la tristesse
Si Lana Del Rey n’est pas la première à chanter la mélancolie et la tristesse, peu d’artistes ont à ce point consacré leur carrière à les mettre en musique. L’étoile sombre de l’Americana, terme qui regroupe le folklore et les traditions américaines dont la chanteuse reprend les codes, continue au fil des albums de tisser la toile de son œuvre, publiant quatre albums entre 2012 et 2017. Jamais vraiment satisfaite de la tournure de sa carrière depuis le succès de Born to Die, l’artiste continue de chercher l’équilibre, entre notoriété et vrai désir de songwriting exigeant.
Ses ballades au romantisme noir passionnent toujours les fans et inspirent une nouvelle génération d’artistes. Marquées par le phénomène Lana Del Rey, les chanteuses Billie Eilish, Lorde et Halsey semblent être les héritières de celle qui avait un jour retourné Internet avec deux morceaux. Pour une édition spéciale du magazine Interview en janvier 2023, Billie Eilish confessait son amour pour Lana Del Rey dans une entrevue avec la chanteuse : « Les gens essaient de te ressembler depuis que tu as commencé. J’en parle souvent avec mon frère Finneas. Tu as changé la façon dont l’industrie de la musique entend et voit la musique, et tu as même changé la façon dont les gens ont envie de chanter. »
Souvent au centre de sa musique, la question de la santé mentale est aujourd’hui d’actualité, et de nombreux rappeurs comme Kevin Abstract et XXXTentacion n’ont jamais caché l’influence de la chanteuse sur leur discographie. Lana Del Rey devient également le symbole du sadcore, un sous-genre musical dépressif, incarné par Cat Power ou encore Arab Strap. Caractérisé par un tempo lent et des paroles désabusées, le sadcore rassemble aujourd’hui un grand nombre d’artistes du rock alternatif qui ont fait de la mélancolie le centre de leur musique.
Le choc Norman Fucking Rockwell!
Depuis Born to Die, la musique de Lana Del Rey avait toujours polarisé le milieu de la musique. Il y avait les fans acharnés d’un côté, les critiques mitigés de l’autre. Alors que certains louaient une autrice-compositrice-interprète de grande qualité, d’autres continuaient de voir en Lana Del Rey un personnage inauthentique, s’épanchant en permanence sur les déceptions amoureuses et la vie de bad girl. En 2019, l’album Norman Fucking Rockwell! met fin au débat avec ce qui reste, à ce jour, le plus grand succès critique de l’artiste.
Ne reniant pas le côté rêveur de ses compositions, Lana Del Rey abandonne une part de kitsch présente dans ses précédents albums et poétise sur le glamour et ses dangers, dans une Amérique dont elle n’a de cesse de reprendre les symboles visuels. Lana Del Rey semble alors avoir réussi son rêve : devenir un songwriter reconnue et appréciée de tous, libérée de la pression de devoir écrire des tubes pour conforter son image de pop star.
Depuis 2019, Lana Del Rey a enregistré quatre albums et semble avoir trouvé son style. Nouvelle réussite dans sa carrière, Chemtrails over the Country Club (2021), conforte l’idée qu’enfin, elle sera traitée comme une chanteuse à part entière au talent d’écriture reconnu. Presque dix ans après la critique de Born to Die, le magazine Rolling Stone encense « l’album le plus introspectif de la chanteuse ». Son nouvel album Did You Know That There’s a Tunnel under Ocean Blvd, dont est notamment extrait le morceau A&W, est sorti ce vendredi 24 mars.
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