Décryptage

Les chanteuses latinas : une influence grandissante

25 juillet 2022
Par Lisa Muratore
Les chanteuses latinas : une influence grandissante
©Gomillion&Leupold/RCA Records

Ces dernières années, les chanteuses latino-américaines sont devenues les ambassadrices de la musique latine à travers le monde. Une influence qui leur a permis de s’imposer sur la scène musicale internationale et de pérenniser un phénomène artistique et social.

Selena, Gloria Estefan ou encore Shakira : ces chanteuses latinas ont dominé les charts dans les années 1990 et 2000. Longtemps, ces artistes se sont faites les ambassadrices d’un genre musical aux multiples ramifications. Peu reconnue à l’époque, la musique latine a fini par se faire une place sur le marché de la musique.

Ses interprètes, notamment les artistes féminines, ont voulu replacer sur le devant de la scène leurs origines hispaniques. De la cubaine Camila Cabello à l’espagnole Rosalía, en passant par l’indétrônable Jennifer Lopez, elles ont toutes choisi de (re)définir leur image à travers leurs héritages culturels. Un choix et une stratégie qui ont permis d’ériger la musique latine en véritable phénomène mondial.

La musique latine : un phénomène culturel et social

L’explosion de la musique latine est récente et s’analyse de paire avec l’élection de Donald Trump, en 2016. Alors que son investiture reposait principalement sur la construction d’un mur entre le Mexique et les États-Unis, l’ex-homme d’affaires a en effet souvent pris publiquement pour cible la communauté hispano-américaine. Plusieurs artistes se sont alors engagés, à travers leur musique, et reflètent aujourd’hui ce mouvement social hérité de l’immigration.

La population latina, en Amérique, a toujours été très forte, et le besoin d’affirmer sa langue d’origine est devenu de plus en plus pressant ces dernières années. Les communautés ont agi comme un contre-pouvoir outre-Atlantique face aux propos et comportements racistes des élites, à tel point que plusieurs médias ont qualifié cette vague populaire et artistique de « Printemps Latino-Américain ».


L’impact de la musique latine est aussi une conséquence des réseaux sociaux et des nouvelles plateformes d’écoute. Le poids de personnalités comme la chanteuse de flamenco Rosalía ou encore la rappeuse argentine Nathy Peluso, suivies par des millions de followers sur Instagram et Spotify, n’a fait qu’accroître la portée de la musique latine. Ces techniques de communication influencent la jeunesse actuelle, démocratisent un phénomène d’identité, tout en dictant la marche à suivre de l’industrie musicale.

Car là où l’univers de la musique se concentrait principalement sur le marché anglo-saxon, désormais les sonorités latines représentent un secteur attrayant, comme le note Inma Grass, la directrice du label Altafonte.

L’influence des chanteuses latinas

La popularité de la musique latine doit aussi beaucoup à ses figures de proue : les chanteuses latinas. Bien que plusieurs artistes masculins aient émergé ces dernières années, comme Ricky Martin, Maluma ou encore Bad Bunny, ce sont principalement les performeuses hispaniques qui ont permis de démocratiser le genre. De la diva cubaine Gloria Estefan à la chanteuse pop brésilienne Anitta, elles représentent la diversité du genre d’hier et d’aujourd’hui.

Les artistes latinas ont su s’imposer sur la scène internationale notamment en participant à de grands événements culturels et sportifs. On peut citer la finale du Superbowl en 2020 lors de laquelle Jennifer Lopez et Shakira ont enflammé la scène durant la mi-temps ou, plus récemment, la performance de Camila Cabello lors de la finale de la Ligue des Champions.

Et ce n’est pas non plus un hasard si Jennifer Lopez a été choisie pour participer à l’investiture de Joe Biden en chantant le titre This Land is Your Land (1944) de Woody Guthrie. Reflet politique de l’ère post-Trump, ce symbole a aussi permis d’asseoir l’influence des chanteuses latinas dans le paysage musical mainstream.

Shakira et Jennifer Lopez durant le halftime show de la finale du Super Bowl, en 2020.©Kevin Winter/GETTY IMAGES/AFP

Car la musique latine ne limite pas son impact récent à la sphère politique et sociale, c’est évidemment un phénomène artistique massif, en témoigne sa reconnaissance durant les cérémonies de récompenses musicales spécialisées (Latin Grammy Awards) ou plus générales. 2022 n’a pas fait exception avec la révélation de l’année d’origine philippine, Olivia Rodrigo, et ses trois Grammy Awards récoltés au cours de la 64e édition.

Pour s’imposer, les chanteuses latinas multiplient également les collaborations avec d’autres interprètes. On pense au tube Girl Like Me (2020) de Shakira en featuring avec les Black Eyed Peas, au titre La Fama (2022) que Rosalía chante aux côtés de The Weeknd, ou encore à Bam Bam (2022) qui réunit Camila Cabello et Ed Sheeran.

Une américanisation de la musique latine

Une stratégie qui a poussé certaines chanteuses, cependant, à troquer leur identité culturelle au profit d’une américanisation de la musique latine. Bien qu’elle englobe plusieurs styles musicaux allant du reggaeton à la bossa nova, difficile en effet de ne pas percevoir une uniformisation des sonorités et des idées véhiculées dans les chansons. Elles n’ont pas toutes eu pour but de critiquer le système et leurs artistes font souvent irruption dans la musique populaire.

Par ailleurs, musique latine oblige, ces chanteuses ont toutes joué sur la touche sexy que le genre – mais surtout les a priori culturels – impose. Cela a permis d’en faire des stars planétaires. Néanmoins, et outre l’objectification de ces artistes, ceci pose un problème en termes d’identité culturelle. Le cas de Shakira est particulièrement signifiant : l’interprète de La Tortura (2005) a en effet considérablement retravaillé et lissé son image ces dernières années. Un choix qui lui a permis de rester sur le devant de la scène pop et d’y introduire des sonorités latinas, bien que cela marque aujourd’hui un certain écart avec son univers musical d’origine.

Certains voient cette stratégie comme un sacrifice, d’autres comme un moyen d’asseoir durablement la musique latine dans le paysage artistique. Quoi qu’il en soit, tous ces paramètres permettent au genre d’évoluer et de se pérenniser. Son impact est ainsi aujourd’hui comparable à celui du hip-hop dans les années 1990 : on parle ici d’un phénomène artistique, social et politique. La scène latina est toujours en pleine expansion et, tout en permettant à ses artistes de se réinventer en célébrant leurs héritages, elle devrait voir émerger de nouvelles interprètes.

Espérons simplement que cette (re)naissance ne s’enfermera pas dans les codes traditionnels de la musique pop et mainstream actuelle, mais qu’elle sera davantage l’occasion pour ces artistes d’exposer toute la diversité du genre.

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Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste
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