Le 18 novembre est paru Diluées, une anthologie d’imaginaire érotique et queer aux éditions ActuSF.
Les sept nouvelles, inédites, se proposent de « raconter la réincarnation de l’érotisme » dans des univers qui appartiennent aux genres littéraires de l’imaginaire (fantasy et science-fiction) et font ainsi (re)découvrir des époques et des lieux aussi divers que les sensualités qui les habitent.
Le lectorat est ainsi amené à explorer la planète Titan, de ses gratte-ciels aseptisés à la scène punk de ses bas-fonds, les océans de notre propre monde aux côtés d’un équipage pirate, le Paris de l’exposition universelle de 1889, les abords d’une manifestation anti-nucléaire montpellieraine qui pourrait avoir lieu demain, les pentes d’une montagne farouchement protégée par le dragon qui y a élu domicile, une chambre secrète au sein de l’« Alphaverse » (une société humaine à trois genres), les territoires découverts par un peuple primordial au gré d’un désir de navigation que rien ne semble pouvoir arrêter…
Conçu comme un « fix-up de nouvelles écrites en cadavre exquis », le recueil Diluées est traversé par une tension permanente entre peurs et désirs – de l’eau, de façon assez littérale, mais de l’autre également.
L’imaginaire pour accompagner la réalité
La diversité des points de vue – au niveau des parcours d’écriture et des trajectoires personnelles, parfois militantes, pour certaines au cœur de plateformes communautaires dynamiques (voir par exemple la chaîne YouTube de Mx Cordélia ou le site internet de Planète Diversité) –, si elle conduit à un ensemble de textes parfois inégal, permet aussi la richesse des représentations proposées.
Se côtoient ainsi « lesbiennes, asexuelles, trans, bi, gay, sans nom, entre les deux, entre tout ça, cachées, joyeuses, moelleuses, humides, brutales, rêvées, douces », pour reprendre les mots de l’éditrice Zoé Laboret dans son avant-propos, au sein de récits tour à tour tendres, passionnés voire angoissants.
L’anthologie est par ailleurs aux prises avec des questionnements contemporains et concrets qui dépassent les seules identités queer : rapports de pouvoir au sein du couple et consentement, utilisation des IA et pornographie, conséquences à court et long terme de l’impérialisme et du colonialisme, dangers du nucléaire et des logiques capitalistes ; face à tout cela, les stratégies intimes et collectives qu’il est possible d’imaginer.
Se réapproprier les représentations
De façon notable, la plupart des textes interrogent également à leur manière la possibilité et les modalités de l’expression de subjectivités et de désirs féministes et queers. Les personnages de la nouvelle de Morgane Stankiewiez rejouent ainsi, sur un mode quasi-parodique, le mythe sumérien d’Ereshkigal et Ishtar, et en tirent une relecture qui privilégie la solidarité féminine à l’affrontement, l’expression des passions et de la créativité à l’isolation et à la complaisance.
Les personnages de Morgan of Glencoe trouvent eux aussi dans l’art, la musique de nouveau, les premières pierres d’un effort de communication et d’ouverture qui nécessite la sortie de son propre espace, linguistique notamment. Le personnage focalisateur de Cordélia exemplifie le gouffre, parfois traumatique, entre discours officiel et expérience individuelle, tandis que les chevaleresses de Nadège Da Rocha déplorent la tradition littéraire qui privilégie certaines histoires et rend héroïque la violence ; elles retournent, seules, les attentes que l’on pourrait avoir face à un récit chevaleresque.
Alpha Beauty de Théodore Koshka associe une nouvelle grammaire et son genrage ternaire à une réflexion sur les codes de la fiction « A/B/O » et, plus largement, sur la violence inhérente à un système qui hiérarchise les êtres selon leur supposée nature. Le texte conclusif signé par J. M. Corrèze, narré à la première personne par une entité omnisciente, non genrée et hybride, explore enfin la capacité de métamorphose des symboles et des mythes autant que du désir.
Diluées, Collectif, ActuSF, 350 p., 10,90 €. En librairie depuis le 18 novembre 2022.