Une biographie dessinée consacrée à Gisèle Halimi rejoint ce mois-ci les rayons BD : un roman graphique tout en convictions et tendresse.
Simone Veil, Simone de Beauvoir, les signataires du Manifeste des 343… Les romans graphiques qui propulsent dans la lumière les figures de femmes militantes et engagées se multiplient. Dans ce panthéon, il manquait un nom, celui de Gisèle Halimi. La publication d’Une farouche liberté, qui s’inspire du livre d’entretiens éponyme paru en 2020 juste après le décès de la célèbre avocate, vient combler ce vide.
« À notre époque, nous manquions d’héroïnes. Quand on ouvrait nos livres d’histoire, on ne parlait que de Jeanne d’Arc ou de Marie Curie. En dehors de ça, que des hommes, déplorent à l’unisson les autrices. Il est temps que les petites filles se trouvent des mentors et des modèles inspirants, et que les petits garçons se rendent compte que les hommes ne sont pas les seuls créateurs. »
D’avocate à héroïne des temps modernes
Et la célèbre avocate a d’ailleurs tout d’une héroïne de bande dessinée ! « Au fil du récit, on voit se forger son caractère rebelle, qui remet tout en cause, ainsi qu’une incroyable volonté de rectifier les injustices », explique Annick Cojean, la journaliste qui a mené le livre d’entretiens paru chez Grasset dont s’inspire le roman graphique.
C’est même le succès de son livre auprès d’un public jeune qui l’a motivée à se lancer dans ce travail d’adaptation : « Je trouve que le roman graphique ouvre des possibilités extraordinaires : dans ces pages, Gisèle Halimi parle, on la voit courir, sacrifier sa vie de famille, on la sent perplexe. Je crois que cela va la rendre plus humaine et la rapprocher encore davantage des lecteurs », espère Annick Cojean.
Le médium dessiné permet en effet de porter le récit un peu plus loin que dans les entretiens. « Les choix que nous avons faits en termes d’adaptation étaient toujours sur le fil. Il fallait à la fois respecter les messages, mais aussi les traduire en images, la ligne de crête était assez étroite, mais c’était passionnant. Parfois, une anecdote de quelques lignes allait prendre deux ou trois planches. Ce qui est chouette c’est de la mettre en image, de l’imaginer en mouvement, de lui rendre vie », renchérit Sophie Couturier.
Rendez-vous dans l’intimité de Gisèle Halimi
Dans Une Farouche Liberté, on redécouvre ainsi les moments forts de la carrière d’avocate de Gisèle Halimi, comme le procès de Djamila Boupacha en 1960, le procès d’Aix en 1974 (sur le viol), sans oublier l’emblématique procès de Bobigny en 1972 qui marquera un tournant dans l’histoire du droit à l’avortement en France.
Les autrices ont d’ailleurs accordé un grand soin à la précision historique. « Les phrases et les dialogues de nos personnages sont directement inspirés des archives et même de la sténotypie du procès de Bobigny, afin de retranscrire les propos exacts », souligne Annick Cojean.
Mais le roman graphique parvient aussi et surtout à faire vivre Gisèle Halimi dans sa vie de femme. D’abord, graphiquement, Gisèle Halimi se transforme avec le temps. « La dessinatrice Sandrine Revel a beaucoup travaillé là-dessus. On la voit, par exemple, passer par ses différentes coupes de cheveux », précise Sophie Couturier. Le scénario fait également la part belle à l’intimité de l’avocate : « Nous voulions faire vivre un personnage. On s’est alors amusées à imaginer les scènes avec Simone de Beauvoir, les dîners où elle faisait du couscous pour Claire Bretécher et Henri Cartier Bresson. On voulait décrire des moments drôles, entre femmes et en famille. »
« On avait envie de rappeler qui elle était vraiment. À quel point ses combats bénéficient encore à chacun·e de nous. »
Annick Cojean et Sophie CouturierAutrices
Ce sont les pages où Gisèle vit, petite fille, en Tunisie, ou découvre les rues de Paris au cours de ses études, avant de retrouver le palais de justice de Tunis, cette fois comme jeune avocate. Mais le plus touchant, ce sont les planches qui mettent en scène une Gisèle amoureuse, mère de trois garçons et entourée des “filles“ de Choisir la cause des femmes, son mouvement créé en 1971 pour défendre les femmes impliquées dans des affaires d’avortement.
La plus-value de cette bande dessinée, c’est indéniablement le duo d’autrices qui en signent le scénario. Annick Cojean comme Sophie Couturier ont en effet connu et côtoyé Gisèle Halimi. L’une comme journaliste et l’autre comme militante à Choisir. « On l’a vue vivre, s’exalter, se mouvoir, on connaissait ses manières, ses gestes, sa vivacité. On avait envie de rappeler qui elle était vraiment. À quel point ses combats bénéficient encore à chacun·e de nous. »
Si le projet d’un hommage national rendu à Gisèle Halimi reste flou, Annick Cojean et Sophie Couturier prennent les devants : avec ce très beau roman graphique, elles rendent accessible à toutes et tous le discours de cette avocate hors du commun.