Source d’inspiration pour les compositeurs classiques du XIXème siècle, voici l’Inde de pacotille et de carton-pâte de « Lakmé » et de « La Bayadère ». Au XXème siècle l’intérêt pour l’Inde gagne en authenticité, grâce à une meilleure connaissance du pays et de sa culture. Les compositeurs s’intéressent aux textes sacrés, aux auteurs, ou même au système musical comme Phil Glass. Ces emprunts, fidèles ou non à la « vraie » culture indienne m’ont donné l’idée de ce parcours « classico-exotique »…
L’Orient a depuis longtemps inspiré les musiciens occidentaux. Au XVIIIème siècle, l’Orient à la mode est plutôt à rechercher en Chine ou en Turquie (comme dans la musique du Bourgeois Gentilhomme de Lully), on cherche aussi l’évasion aux Amériques, comme c’est le cas pour les Indes Galantes de Rameau. Mais, au XIXème siècle, l’intérêt se porte aussi vers l’Inde, avec laquelle l’Europe a plus de relations. Le pays charme et fascine, sans être toujours ni très bien connu, ni très bien compris. Mais c’est un point de départ pour l’imagination.
La fascination pour un pays et une culture incompréhensibles est ainsi le point de départ de plusieurs opéras et ballets. Dans Lakmé de Léo Delibes, le jeune officier colonial John Smith tombe amoureux d’une très jeune fille brahmane, Lakmé (une déformation française du prénom sanskrit Lakshmi). La jeune fille meurt d’amour au départ de son soupirant. Le livret est en fait librement inspiré d’un roman de Pierre Loti, Le mariage de Rarahu. Pour George Bizet, c’est au Sud du sous continent indien, sur l’île de Ceylan, que se déroule sa tragédie Les pêcheurs de perles, opéra sur l’amitié de deux pêcheurs Nadir et Zurga et leur amour commun pour Leïla, prêtresse Brahmane qui a fait vœu de chasteté. Franz Schubert trouvera aussi en Inde l’argument de son opéra Sakontala. Composé sur un livret de son ami Johann Philipp Neumann, Sakontala s’inspire de la traduction allemande, très appréciée de Goethe d’un drame du poète indien du IVème siècle Kalidasa, La reconnaissance de Sakuntala. Ce drame conte les amours contrariés du roi Dushyanta et de Sakuntala, fille adoptive d’un sage, ils seront séparés et finalement de nouveau réunis. C’est aussi en Inde, que le compositeur russe Léon Minkus puisera l’idée de son ballet La Bayadère, histoire improbable des amours interdits de Nikiya, danseuse de temple, (bayadère ou devadasi), et du guerrier Solor, que son chef le Rajah de Golconde destine à sa fille la princesse Gamzatti.
Au XXème siècle, les contacts avec l’Inde sont plus étroits et plus directs. Les musiciens ont accès aux textes classiques et s’en inspirent, comme l’anglais Jonathan Harvey. D’autres, lors de séjours en Inde, s’initient à la musique classique indienne, du Sud, comme le français Jacques Charpentier, ou du Nord, comme l’américain Phil Glass. En effet pour Phil Glass, sa rencontre avec le musicien Ravi Shankar en 1966 et la découverte de la musique indienne, seront décisifs et influenceront sa façon de composer puisqu’il s’inspirera des procédés rythmiques, cycliques et répétitifs de la musique d’Inde du Nord. Dans son opéra Satyagraha, terme que l’on traduit généralement par non-violence, Phil Glass évoque un épisode de la vie de Gandhi. Alors installé au sein de la communauté indienne d’Afrique du Sud, Gandhi prend conscience de la nécessité de défendre son peuple contre les discriminations des africaners et élabore sa doctrine de la résistance non-violente comme moyen de combat. Cet opéra est le deuxième volet d’une Trilogie dans laquelle Phil Glass évoque de grandes figures ayant, selon lui, influencé l’humanité, après Einstein on the beach et avant Aknaten.
Le dernier opéra que je souhaite évoquer, sans doute mon préféré de cette liste avec Lakmé, est The flowering tree de John Adams. Le livret, écrit par John Adams et Peter Sellars, s’inspire d’une légende du Karnataka, région du sud de l’Inde. Ce quatrième opéra a été créé en 2006 à Vienne pour commémorer le 250è anniversaire de la naissance de Mozart. John Adams, rendant hommage à la Flûte enchantée a choisi un thème mêlant magie et cheminement mystique qui trouvera comme pour Tamino et Pamina, les héros mozartiens, son accomplissement dans l’amour. Kumudha, jeune fille pauvre a le pouvoir de se transformer en arbre qui donne des fleurs merveilleuses. C’est ce qui séduit un prince qui l’épouse. La jalousie de la sœur du prince transforme Kumudha en un être hideux et méconnaissable mi-humain mi-arbre. Au bout de bien des souffrances et d’un heureux hasard (mais est-ce bien un hasard ?), le couple se trouvera de nouveau réuni.
Même si les références diffèrent avec le temps, selon la connaissance que l’on a acquise de ce pays, l’Inde continue d’inspirer les artistes occidentaux qui puisent dans sa culture et ses traditions anciennes, aussi bien que dans son histoire récente. Tous ces emprunts ont ainsi donné naissance à de magnifiques œuvres d’art…