[Rentrée littéraire 2022] L’autrice et dessinatrice Blandine Denis publie une nouvelle bande dessinée, Réveille-toi bordel !. Un album étonnant, sous forme de journal intime énervé, entièrement réalisé au stylo BIC et qui interroge l’injonction au bonheur.
Un titre façon sonnerie matinale dans l’urgence – Réveille-toi Bordel ! –, puis une énergie qui jamais ne décline tout le long de son journal graphique : c’est la patte de Blandine Denis. L’autrice et dessinatrice y met en scène les raisons de ses colères, dans de courtes planches alternant prose assumée et passages poétiques. Elle poursuit là un questionnement déjà entamé dans sa précédente BD, parue en 2021, Va te coucher, demain tu m’aimeras (éd. Lapin).
Essai colérique
Blandine Denis pousse un coup de gueule. Ce qu’elle ne supporte plus ? Les gens qui parlent fort dans le métro, les tensions familiales lors des repas de Noël, les mecs toxiques, les diktats sur la féminité et l’impératif à « réussir » sa vie. Mais, dans cette BD aux allures de journal intime, Blandine Denis s’attaque, plus spécifiquement, à la montagne de « la dictature du bonheur ».
Avec la curiosité d’une anthropologue, elle dissèque alors les nombreuses injonctions à être heureux, qui passent notamment par le développement personnel, et qui nous assaillent dans « cette société individualiste et errante », écrit-elle. « Je me suis rendu compte à la fin de l’album que j’étais encore très sceptique, moqueuse et cynique à ce “pourquoi” il faut que je sois heureuse. Ce n’est pas si grave si je ne le suis pas complètement », confie l’autrice. Un cheminement introspectif amorcé dans son premier album et qui fleurit dans le second. « Je voulais continuer la réflexion du premier, mais apporter quelque chose de plus lumineux. Il y a beaucoup de colère et de désespoir dans le premier. Dans le deuxième, j’ai voulu trouver des solutions », explique-t-elle.
Et si le bonheur H24 n’existe pas, la mélancolie ne prend en effet pas le dessus dans Réveille-toi, Bordel !, qui propose un discours rafraîchissant à l’humour mordant.
Gribouillage artistique
Du dessin détaillé au simple croquis, la palette de Blandine Denis est généreuse. Mais sa spécificité, c’est son outil de travail : le stylo BIC 4 couleurs. Celui qu’on a tous utilisé pour gribouiller sur nos copies doubles à petits carreaux pendant les années collège-lycée, les années de rébellion adolescente.
Elle, elle ne l’a jamais lâché et, du même coup, n’a pas capitulé sur le côté rebelle… « Le stylo BIC, je l’ai toujours dans la poche », admet-elle. Au-delà de sa dimension pratique, le BIC amplifie le côté énervé du message de Blandine Denis et lui donne une dimension spontanée et percutante. Le principe du coup de gueule. « Avec le BIC, je vais à l’essentiel. J’aime bien le trait un peu brut, un peu écolier, un peu cheap, pas très sexy, on ne s’attend pas à ce qu’on puisse faire des propositions de dessins avec un stylo BIC. J’aime bien prendre ce contre-pied-là. » Un alliage parfait entre le fond et la forme : « J’aime me dire que je ne mets pas de frontière entre l’écriture BD, l’écriture au ton enfantin moins travaillée et une écriture plus poétique où je travaille davantage le rythme. »
Armée d’un simple BIC, Blandine Denis parvient à nous emmener sur le terrain de la remise en cause, de la réflexion quasi philosophique. Et c’est d’autant plus fort que si le lecteur ressort convaincu que le bonheur ne saurait être une réalité constante comme le lui martèle Blandine Denis, il l’aura au moins touché du doigt au travers de ces 192 pages.
