Sélection

La Librairie de Sébastien : Mes coups de cœur du mois

04 avril 2024
Par Sébastien Thomas-Calleja
La Librairie de Sébastien : Mes coups de cœur du mois

Sébastien, libraire à la Fnac Bercy Village, présente ses coups de coeur du mois : des pépites qui vous conduiront sur les routes de l’Amérique des laissés-pour-compte aux quartiers populaires de Glasgow… Émotions garanties !

Un jeune père et son fils ne font que croiser la richesse sur les routes de l’Amérique des laissés-pour-compte : le premier roman de Jakob Guanzon est bluffant de maîtrise et de lucidité. Une puissance romanesque qui s’épanouit aussi dans l’Écosse de Douglas Stuart où vit le jeune Mungo, comme le saint-patron de sa ville Glasgow, rejeté dans un quartier populaire qui semble autant habité de pauvreté et de cruauté que lui déborde d’amour et de pureté. Deux romans forts à l’écriture arrimée dans un réel à l’évocation aussi puissante que poignante qui ne pourront vous laisser de marbre.

Abondance – Jakob Guanzon (La Croisée – Delcourt Littérature)

Quel espoir reste-t-il quand on n’a plus rien ?

En attendant un entretien d’embauche dans lequel il met tous ses espoirs, Henry tente de survivre avec son jeune fils dans sa voiture qui est aussi sa maison.
D’une écriture vive et acérée, le portrait de deux « ombres vagabondes » dans le silence assourdissant des « cathédrales d’abondance » que sont les zones commerciales d’un rêve américain à bout de souffle.

« L’espoir, c’est peut-être trop demander mais du confort, ça semble raisonnable. Il se pose la question : s’il arrive un jour à refaire du confort une constante dans leur vie, observera-t-il toujours son environnement avec la même admiration naïve ? Ou est-ce que ce n’est que passager ? Un sursaut dans la poisse des temps difficiles, une bouffée de fumée de noyer au loin dans la toundra. Finira-t-il comme tous ces inconnus bouffis de leurs privilèges : le regard vide dans les embouteillages, ronchonnant dans la queue au supermarché, avachis sur leur caddie ? Se fondra-t-il dans ce troupeau blasé ? À tous marcher d’un même pas traînant vers la seule chose qui leur reste : toujours plus. »

L’argent sonne comme une injustice car les conditions de son acquisition sont inéquitables et ce premier roman résonne comme une condamnation sans appel de la pauvreté.

Implacable aussi le mode de vie imposé par ce manque d’argent. Les difficultés s’accumulent. Un peu comme lorsque vous avez des difficultés financières et que l’on vous ponctionne encore un peu plus d’argent pour ça. Des agios permanents ou des taux d’intérêt, c’est un peu le quotidien d’Henry. Pourtant de l’argent il y en a en abondance mais pas pour tout le monde…

Certainement un des meilleurs romans sociaux que j’ai lu ces dernières années. L’écriture et le sujet sont parfaitement maîtrisés. Henry veut juste travailler. L’entretien d’embauche représente peu à peu la seule porte de sortie vers l’espoir pour lui et son fils. Et l’amour qui les lie indéfectiblement. Même si ça ne suffit pas. Car si ce roman ne sombre pas dans le pathos, il ne vire pas non plus dans une poésie idéaliste : non l’amour ne suffit pas à survivre et ne remplacera jamais l’argent quand on n’en a pas. En revanche, peut-être que l’espoir et l’amour peuvent tisser un mince fil qui permet de tenir encore debout… Je vous laisse le découvrir dans Abondance de Jakob Guanzon, ce très beau premier roman de la rentrée.

Abondance

Mungo – Douglas Stuart (Globe)

Une âme tendre dans un monde de brutes 

Sous la forme d’une saga familiale populaire, Douglas Stuart dépeint un Glasgow gangréné par la guerre des gangs à l’image du conflit nord-irlandais. Hamish, l’aîné de la fratrie est le meneur d’un groupe côté protestant : il souhaite voir son jeune frère Mungo le rejoindre.

Le dernier de la famille, élevé par une mère célibataire et immature, Maureen, est quant à lui très différent. Bourré de tics spasmodiques qui lui déforment le visage en toutes occasion de stress, il est au mieux la risée du quartier.

C’est sa rencontre avec James, jeune catholique à peine toléré dans la communauté, qui va tout changer. De leurs premiers effleurements de peau naîtront les sentiments interdits qui vont transformer ces deux jeunes adolescents que tout oppose. La religion, la morale, la société, la famille, le quartier, le monde entier semble contre eux et ne tardera pas à leur faire savoir.

Le jugeant peu viril, sa mère n’hésitera pas à l’envoyer faire un stage de masculinisation avec deux hommes sans même prendre la précaution de les connaître et de comprendre leurs intentions.

Excepté sa sœur qui est peut-être la seule à avoir la tête sur les épaules, Mungo semble entouré de monstres tous plus cruels les uns que les autres. D’une violence affirmée et revendiquée, à une méchanceté plus sournoise et perverse, il ressort souvent comme étant la seule personne dotée d’humanité et capable de donner pour toujours un amour incommensurable.

« Et qu’est-ce qu’ils ont eu pour leur peine ? Ils se sont fait lourder par des bourges en costard de Westminster qui sauraient même pas retrouver Glasgow sur une carte et qu’en avaient rien à carrer que ces hommes aient des familles à nourrir. On leur a dit que c’était eux le problème de ce pays, qu’ils retardaient le progrès tout ça parce qu’ils rechignaient pas à bosser dur. Et là une salope de rouquine avec un balai dans le fion a décidé que c’en était fini pour eux d’un trait de stylo plume. Terminé, finito, kaput. »

Porté par des personnages forts et incarnés, ce deuxième roman de Douglas Stuart est aussi puissamment ancré dans les conditions sociales du Glasgow des années 90 et des premières années post Thatcher.

Mungo, comme le saint-patron de la capitale écossaise, humain parmi les monstres est un monstre d’amour. Un livre magnétique comme on en lit rarement. Sur un fil entre violence et douceur, l’écriture de Douglas Stuart vous transporte d’émotions à travers le destin de ce jeune gamin sans cesse ballotté entre une cruauté insoutenable et une infinie tendresse. Un roman étincelant d’émotions.

Mungo

Article rédigé par
Sébastien Thomas-Calleja
Sébastien Thomas-Calleja
Libraire à Fnac Bercy
Sélection de produits