Entretien

Pourquoi faut-il à tout prix découvrir Sangue ?

26 décembre 2022
Par Hugo Mangin
Pierre Mourles (Chant/danse, accordéon, lap/top), Timothée Guiffan (Batterie, chant) et Nicklaus Rohrbach (Claviers/machines, chant).
Pierre Mourles (Chant/danse, accordéon, lap/top), Timothée Guiffan (Batterie, chant) et Nicklaus Rohrbach (Claviers/machines, chant). ©DR

L’Éclaireur a rencontré les membres du groupe Sangue, dont on attend impatiemment le prochain album.

Fruit du confinement, le nouvel album de Sangue, Empeureur, sortira en mars 2023. C’est loin, mais, pour patienter, le groupe parisiano-sarthino-lottois offre de substantielles miettes sous la forme de trois clips – Danser, disponible depuis le 16 novembre, Ombres des mains, prévu pour le 27 janvier et Empereur, prévu pour le 15 mars.

Si Sangue a d’abord commencé, dès 2011, comme une aventure solo, la voix et l’accordéon de Pierre, son fondateur, ont finalement trouvé leurs contrepoints parfaits dans la batterie de Timothée et le synthé de Nicklaus. Le groupe s’est ainsi formé au fil de concerts, dans les interstices des soirées parisiennes, par la rencontres entre trois musiciens qui ont flairé les uns en les autres des sensibilités proches et la possibilité d’un espace commun.

Empeureur : la poésie contre la peur

Conçu dans le deuxième sous-sol d’une cave parisienne, le nouvel album du groupe est une affaire de lieux improbables. Car c’est sous les voutes humides qui évoquent un abri anti-aérien, sur un vieux tapis encombré d’une véritable lutherie électronique, que les trois acolytes ont trouvé des murs sur lesquels projeter les paysages qu’ils recèlent – paysages du Lot où vit Pierre, de la Sarthe où compose Niklaus, et de Paris où ils se retrouvent.

C’est de ce bunker, donc, qu’a jailli le pourtant très lumineux Empeureur. Résolument actuel, l’album est d’abord né des frustrations du confinement ; Pierre, par ailleurs danseur contemporain, confie par exemple qu’avoir été « un artiste privé de scène », c’est surtout avoir été privé d’une véritable « prise au corps ».

Mais si la scène est pour eux tous « l’endroit de partage ultime » et le lieu du « pouvoir vivre », cette privation n’a pas desservi l’inspiration – bien au contraire. Des musettes folks aux transes électroniques de L’Ombre des mains, de la prose synthétique et estivale de Danser au spiritual inversé de Satan, Sangue ose et vise juste.

À la manière d’un feu Noir Désir du Temps nous portera, ou d’un Feu ! Chatterton qui aurait déménagé, la langue dit ici les peurs et les ivresses, le réchauffement climatique et les migrants. De l’usine infernale d’Entreprise – qui n’est pas sans évoquer le regretté Joseph Pontus, auteur d’À la ligne (2016) – à Mezzanine ou Grands espaces qui évoquent, entre autres, les déboires des vies dans les espaces restreints des studios et des couples, l’album n’enferme pas son sujet, mais dessine sans cesse des paysages sonores où la voix conte autant qu’elle « portraitise ».

Les corps sombrent chaque nuit lestés par l’habitude
Burins, rocs, éclats et projections d’espaces
Copeaux du réel, grains de ciment qui parcourent les poches et les replis de vestes
J’affûte chaînes et lames, pointeroles et ciseaux

Sangue
Entreprise

Vitalité du texte

Les textes – écrits principalement par Pierre, même si Félix Jousserand, slammeur et poète, a aussi écrit deux titres, dont le remarquable Tanger – résonnent d’une mélancolie aussi vive que joyeuse. Si le climat se réchauffe ou que l’air est contraint, la voix, elle, ouvre et souffle, porte à l’oreille tous les rétrécissements du monde autant que les panorama possibles et respirables.

« L’écriture peut être très longue, confie Pierre, mais c’est un travail progressif, nourri par le rap et la poésie. » Pèle-mêle, on retrouve des influences multiples : des doubles-sens dignes des textes de Bashung à la douceur d’un Dick Annegarn.

Face à la peur, donc, Sangue offre le disque d’une vitalité heureuse – malgré ses malheurs – et technicienne dans ses exigences musicales.

Vous comprendrez quand vous aurez goûté
Vous reviendrez sans cesse entre le chien et la laisse
Pour écouter la messe, pour contempler la masse
Je vais et je viens entre la dérive et la grâce
Je ne vous fais pas pas l’aumône
C’est moi qui vous le donne ce profilé en chrome
Vous en aurez des tonnes
Je vous en donnerai des tonnes et encore davantage

Sangue
La Prophétie

Contaminations positives

Mais produire une chanson est aussi un rapport à la contrainte. Pour Nicklaus, dont les innombrables machines veillent avec bienveillance sur le studio, le but de ce processus est d’abord de « se faire oublier », de « créer des invisibles », d’ouvrir la chanson aux kaléidoscopes des sons possibles. Un véritable travail d’artisan : « il faut polir, polir », être un « tailleur de pierre ». Ou plutôt des tailleurs de pierre dont le but serait de faire naître du synthétique et des machines une texture et une vie propre, forcément plurielle.

Car, pour Sangue, la création est d’abord un « processus collectif », « subtil et délicat » : « Une chanson naît parfois d’une erreur. » Il y a des « intentionnalités secondaires » à saisir ; un essai à la batterie sur laquelle une voix se pose, un synthé qui s’amuse. Parfois, la chanson naît d’un instant particulier, comme la très belle Mamie, écrite il y a 15 ans, devenu le cri doux d’une voix à la Radiohead, prise en une seule prise.

Les « contamination peuvent être positives », résume Timothée. Entre l’association Zebrock qui épaule Pierre depuis 2015 – « Le collectif, c’est aussi une question de durée » –, la collaboration avec le réalisateur Laurent Gatignol (Bernards Lavilliers, Air, Gaetan Roussel, Justice) qui se traduit par l’album À vendre (2016), Sangue est aussi l’histoire d’influences croisées.

Pour Empeureur c’est « Yvan Cahagne qui coréalise et mixe l’album où, avec le label Prolifix, il a tissé un fil d’Ariane entre la musique et le projet global ». Comme un juste remède à l’hiver finissant, l’album sera disponible en mars 2023.

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Article rédigé par
Hugo Mangin
Hugo Mangin
Journaliste