Si le géant américain Microsoft, tout comme d’autres mastodontes de la tech, a annoncé récemment une vague de licenciements, 2023 s’annonce cependant prometteuse. Avoir misé sur ChatGPT y est pour beaucoup.
Microsoft a-t-il parié sur le bon cheval en investissant dans l’intelligence artificielle (IA) ChatGPT ? Difficile de savoir encore à quoi ressemblera exactement 2023 pour le géant américain, dirigé par Satya Nadella. Mais, le 23 janvier dernier, le patron de Microsoft a annoncé le troisième investissement de sa société dans OpenAI, la maison mère qui a créé ChatGPT, l’intelligence artificielle (IA) au centre de toutes les attentions depuis quelques semaines.
Si le montant n’a pas été divulgué (le communiqué officiel évoque « plusieurs milliards de dollars »), il est estimé à 10 milliards pour une valorisation totale d’OpenAI de 29 milliards. Il faut dire que ChatGPT apporte une réelle nouveauté dans l’interaction homme-machine. Ce service permet en effet de poser très simplement une question et de se voir proposer immédiatement une réponse, formulée de la même manière que pourrait le faire un humain.
Perçue comme révolutionnaire par beaucoup, cette IA fait sensation, malgré quelques défauts, et attire tous les regards actuellement. Mais la situation actuelle de Microsoft ne se résume pas à ChatGPT.
Un début d’année dans la confusion
Un investissement assez colossal d’un côté et… une vague de licenciements de l’autre. À l’instar de Meta, la maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp, d’Amazon, de Twitter ou encore de Shopify, Microsoft a elle aussi annoncé une série de mesures d’économie. Dont une réduction d’effectifs à travers le monde, prévue au premier trimestre, à hauteur de 10 000 emplois. Pour l’entreprise basée à Redmond, dans l’État de Washington, cela représente environ 5 % de sa masse salariale.
Pourquoi une telle annonce ? Dans un communiqué, Microsoft a expliqué réagir aux conditions macroéconomiques ainsi qu’aux changements de priorités des clients. Il cite le risque de récession, craint par beaucoup en 2023, mais aussi les choix des clients de la firme qui, après avoir accéléré leurs dépenses informatiques pendant la pandémie, cherchent désormais à faire des économies. « Nous les voyons maintenant optimiser leurs dépenses numériques pour faire plus avec moins », analyse Satya Nadella dans une lettre intitulée Subject: Focusing on our short- and long-term opportunity. Reste qu’en se séparant de 10 000 personnes, Microsoft devra tout de même débourser quelque 1,2 milliard de dollars en indemnités de départ…
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Jeux vidéo : ça passe ou ça casse
L’entreprise de Redmond a aussi un dossier brûlant en cours. C’est le projet de mégafusion entre Microsoft et Activision-Blizzard. Un projet actuellement menacé par… l’autorité de la concurrence américaine (FTC, Federal Trade Commission). Celle-ci a en effet décidé de contester en justice le projet de concentration entre les deux géants du jeu vidéo. En outre, les régulateurs européens et britanniques sont aussi en embuscade et regardent de près les conditions de ce rapprochement.
Cette opération pourrait pourtant être très juteuse pour la firme informatique, lui permettant de se hisser à la troisième place mondiale du marché des jeux vidéo, derrière Tencent et Sony PlayStation. Activision-Blizzard, c’est Call of Duty, Candy Crush ou encore World of Warcraft. C’est aussi un chiffre d’affaires de près de 9 milliards de dollars.
L’offre de rachat de la maison mère de la console Xbox aux 63 millions de joueurs, chiffrée à 69 milliards de dollars, serait la plus importante fusion dans le secteur de la tech et des médias depuis des décennies. Malgré la promesse de continuer à proposer la licence Call of Duty sous PlayStation pendant 10 ans, la FTC n’a pas été convaincue. Satya Nadella et ses équipes vont devoir muscler leur dossier en 2023 pour espérer mener à bien leur stratégie en la matière.
Un grand ménage pour réorienter les forces
En quelques années, le modèle économique de Microsoft a bien évolué. Désormais, les activités tournant dans le cloud (Azure, la version entreprise de LinkedIn, Office 365 et Dynamic 365) pèsent pour plus de 50 % des revenus. Le chiffre d’affaires lié à Windows est, lui, en déclin. Il se vend en effet moins de PC, après un pic de commandes pendant la crise du Covid. Face à ces évolutions, certains secteurs sont délaissés par le géant américain.
À lire les messages postés par les salariés licenciés ces dernières semaines par la société informatique, les technologies de réalité virtuelle sont en première ligne pour faire les frais de cette réorientation stratégique au profit des IA. Les équipes participant aux projets HoloLens ou encore MRTK (Mixed Reality Tool Kit) sont victimes de coupes budgétaires. Et ce, même si Satya Nadella a toujours déclaré son amour pour Hololens. Ce projet, qui avait vu le jour en 2010 sous la forme de l’accessoire Kinect pour la console Xbox, s’était mué en lunettes de réalité mixte avec un début de commercialisation en 2017. Mais le prix, prohibitif, n’a jamais permis d’en faire un accessoire grand public. Et la patience de Satya Nadella est arrivée à son terme. De même, l’équipe de AltSpaceVR, dédiée à la réalité virtuelle dans le métavers, a annoncé via un tweet que le service fermerait le 10 mars prochain.
