Théâtre classique ou contemporain, seul en scène, grands auteurs (Beckett, Molière, Tchekhov),metteuses et metteurs en scène prometteurs… Cette nouvelle année s’annonce riche en propositions théâtrales. En voici un petit florilège.
1 Fin de partie, de Samuel Beckett, mise en scène de Jacques Osinski, au théâtre de l’Atelier
Créée lors de la dernière édition du Festival d’Avignon, Fin de partie marque une nouvelle collaboration entre le metteur en scène Jacques Osinski et l’acteur et comédien Denis Lavant autour de l’œuvre immortelle de Samuel Beckett, pilier du théâtre de l’absurde mondialement connu pour sa pièce En attendant Godot. Après Cap au pire, La Dernière Bande et L’Image, les deux hommes se retrouvent donc pour Fin de partie, pièce majeure – l’une de ses premières – de l’auteur irlandais (lequel maniait aussi bien l’anglais que le français).
L’irremplaçable Denis Lavant, dans le rôle de Clov, y donne la réplique à Frédéric Leidgens, qui endosse quant à lui le rôle de Hamm. La pièce se déroule dans un temps indéfini, dans un espace « intérieur » aux contours flous dont le metteur en scène se délecte : « Fin de partie dit la longue marche du temps », souligne justement Jacques Osinski dans sa note d’intention.
Fin de partie, de Samuel Beckett, mise en scène par Jacques Osinski, au théâtre de l’Atelier (Paris 18e), du 19 janvier au 5 mars 2023.
2 Le Tartuffe ou l’hypocrite, de Molière, mise en scène d’Ivo van Hove, à la Comédie-Française
Présentée pour la première fois l’an dernier pour célébrer le 400e anniversaire de la naissance de Molière, cette adaptation inédite du Tartuffe ou l’hypocrite par le célèbre metteur en scène belge Ivo van Hove revient sur la scène de la Comédie-Française en ce début d’année. La pièce, entre autres portée par Denis Podalydès dans le rôle d’Orgon, revêt à vrai dire un caractère exceptionnel : il s’agit en effet de la version « non censurée » du Tartuffe, initialement retoquée par la cour de Louis XIV en 1664, mais récemment exhumée par le professeur de littérature française Georges Forestier grâce à une technique dite de « génétique théâtrale ». Cette version, qui comprend trois actes (au lieu des cinq habituellement représentés), restitue toute la verve et l’ironie de la langue de Molière. Incontournable.
Le Tartuffe ou l’hypocrite, de Molière, mise en scène d’Ivo van Hove, à la Comédie-Française (Paris 1er), du 31 janvier au 19 mars 2023.
3 Sens dessus dessous, de et avec André Dussollier, aux Bouffes Parisiens
En plus d’être un formidable acteur et comédien, André Dussollier est aussi un conteur hors pair. L’homme aux trois César, couronné du Molière du meilleur comédien en 2015 pour son adaptation de Novecento (Alessandro Baricco, 1994), a par exemple prêté sa voix inimitable au narrateur du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (Jean-Pierre Jeunet, 2000). Féru de littérature, l’acteur a également contribué pour une large part à la lecture intégrale (aux éditions Thélème) du chef-d’œuvre de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu.
Dans son nouveau spectacle, André Dussollier ravive sur scène les passages littéraires qui lui tiennent le plus à cœur, de Victor Hugo à Baudelaire en passant par Sacha Guitry, Raymond Devos, Aragon et tant d’autres.
Sens dessus dessous, de et avec André Dussollier, aux Bouffes Parisiens (Paris 2e), du 18 janvier au 25 mars 2023.
4 Les Frères Karamazov, de Dostoïevski, mise en scène de Sylvain Creuzevault, au théâtre national de l’Odéon
Grand adepte de l’œuvre de Dostoïevski, Sylvain Creuzevault signe une mise en scène édifiante des Frères Karamazov (1880), dernier roman publié du vivant du génie russe. Le spectacle, repris à l’Odéon après y avoir été monté pour la première fois à l’automne 2021, remet au goût du jour ce chef-d’œuvre de la littérature dans lequel trois frères – Ivan, Aliocha et Dmitri, rejoints par Smerdiakov, le fils illégitime du patriarche – aux idéaux radicalement opposés exposent leur(s) conception(s) du monde – la morale, la filiation, le bien et le mal, l’existence de Dieu, etc. – autour du nœud apparemment banal de l’intrigue policière (qui a tué le père Karamazov ?).
Un monument philosophique que le metteur en scène prend un malin plaisir à infuser dans notre époque et qui résonne d’autant plus depuis le début du conflit russo-ukrainien.
