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Jets privés, rejet public : le flight tracking, nouvelle arme des écolos

02 août 2022
Par Marion Piasecki
Le compte laviondebernard fait chaque mois un récapitulatif des vols de Bernard Arnault sur un globe 3D.
Le compte laviondebernard fait chaque mois un récapitulatif des vols de Bernard Arnault sur un globe 3D. ©laviondebernard

Faites-vous partie des Français qui sont partis en vacances près de chez eux pour limiter leur coût et leur impact carbone ? Bernard Arnault, non. Le suivi en temps réel de jets privés dénonce l’irresponsabilité des plus riches en matière de pollution.

L’avion est certes un moyen de transport rapide, mais il est aussi très polluant. Au point que des Européens et Nord-Américains, soucieux de l’environnement, ressentent du flygskam. Cette honte de prendre l’avion – habilement traduite en avihonte par les Québécois – a un impact sur de nombreuses personnes qui décident de changer leurs habitudes. Selon un sondage réalisé par UBS auprès de 6 000 personnes en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, une personne sur cinq a décidé de réduire son nombre de déplacements en avion en conséquence. Mais le flight tracking montre que certains s’en préoccupent beaucoup moins.

De la curiosité au militantisme

Les sites de suivi d’avions en temps réel ne datent pas d’hier. L’un des plus connus, FlightRadar24, existe par exemple depuis 2006. Il est alimenté par plus de 13 000 bénévoles dotés de récepteurs ADS-B qui permettent de suivre les avions. Servant principalement à savoir où en était le vol d’un proche ou à satisfaire la curiosité de passionnés d’aviation, l’utilisation de ces données à but militant est bien plus récente et, surtout, involontaire.

Le compte Twitter @ElonJet a été créé en juin 2020 non par un activiste écologiste qui déteste Elon Musk, mais au contraire par un adolescent intéressé par Tesla, l’aviation et l’espace. L’Américain Jack Sweeney a rapidement dérangé Elon Musk avec cette initiative. Le milliardaire lui a demandé de supprimer le compte pour des raisons de sécurité – « Je n’aime pas l’idée de me faire tirer dessus par un taré, » lui a-t-il lancé – en allant jusqu’à lui proposer 5 000 dollars. L’étudiant, expliquant qu’il l’admirait, ne s’est pas laissé impressionner pour autant et lui a donné trois options : 50 000 dollars, une voiture Tesla Model 3 ou un stage dans son entreprise. Aujourd’hui, le compte est toujours actif.

S’il avait lancé ElonJet par simple curiosité, Jack Sweeney a depuis créé une entreprise spécialisée dans le suivi d’avions de célébrités et de milliardaires avec des comptes comme CelebJets, Corporate_Jets ou encore PutinJet. L’idée a inspiré des Français, qui ont initié @laviondebernard, dédié au PDG de LVMH Bernard Arnault, sur Instagram et Twitter. Ce dernier avait dès le départ pour but de dénoncer ses vols en jet privé quasi quotidiens : en juillet 2022, il a par exemple consommé 133 tonnes de CO2 en jets privés, soit 13 ans d’empreinte carbone d’un Français moyen. Jack Sweeney veut aussi satisfaire ses abonnés écologistes en ajoutant désormais d’autres données comme la quantité de carburant utilisée, son coût et son empreinte carbone.

Sous les paillettes, la pollution

Le flight tracking montre aussi les excès des célébrités : Kylie Jenner, la sœur de Kim Kardashian, a fait un vol de seulement trois minutes en Californie le 19 juillet, tandis que la chanteuse Taylor Swift a utilisé son jet privé 170 fois depuis le début de l’année. Depuis que ces données sont affichées partout dans les médias et sur les réseaux sociaux, l’étalage de richesse et de voyages en tous genres par les célébrités sur Instagram devient de plus en plus problématique auprès de leurs fans. Si quelques-uns tentent encore de défendre des vols de quelques minutes en invoquant des raisons de sécurité, les réactions sont généralement partagées entre indignation et moqueries.

« Taylor Swift, Kim K[ardashian] et Kylie [Jenner] qui voient qui peut arriver au Starbucks en premier. »

Publier ces données montre une fois de plus, si besoin était, le gouffre entre les recommandations et restrictions appliquées à la majorité de la population et la surconsommation outrancière d’une minorité. Oui, cela peut donner l’impression qu’il faut faire des efforts non pour le bien commun et les générations futures, mais pour permettre à une poignée de personnes de faire n’importe quoi.

Mais cela sera-t-il suffisant pour détourner du culte de la richesse et de la célébrité, alors que ces individus ont parfois plusieurs millions d’abonnés sur les réseaux sociaux ? « Il faut développer un contre-discours qui montre que ce modèle de consommation est inepte et qu’il fout en l’air les chances de nos enfants de vivre dans un monde vivable, expliquait Matthieu Auzanneau du Shift Project à L’Éclaireur en mars dernier. Promouvoir la surconsommation est criminel. »

Pour polluer moins, il ne faudrait donc pas se limiter à l’avihonte personnelle mais opérer un changement profond des mentalités. Si ces célébrités sont des irresponsables qui se croient au-dessus du changement climatique, pourquoi les admirer ? Plus que suivre leurs jets privés, il faudrait peut-être simplement arrêter de les suivre… Tout court.

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Article rédigé par
Marion Piasecki
Marion Piasecki
Journaliste