Les beaux jours reviennent avec leur parfum d’été, signe que le temps des vacances est bientôt arrivé. Afin de préparer vos bagages, je partage avec vous mes lectures indispensables à emporter. On commence avec des sagas coups de cœur. Quoi de mieux que le souffle d’une grande fresque pour vous faire voyager ?
Le Bonheur National Brut – François Roux (Le Livre de Poche)
Alors que le Produit National Brut est un indice économique qui détermine précisément la richesse d’un pays, Le Bonheur national brut est une captivante fresque politique et sociale qui évalue notre capacité à être heureux aujourd’hui, des rêves d’adolescents aux compromis d’adultes.
Le 10 mai 1981 apparaît progressivement sur toutes les télés le visage du nouveau président français : François Mitterrand vient de remporter l’élection. Une joie intense va alors se libérer chez ses partisans : « On pouvait encore rêver ». Un fol espoir qui sonne l’heure du changement.
Rodolphe, Tanguy, Paul et Benoît sont amis. 1981 est l’année du bac et de tous les possibles. Mais trente ans plus tard, où en sont-ils ? Tout a changé : leurs personnalités, mais leur pays aussi.
Sentimentale, sociale ou politique cette fresque emporte tout sur son passage. Nous les avons connus avec l’avènement de François Mitterrand, nous les retrouvons avec celui de François Hollande.
Les rêves de réussite économique, affective sont passés au crible entre « les chaudes espérances de l’adolescence » et la réalité du monde des adultes : les désirs avortés, l’argent qui aliène, les amours déçues ou les maladies injustes, et toujours « l’irréductibilité de ses origines sociales ». François Roux réussit un véritable exploit romanesque en nous captivant pendant plus de 700 pages à travers l’histoire personnelle de ces quatre amis et l’évolution de notre pays. C’est quoi le bonheur, finalement ?
Le Club des incorrigibles optimistes – Jean-Michel Guenassia (Le Livre de Poche)
Dans l’arrière-salle d’un café parisien des années 60, des réfugiés politiques d’Europe de l’Est se retrouvent pour partager leur désespoir. Entre roman d’initiation et fresque historique, la désillusion face aux grandes idéologies est au rendez-vous, mais aussi l’espoir d’une promesse d’humanité.
Tandis que la guerre, qu’on appelle pudiquement les « évènements », embrase le maquis algérien, les Français ignorent la réalité de la dictature qui fait rage derrière le Rideau de fer. Les débats fratricides s’infiltrent dans les foyers, alors que le pays se transforme durablement.
Brillante reconstitution de la France des années 50 et très beau roman initiatique à une époque où toutes les espérances étaient permises, Le Club des incorrigibles optimistes est aussi une déclaration d’amour pour la littérature. Une alchimie littéraire qui relève du sensuel et que l’on retrouve aussi dans l’apprentissage des premiers émois du personnage principal, Michel. Celui-ci apprend, explore et découvre la complexité du monde qui l’entoure, les psychologies opposées, les sentiments divergents et une réalité sociale sclérosante.
Malgré les injustices et les enfermements, il émane de ce roman une joie de vivre et de croire encore à un monde meilleur, un optimisme à tout crin. Comme si l’arrière-salle du Balto créée par Jean-Michel Guenassia constituait à elle seule une pièce secrète des espérances. Un roman exaltant !
Patria – Fernando Aramburu (Actes Sud)
E.T.A. Euskadi Ta Askatasuna (« Pays basque et liberté »). Trois lettres qui inspirent autant la terreur pour certains que l’espérance pour d’autres. Présente sur le front politique et militaire, son engagement dans la lutte armée se mesure en centaines de victimes tuées ou mutilées après sa dissolution en 2018.
L’action du livre commence quelques années plus tôt. 2012, l’organisation vient d’annoncer qu’elle déposait les armes. Bittori, épouse d’une victime assassinée au milieu des années 90, pense alors qu’il est temps pour elle de retourner dans son village qu’elle a quitté à la mort de son mari.
C’est le point de départ pour se remémorer des événements passés, notamment son amitié brisée avec Miren. L’une est femme d’un chef d’entreprise qui réussit et refuse de payer l’impôt révolutionnaire exorbitant qu’on lui demande, quand l’autre est mère d’un activiste de l’ETA qui s’engagera éperdument dans la lutte armée. Elles étaient plus qu’amies, des sœurs qui ne se parlent plus depuis des dizaines d’années.
Grace à une narration efficace et sentimentale, Fernando Aramburu compose un tableau, une toile de réminiscences dans laquelle la mémoire attrape les événements distillés par groupes de deux-trois chapitres dans le désordre chronologique le plus complet pour mieux reconstruire sa toile.