Les Frères Karamazov, de Dostoïevski, mise en scène de Sylvain Creuzevault, au théâtre national de l’Odéon (Paris 6e), du 6 au 22 janvier 2023.
5 Inoxydables, de Julie Ménard, mise en scène de Maëlle Poésy, au théâtre du Rond-Point
La comédienne et metteuse en scène Maëlle Poésy, encore une fois associée au dramaturge Kevin Keiss (ensemble, ils ont notamment signé le spectacle Candide – Si c’est ça le meilleur des mondes…), met en scène Inoxydables, texte signé de la comédienne québécoise Julie Ménard.
Le spectacle, joué de lycée en lycée après avoir été présenté au théâtre Dijon Bourgogne lors de la saison 2017/2018, raconte la fuite en avant de deux personnages, Sil (Benjamin Bécasse-Pannier) et Mia (Mathilde-Édith Mennetrier), tombés éperdument amoureux lors d’un concert. La pièce, inspirée par un exilé afghan, témoigne de leur périple. La disposition quadri-frontale de la scène instaure une proximité entre les personnages et les spectateurs, en même temps qu’elle souligne leur enfermement.
Inoxydables, de Julie Ménard, mise en scène de Maëlle Poésy, au théâtre du Rond-Point (Paris 8e), du 4 au 29 janvier 2023.
6 Sans tambour, de Samuel Achache, au théâtre des Bouffes du Nord
Présenté lors du Festival d’Avignon, également passé par le TGP de Saint-Denis cet automne, le dernier spectacle musical de Samuel Achache accorde littéralement l’effondrement d’un couple et de sa maison (impressionnant décor mis progressivement en pièces au fil du spectacle) aux arrangements de Florent Hubert inspirés par les lieder – de courtes pièces musicales en piano-voix, chantées sur un texte en langue germanique – de Robert Schumann.
La musique, pour une fois, n’est pas simplement là pour accompagner l’action : elle constitue plutôt, à l’image des chanteurs s’improvisant comédiens (et réciproquement), une pièce mêlant habilement le vaudeville, le burlesque et le romantisme allemand et dans laquelle théâtre et musique font finalement bon ménage.
Sans tambour, de Samuel Achache, au théâtre des Bouffes du Nord (Paris 10e), du 22 février au 5 mars 2023.
7 Dans les cordes, de Pauline Ribat, au Théâtre 13
L’autrice, actrice et metteuse en scène Pauline Ribat, révélée il y a quelques années avec l’étonnant spectacle musical Depuis l’aube (ode aux clitoris), présente au Théâtre 13 sa dernière création en date, Dans les cordes. Dans ce spectacle percutant monté en 2019, elle prolonge sa réflexion sur la sexualité en se penchant cette fois-ci sur la vie sexuelle d’Alix et Roman, un couple de trentenaires parisiens confrontés à l’absence de désir.
Chacun de son côté, Alix et Roman naviguent sur le Web et explorent les nouvelles modalités de la sexualité (avatars, sites de rencontres, cybersexe, etc.) : en invitant le couple à mettre sa pérennité en jeu sur un ring, espace résultant de la collision entre deux mondes (« IRL » et « online »), l’autrice interroge le chamboulement des idéaux, des représentations et des fantasmes par le prisme d’une révolution numérique.
Dans les cordes, de Pauline Ribat, au Théâtre 13 (Paris 13e), du 11 au 21 janvier 2023.
8 Le Moine noir, de Tchekhov, mise en scène de Kirill Serebrennikov, au Théâtre du Châtelet
Le réalisateur et metteur en scène dissident Kirill Serebrennikov, qui présentait en mai dernier son prochain film (La Femme de Tchaïkovski) au Festival de Cannes, s’apprête à prendre ses quartiers au Théâtre du Châtelet pour y dévoiler, après s’être illustré au Festival d’Avignon, son adaptation du Moine noir de Tchekhov.
Cette nouvelle assez méconnue du dramaturge russe, qui suit la lente désagrégation psychique d’un intellectuel répondant au nom d’Andreï Kovrine, prend soudainement vie à travers la mise en scène folle et enragée du réalisateur de Leto et de La Fièvre de Petrov. Habitué à jouer de ses décors, au théâtre comme au cinéma, de manière labyrinthique, pour ne pas dire schizophrénique, Serebrennikov scrute la chute de ses personnages vers la folie. Saisissant.
Le Moine noir, de Tchekhov, mise en scène de Kirill Serebrennikov, au Théâtre du Châtelet (Paris 1er), du 16 au 19 mars 2023.