Il n’est pas dit que la réalité mixte ou le métavers seront totalement abandonnés par Microsoft, mais l’heure est clairement à un recentrage sur certains projets prometteurs pour optimiser les investissements. Le géant américain ne veut pas rééditer les mêmes erreurs qu’avec Windows Phone, quand il s’est entêté dans l’univers des smartphones alors même qu’il avait pris trop de retard face à ses concurrents.
Trouver de nouveaux relais de croissance
Mais alors, quels sont les nouveaux relais de croissance ? Si la fusion avec Activision-Blizzard se concrétise, le Xbox Game Pass pourrait devenir une priorité pour Microsoft. D’ailleurs, les chiffres sont en hausse sur le dernier trimestre 2022 : « Nous avons atteint de nouveaux sommets avec les inscriptions au Game Pass et dans le nombre de joueurs actifs par mois […] Notre but est de continuer à investir dans le Game Pass et le rendre toujours plus intéressant », a affirmé Satya Nadella.
Mais ChatGPT, et l’intelligence artificielle d’une manière générale, semblent évidemment le nouveau gros pari sur l’avenir de Microsoft. La relation avec OpenAI a débuté en 2019 quand le géant informatique a investi 1 milliard de dollars. Objectif : permettre la commercialisation des produits d’IA de la start-up qui, jusqu’alors, s’était consacrée à la recherche. Deux ans plus tard, en 2021, nouvelle participation lors d’un deuxième tour de table. Si le montant est inconnu, on sait que c’est à partir de ce moment-là que les outils d’OpenAI ont commencé à être intégrés dans les services Azure de Microsoft.
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ChatGTP s’immisce partout chez Microsoft
Parallèlement à l’annonce du troisième investissement, qui permettrait selon les rumeurs à Microsoft de détenir 49 % d’OpenAI, la firme de Redmond a annoncé qu’elle déployait Teams Premium, un service intégrant ChatGPT.
Concrètement, l’outil sera progressivement disponible aux abonnés payants de l’outil de visioconférence (10 dollars par mois et par utilisateur) afin de générer automatiquement des notes de réunions ou des recommandations de tâches. Chapitrage automatique des enregistrements vidéo, création de points particuliers personnalisés selon le profil des employés, application automatique de filigranes sur les partages d’écran pour une sécurité renforcée… Autant de nouveaux services qui vont apparaître progressivement d’ici juin grâce à ChatGPT. Le but est de faire en sorte que toutes ces nouvelles options donnent à Teams un avantage décisif sur ses concurrents tels que Google Meet ou Zoom.
ChatGPT va également être intégré pour le grand public dans le moteur de recherche Bing. Toujours très à la peine face au mastodonte Chrome de Google, celui-ci pourrait permettre d’effectuer des recherches nettement plus pertinentes et avec des formulations plus simples qu’à l’heure actuelle. Et Bing pourrait ainsi non seulement fournir de meilleures réponses, mais aussi interagir de manière conversationnelle.
Les logiciels Word, Outlook ou encore PowerPoint devraient eux aussi bénéficier de ChatGPT à moyen terme. Et si on en doutait encore, les dernières déclarations du patron de Microsoft sont claires : « La prochaine grande vague informatique est en train de naître grâce aux progrès de l’IA, car nous transformons les modèles les plus avancés du monde en une nouvelle plateforme informatique. »
ChatGPT, la poule aux œufs d’or de Microsoft ?
Certes, la technologie semble pour le moins prometteuse. Certes, cette IA en particulier fait le buzz. Certes, l’intérêt sans cesse renouvelé de Microsoft semble indiquer qu’OpenAI a encore d’autres beaux projets dans les cartons. Pour autant, quel est le modèle économique de ChatGPT ? À l’heure actuelle, rien n’est moins clair. Certains, en revanche, se sont amusés à estimer ses coûts. C’est le cas de Tom Goldstein, professeur associé en science informatique à l’université du Maryland.
Ses conclusions misent sur des dépenses de l’ordre de 100 000 dollars par jour, soit environ 3 millions de dollars par mois. Et même si les coûts sont sans doute moindres en réalité, dans la mesure où ChatGPT tourne sur des serveurs Azure (Microsoft), le service a besoin de trouver des sources de revenus. Sam Altman, le CEO d’OpenAI a lui-même pointé du doigt les dépenses astronomiques de ChatGPT : « Il faudra monétiser [ChatGPT] d’une manière ou d’une autre à un moment donné ; les coûts de calculs sont exorbitants. »
Tout début février, OpenAI a annoncé le lancement de ChatGPT Plus, une formule d’abonnement pour profiter du service dans son intégralité, sans limitation. En effet, depuis quelques semaines, il n’est pas rare de ne pouvoir utiliser le service en raison de pics d’utilisation. ChatGPT Plus permettra de contourner ce problème, d’obtenir des réponses plus rapidement et d’avoir accès aux nouvelles options et améliorations en avant-première. Le tout pour 20 dollars par mois.
La commercialisation de son API, donc la disponibilité de son IA à des entreprises en BtoB, est également une piste sérieuse de revenus possibles. Enfin, l’ajout de publicités dans l’interface de l’IA pourrait aussi permettre de financer une partie des dépenses. Autant de domaines dans lesquels Microsoft pourrait intervenir… et en tirer d’intéressants bénéfices pour faire de 2023 une année clé dans son évolution.