L’histoire d’une organisation antifranquiste de la premiere heure qui s’est transformée de mouvement de libération, en mafia terroriste : l’adhésion des soutiens qui peut paraître aveugle, la reconstruction de toutes les vies brisées, les morts ou les milliers de victimes collatérales, cette brûlure perpétuelle qui incendie ces âmes à la moindre braise, tout y est abordé avec lucidité, sobriété et surtout beaucoup d’humanité. C’est l’histoire du Pays basque, espagnol et français réunis.
Patria est un roman admirable, écrit à hauteur d’homme, qui redonne ses lettres de noblesse à la fresque romanesque. Les pages mentales d’une conscience humaine bafouée sur l’autel de la violence et dont le seul espoir réside dans le pardon et la repentance.
Les Femmes de la Principal – Lluis Llach (Actes Sud)
Puissamment romanesque, Les Femmes de la Principal nous entraîne dans l’histoire d’un riche domaine viticole de la campagne catalane au 20e siècle. La condition féminine, les guerres ou le franquisme, Lluis Llach brasse les destins en suivant le fil rouge d’un meurtre non élucidé et à l’aide d’une narration tirée au cordeau.
Lorsqu’en 1893 le phylloxéra s’abat sur les vignes catalanes, Maria a vingt ans et, pour son malheur, quatre frères. L’avenir de la famille se jouera désormais à Barcelone, où le patriarche a commencé d’établir ses fils. Nulle place pour une fille dans ce plan : Maria restera au village pour porter haut les couleurs de la famille, condamnée à dépérir auprès des ceps infectés. Pour prix du sacrifice, lui reviendra en héritage l’intégralité du domaine, la Principal, qu’avec une intelligence et une opiniâtreté sans égales elle parviendra, contre toute attente, à faire prospérer. Comme après elle sa fille, puis sa petite-fille.
Courant sur plus d’un siècle, Les Femmes de la Principal est une saga familiale pleine de secrets et de passions, dominée par trois femmes fières, trois Maria, excentriques et inoubliables.
Retour à Cuba – Laurent Bénégui (Pocket)
Êtes-vous prêts à partir pour une destination lointaine qui vous emportera sur les routes tumultueuses de l’Histoire et des secrets de famille bien gardés ? Il vous faudra faire beaucoup de chemin pour parvenir à déceler la vérité…
À partir d’une quête des origines familiales, née d’une simple anecdote, Laurent Bénégui déroule une véritable saga historique dans la touffeur de Cuba, entre colonisation et révolution. Retour à Cuba est une épopée intime et passionnante de non-dits et de révélations, parfois ubuesque aussi. Une fresque d’une grande puissance romanesque.
Eureka Street – Robert McLiam Wilson (Actes Sud)
Rares sont les livres qu’on oserait qualifier de chef d’œuvre. Pour moi, Eureka Street est de ceux-là. Belfast, années 90 et une amitié tonitruante entre un catholique et un protestant. Sur le fil de la vie entre le comique et la tragédie. Irrévérencieux et irrésistible !
Nous sommes à Belfast au début des années 1990. En plein conflit nord-irlandais, on a appris à faire abstraction. Alors comme partout quand on a vingt, trente ans, on trafique la misère, on tombe amoureux, on s’oublie, on boit beaucoup, on se charrie, on retombe amoureux et on s’invente d’autres vies.
Jake Jackson, le catholique, son ami Chuckie Lurgan, le protestant narguent leur désespoir avec ce qui leur reste de légèreté. Au fond des pintes de bières ou dans l’urgence d’un rire ou d’un mot d’amour, il y a tout ce qu’il reste d’humanité. Un superbe roman de Robert McLiam Wilson.
Le Chant d’Achille – Madeline Miller (Pocket)
Aristos Achaion, le plus grand de tous les Grecs. C’est le surnom d’Archille, héros légendaire, dont le mythe nous est ici conté magistralement. La fureur de la mythologie grecque à travers la quête de l’honneur obtenu par le sang versé, mais aussi celle de l’amour absolu. D’une plume à la fluidité exemplaire, ce récit est à lire passionnément.
Avec Madeline Miller, on entre dans une narration où le souffle du romanesque ne vous laissera aucun répit. Le Chant d’Achille ou encore Circé vous plongera au cœur de la guerre de Troie avec une grande maestria, sans pour autant sacrifier la qualité du travail documentaire et s’approcher au plus près des mythes originels. Lire Madeline Miller c’est se retrouver au cœur des tragédies et des récits fondateurs par la magie de la littérature.