Entretien

Tom Odell : “J’essaie d’écrire ce que je ressens avec la plus grande honnêteté possible”

05 novembre 2022
Par Sophie Benard
Tom Odell : “J'essaie d'écrire ce que je ressens avec la plus grande honnêteté possible”
©DR

Alors que son dernier album, Best Day of My Life, vient de sortir, nous avions profité du passage de Tom Odell à Paris en septembre dernier pour lui poser quelques questions. Il s’apprêtait à jouer le soir-même sur la scène du Trianon : c’est un chanteur rieur et chaleureux qui nous a accueillis dans sa loge.

On a déjà pu entendre quelques chansons de votre prochain album, Best Day of My Life [disponible depuis le 28 octobre 2022, ndlr] – Best Day of My Life, donc, Sad Anymore, Flying :)) ou encore Smiling All The Way Back Home – et on a l’impression que c’est un album qui se veut plus porteur d’espoir, qui contient plus de joie que le précédent. C’est ce que vous diriez aussi ?

Oui, je dirais qu’il y a plus d’optimisme dans les chansons de cet album. Même juste dans les titres : Smiling All The Way Back Home, Best Day of My Life… Et dans les textes aussi, oui, je crois qu’il y a de l’espoir.

Était-ce un challenge pour vous d’écrire des chansons moins mélancoliques que sur vos précédents albums ?

Pour être honnête, quand j’écris je ne pense pas vraiment à ce à quoi le public va pouvoir ou non s’identifier. J’essaie juste d’écrire ce que je ressens avec la plus grande honnêteté possible – et c’est surtout ça le challenge, de dire quelque chose de vraiment honnête.

C’est ce que dit Hemingway : “All you have to do is write one true sentence.” C’est ce que j’ai toujours essayé de faire, et c’est ce qui est extrêmement difficile, parce que nos esprits, nos ego essaient toujours de nous convaincre que les choses que nous ressentons ne sont pas vraies.

Mais ce qui m’impressionne, c’est que le public sait toujours ce qui est vrai ou non. Quand on rassemble des gens dans une pièce, à un concert par exemple, c’est toujours impressionnant de voir leur capacité à comprendre la vérité. On le voit même sur les réseaux sociaux : les vidéos qui explosent, qui font le buzz, ce sont les plus vraies, les plus honnêtes, les plus viscérales.

Ça, ça me fascine, vraiment. Quand on fait quelque chose d’humain, on peut connecter avec les gens. Je ne sais pas exactement sur quoi ça repose… Ça peut être juste une façon de chanter ou de jouer de son instrument ; c’est juste l’expression d’un vrai sentiment.

Je vous ai beaucoup entendu parler de vos influences musicales, mais jamais de vos influences littéraires. Pourtant, je suis sûre que quelqu’un qui écrit des chansons est aussi forcément un amateur de littérature. Que lisez-vous ?

Oui, bien sûr ! Je suis obsédée par la littérature, je lis beaucoup de fictions. Je suis aussi intéressé par la musique que par la littérature, en fait.

Cette année, j’ai lu Underland, de Robert Macfarlane. C’est un auteur britannique que j’ai eu la chance de rencontrer J’ai été super impressionné ! [Rires] C’est vraiment un écrivain génial, j’adore ses livres. J’ai aussi lu récemment A Little Life, de Hanya Yanagihara.

En fait, quand j’ai arrêté l’école, vers 17 ou 18 ans, pour poursuivre dans la musique, j’ai décidé que j’allais m’éduquer moi-même, en quelque sorte… Alors j’ai lu beaucoup de classiques : John Steinbeck, George Orwell, Fitzgerald, Sylvia Plath…

« Je suis aussi intéressé par la musique que par la littérature, en fait. »

Tom Odell

La littérature peut-elle, au même titre que la musique, vous inspirer ?

Oh oui, à 100 % ! Pour écrire des chansons, pour mettre des mots sur de la musique, il faut être très économe : on n’a pas beaucoup de place pour dire ce qu’on veut exprimer, donc il faut être très prudent sur les mots qu’on utilise. C’est comme un muscle : plus on l’utilise, plus on est fort. Et je pense que lire fait autant partie de l’entraînement qu’écrire.

J’ai même déjà essayé d’écrire un livre, mais… ça a été un désastre ! [Rires] C’était super mauvais, vraiment.

Vous parlez assez librement de santé mentale, et je vous ai entendu expliquer plusieurs fois que la tristesse était très inspirante pour vous. Comment expliquez-vous que vous soyez encore capable d’écrire quand vous allez mal ? On pourrait croire que plus on se sent mal, moins il est possible de créer…

Ah, c’est intéressant. J’ai connu des moments où j’ai dû arrêter. Je ne pouvais plus rien faire ; il fallait que je reparte à zéro, en quelque sorte. Mais c’est vrai que j’ai quand même écrit sur ma dépression et sur mon anxiété, surtout dans Monsters. J’ai même commencé à faire l’album, avant d’arrêter parce que je ne pouvais plus aller au studio : j’avais tout le temps des crises d’angoisse… Donc oui, ça peut aller mal au point qu’on ne peut plus rien faire.

Bon, il faut être prudent quand on dit ça, mais je crois qu’il y a toujours, tous les jours, tout le temps, un mélange entre la tristesse et la joie. On alterne toujours entre les deux, parfois c’est plus l’une que l’autre, mais l’une ne va pas sans l’autre.

