Ils ont changé le rock. Les Sex Pistols ont existé trois ans dans leur forme originelle et n’ont sorti qu’un album studio, mais ça leur a suffi pour tout casser. Un chaos jouissif que sublime la minisérie Pistol, moins punk, toutefois, que ses personnages.
Sur la scène du Zénith de Paris, le 21 mai dernier, après une tournée gigantesque en France, le groupe de rock La Femme chantait l’un des titres de son dernier album, Foutre le bordel. Si la bande a perdu de sa superbe surf punk des débuts, l’héritage perdure. Ce sont ces origines communes à La Femme et à tant d’autres groupes que décrypte la minisérie Pistol sur Disney +. Réalisée par Danny Boyle, cinéaste culte de Trainspotting et de La Plage, la création raconte la naissance et la carrière aussi frénétique et fulgurante que courte et déglinguée des Sex Pistols, pionniers de punk rock anglais à une époque où un rock planant séduit les hippies et une pop prédominante les midinettes.
Casting animal pour personnages sauvages
Au milieu des années 1970, le jeune Steve Jones, coquin délinquant, belle gueule, vie cassée, fait du rock avec ses potes. Sans grand talent sinon un charisme certain et la grande compétence à voler du beau matos, dont un micro embrassé des lèvres du légendaire David Bowie – fantôme parrain éternel de l’avant-garde artistique souvent cité, jamais aperçu dans la série.
Dans cette errance, dégoûté par ce que le rigide système anglais lui a imposé dans le passé et lui propose pour l’avenir, Steve rencontre lors d’un vol de fringues raté la créatrice Vivienne Westwood et l’arrogant Malcolm MacLaren, tout juste revenu d’une virée foirée avec les New York Dolls, précurseurs outre-Atlantique du punk.
Le voleur à la petite semaine les convainc de soutenir ses projets musicaux. MacLaren deviendra le manager de sa formation avec le batteur Paul Cook et la bassiste Glen Matlock, et en dessinera les contours, aidé de Westwood. Jusqu’à conceptualiser le punk à l’anglaise. Arriveront l’excentrique John Lydon, au regard noir et mouvements reptiliens saccadés, chanteur qui ne sait pas chanter, ainsi que l’emblème ultime de la période comme du mouvement naissant, Sid Vicious, bassiste qui ne sait pas jouer, décédé à 21 ans d’une overdose d’héroïne.
Une sacrée galerie de personnages auxquels s’ajoutent le journaliste critique rock toxicomane Nick Kent, chroniqueur englué dans tout ce que les Seventies compteront de flamboyant, infernal et détraqué, l’icône punk Pamela Rooke, ou les chanteuses Chrissie Hynde et Siouxsie Sioux. Des noms qui bénéficient ici d’un casting frais, animal et électrique pour les porter : ensorceleur Toby Wallace pour Steve Jones, envoûtante Sydney Chandler pour Chrissie Hynde, frêle et agité Anson Boon pour John Lyndon, manipulateur et glam Thomas Brodie-Sangster pour Malcolm MacLaren, distante Talulah Riley pour Vivienne Westwood, chahuteur Louis Partridge pour Sid Vicious, toxique Emma Appleton pour Nancy Spungen…
Ériger la mythologie
Exagérer les caractères et compiler les faits pour de la réalité, ériger la mythologie, la légende, voilà la grande réussite de Pistol. Un scénario qui n’a pas peur non plus d’insister sur le grand paradoxe du punk anglais naissant : dans un Royaume-Uni réactionnaire et poussiéreux, la jeunesse veut brailler et tout casser, oui, mais ce sont une créatrice de mode et un dandy commercial qui ont conçu le mouvement punk, qui ont engrangé la révolution à base de slogans léchés et d’événements provocateurs. Ce sont eux qui ont su générer et canaliser la colère en gérant quelques affreux enragés et abîmés. À eux deux, Vivienne Westwood et Malcolm MacLaren ont façonné le punk. Deux avant-gardistes qui voulaient fracasser l’establishement britannique.
Mais la série souffre d’une narration trop linéaire et d’un cachet vintage trop travaillé pour transmettre la fureur de gamins ingérables qui ont embrasé leur pays. Peut-être une des raisons qui, dès le départ, a poussé John Lyndon à refuser de prendre part d’une quelconque manière au projet. Empreinte d’une nostalgie certaine pour des années ivres et effervescentes, Pistol embarque dans une virée rock fiévreuse, mais ne fout pas assez le bordel.