Je crois que j’ai toujours plus appris de la souffrance, j’ai toujours plus facilement écrit sur la souffrance… Mais dans Best Day of My Life, par exemple, il y a une sorte de sérénité, de sentiment de paix. Je cherchais à transcrire ce sentiment ; ça fait des années que je fais de la méditation, et que je veux faire de la musique qui s’inspire de ça. C’est la première fois que j’y arrive !

Quand j’ai composé Best Day of My Life, j’écoutais de la musique qui… crée de l’espace – je pense à Philip Glass, par exemple.

Je lisais récemment un livre de Jenny Odell – on s’appelle pareil, mais je n’ai rien à voir avec elle ! –, How to Do Nothing. Ça parle de la façon dont notre attention est sans cesse sollicitée, par les informations, les réseaux sociaux, etc. On est inondés tous les jours avec tellement d’informations…

Et justement, je voulais faire l’opposé de ce qui se fait en ce moment, y compris dans la musique ; je voulais mettre moins d’informations, être plus minimal, pour créer de l’espace. J’espère vraiment que c’est ce que vous entendrez quand vous l’écouterez, que vous entendrez l’espace plus que n’importe quoi d’autre.

Donc ce n’était pas du tout la même démarche que pour votre album précédent [Monsters, 2021, ndlr] ?

Non, le précédent c’était l’opposé ! C’est un album très fou ; c’est presque comme du sucre ou du café. Il est abrasif. Et ce n’est pas celui que je préfère écouter, pour être honnête.

Tom Odell, Monsters (2021).

Ce n’est pas mon préféré non plus !

[Rires] J’en suis fier, hein ! Il est vrai, il est réel : il reflète la façon dont je me sentais à l’époque. Alors il peut être abrasif, je peux ne pas vraiment l’aimer… mais j’en suis fier quand même.

Oui il ressemble à une sorte d’expérimentation…

Oui, c’est un album… troublé !

Vous avez commencé à écrire des chansons très jeune. J’ai toujours été frappée par le fait que vos textes ne contiennent jamais la moindre phrase misogyne – ce qui est assez rare pour être remarqué. Comment l’expliquez-vous ?

Je crois que j’ai la chance d’avoir grandi dans un environnement où l’amour n’était pas lié à la domination. Si je suis honnête, je crois que j’ai grandi en ayant perpétuellement le cœur brisé : je ressentais plutôt l’inverse. [Rires]

C’était avant MeToo, mais je ne ressens pas vraiment de changement, depuis, dans mon écriture. C’est peut-être surtout parce que je crois que mes chansons ne parlent pas des femmes. Ce qui m’intéresse, c’est l’amour, le fait qu’on ait tous la capacité d’un sentiment si fort. Je ne parle pas des femmes, ni même de sexe, mais toujours d’amour. Ça pourrait être des amours hétérosexuelles aussi bien qu’homosexuelles…

Ce qui m’intéresse vraiment, c’est ce mélange entre la joie et la peine, dans l’amour. Parfois quand je suis avec ma compagne, je me sens à la fois fou d’amour, donc très heureux, et en même temps très triste… Peut-être parce que je sais qu’un jour l’un de nous deux sera mort. C’est peut-être de la mélancolie. Et quand j’écoute mes premières chansons, j’entends que c’était déjà ce qui m’intéressait à l’époque.

C’est aussi ce qu’on trouve chez D.H. Lawrence, par exemple, ou chez… Attendez, je cherche un auteur français… C’est de qui, déjà, Bonjour tristesse ?

Françoise Sagan !

Oui voilà, Françoise Sagan !

En fait, je crois que les grandes œuvres, qu’elles soient littéraires ou musicales, explorent toutes ce sentiment d’amour très profond. C’est quelque chose d’incompréhensible : on ne peut pas expliquer pourquoi on se sent comme ça, il y a presque quelque chose de divin…

« Je crois que les grandes œuvres, qu’elles soient littéraires ou musicales, explorent toutes ce sentiment d’amour très profond. »

Tom Odell

Êtes-vous de plus en plus intéressé par l’écriture de textes plus engagés, plus politiques ?

Oui, en quelque sorte. Je m’intéresse au monde, à ce que ça veut dire d’être humain. Mais je crois que je préfère toujours rester dans quelque chose d’émotionnel.

Quand j’essaie d’être ambitieux, d’écrire sur des choses qui m’intéressent d’un point de vue plus cérébral, j’ai l’impression que c’est moins bien. Je crois juste que ma tête est moins sage que mon cœur. Mon cœur est bien plus capable de sens !

Il y a une chanson sur Monsters que j’aime beaucoup et dont je suis fier : Streets of Heaven. Je me place du point de vue d’un étudiant qui assiste à une fusillade dans son école. Je crois que c’est plutôt réussi. Dans Queen of Diamonds aussi, je crois que j’essaie de comprendre comment je me sens à propos du monde. Mais ce n’est pas ce que je fais de mieux : j’étais peut-être un peu jeune à l’époque, pas forcément clair sur mes propres opinions…

En fait, ce sont des sujets où je préfère écouter que parler. On est dans un monde où on est toujours encouragés à parler, à donner notre opinion… mais pas à écouter. Je crois que la polarisation de la politique qu’on vit en ce moment est vraiment contre-productive : on est juste tout le temps en train de s’engueuler sur tout… Et ça me donne plutôt envie de rester loin de tout ça ! [Rires]

Tom Odell, Best Day of My Life (2022).

Best Day of My Life, de Tom Odell. Disponible depuis le 28 octobre 2022.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste