Du début de la seconde guerre mondiale jusqu’à la fin de l’Algérie française, la France aura vécu vingt-deux années tumultueuses. Pour nous aider à comprendre et à ne pas oublier ce passé clair-obscur, Pierre Lemaitre, Didier Daeninckx, Leila Slimani, Patrick Modiano, Joseph Kessel, Alice Zeniter, Alexis Jenni et Jérémie Guez nous racontent des histoires peuplées de héros et de salauds ordinaires.
Miroir de nos peines – Pierre Lemaitre (Livre de Poche)
Troisième et dernier tome des Enfants du désastre, Miroir de nos peines débute par la débacle de l’armée française et l’entrée des troupes de la Wehrmacht dans l’hexagone. Après des mois de déni gouvernemental, l’occupation allemande devient une réalité imminente et inéluctable. Enfin libérés d’une propagande irresponsable, des centaines de milliers de personnes fuient les villes du nord de la Seine pour rejoindre les zones rurales. Affolées et démunies, elles retrouvent sur les routes des contingents de soldats hagards battant en retraite…
En plongeant ses personnages au cœur de l’exode de 1940, Pierre Lemaitre revient sur un épisode annonciateur des heures les plus sombres de l’histoire de France. Tout au long de cette odyssée traversée de folles rumeurs, de rires et de larmes, la nature humaine se révèle dans toute sa complexité.
L’Armée des ombres – Joseph Kessel (Pocket)
En 1943, la guerre est loin d’être terminée quand Joseph Kessel publie depuis Alger, alors en zone libre, un roman exaltant le courage et le dévouement des résistants à l’occupation nazie. À travers le récit d’un cadre fictif de la résistance narrant les exploits invisibles de plusieurs de ses hommes, L’Armée des ombres met en lumière la réalité de la clandestinité.
En plus d’exprimer clairement les enjeux de l’action directe et les rouages d’un réseau de l’ombre, cette fiction quasi documentaire raconte le quotidien d’un peuple placé sous le joug de l’occupant. Ode crépusculaire et pudique au courage et à la résistance, ce roman gagna définitivement ses galons de classiques après avoir été adpaté au cinéma par Jean-Pierre Melville en 1969.
Lacombe Lucien – Louis Malle – Patrick Modiano (Gallimard)
Publié dans la foulée de sa sortie en salles, le scénario de Lacombe Lucien réalisé par Louis Malle et co-écrit par Patrick Modiano crée la polémique dans la France de 1974 en écornant le mythe du résistant héroïque et engagé. L’histoire débute en 1944. L’occupation allemande vit ses derniers mois quand le jeune Lucien, de retour dans son village, demande à entrer dans la résistance. Rejeté par les maquisards, il les dénonce à la police lors d’un contrôle de routine avant d’être recruté par la Gestapo française.
Devenu un milicien zélé effectuant les tâches les plus ignobles sans le moindre état d’âme, il croise la route d’une jeune juive dont il tombe éperdument amoureux. Pour vivre leur passion, les deux partent se cacher à la campagne… Est-il immoral d’être amoral ? Le personnage de Lucien Lacombe nous pose la question.
Itinéraire d’un salaud ordinaire – Didier Daeninckx (Folio)
Intégrer la police nationale en 1942 revenait à jouer les supplétifs de l’occupant nazi et du régime de Vichy. Certains s’y engageaient par conviction, d’autres par opportunisme. D’autres encore avaient juste le besoin viscéral d’obéir à l’autorité pour faire tourner la machine. C’est à cette trempe de fonctionnaires irréprochables, collabos par nature, exécutants adaptables à tout régime et à toute morale, que s’intéresse Didier Daeninckx.
Son Itinéraire d’un salaud ordinaire est celui de Clément Duprest, un policier chargé de neutraliser les opposants sous l’occupation allemande. Épargné par l’épuration, il poursuivra tranquillement sa route au sein d’une administration qui ne peut se passer des services d’un agent aussi dévoué. De la guerre à l’élection présidentielle de 1981, le portrait de ce serviteur zélé de la France couvre quarante ans de coups tordus au sommet de l’état.
L’Art français de la guerre – Alexis Jenni (Gallimard)
En 1991, alors que la première guerre du Golfe bat son plein, un jeune homme en crise fait la connaissance d’un ancien parachutiste qui va l’initier à la peinture. En échange, il écrira son histoire. Celle d’un chien de guerre qui après avoir combattu l’Allemagne nazie en 1944 a fait couler le sang en Indochine puis en Algérie… Premier roman dense et foisonnant qui rafla contre toute attente le prix Goncourt 2011, L’Art français de la guerre dresse des parallèles historiques qui interrogent l’identité française.
Dans ce double récit initiatique où se croise l’art et le fait militaire, Alexis Jenni n’a qu’un seul objectif : sonder les tourments contemporains d’un pays durablement marqué par vingt deux années d’une histoire violente qui va de la seconde guerre mondiale jusqu’à la fin des guerres coloniales.
Le dernier tigre rouge – Jérémie Guez (10/18)
Discrète par tradition, Hétéroclite par nature, la légion étrangère ne s’intéresse pas au passé de ses recrues. Quand ses régiments embarquent en 1946 pour l’Indochine, elle est essentiellement composée d’anciens nazis en fuite, de résistants tombés en disgrâce, de mercenaires du bout du monde et de repris de justice. C’est en son sein et sur ces terres lointaines que Jérémie Guez plante le décor d’un roman percutant et minutieusement documenté sur un conflit absurde.
Le dernier tigre rouge est l’histoire d’une traque, celle d’un redoutable et mystérieux sniper occidental passé côté viet Mihn menée par un légionnaire engagé pour expier la mort de sa femme. Entre introspection, quête de rédemption et crimes de guerre, ce singulier thriller militaire ouvre de nombreux questionnements existentiels.
Le grand monde – Pierre Lemaitre (Calmann-Levy)
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale qu’elle a traversé sans dommages, une famille française à la tête d’une savonnerie florissante de Beyrouth va subir les conséquences dramatiques de la guerre coloniale qui fait rage en Indochine. Après que l’un des fils, militaire, disparaît lors d’une mission dans la jungle, son frère s’engage comme fonctionnaire du trésor à Saïgon pour le retrouver.
Sur place, il découvre la face cachée d’un conflit où la France joue une drôle de partition en institutionnalisant la corruption… Premier volet d’un nouveau cycle dédié à la France de l’après-guerre aux Trente glorieuses, Le grand monde est une magistrale fresque familiale où Pierre Lemaitre conjugue d’une plume étincelante le romanesque à l’histoire politique française.
Meurtres pour mémoire – Didier Daeninckx (Gallimard)
Particulièrement attaché au devoir de mémoire, Didier Daeninckx écrit des polars pour éclairer les pages les plus sombres de notre histoire nationale et dénoncer les révisionnistes de tous bords. Publié en 1983, Meurtres pour mémoire, son second roman et premier succès, débute en 1961 lors d’une manifestation parisienne du FLN réprimée dans le sang par les troupes du préfet de police. Alors qu’il passait par là, un professeur d’histoire est froidement abattu au pied de son immeuble par un CRS.
Vingt ans plus tard à Toulouse, son fils est lui aussi assassiné après avoir un peu trop consulté les archives régionales… Menée par l’inspecteur Cadin, l’enquête sur ce double meurtre permettra de relier deux périodes de sinistre mémoire – les rafles de juifs français et l’élimination des indépendantistes algériens – à un haut fonctionnaire qui n’est pas sans rappeler un certain Maurice Papon.
Le Pays des autres – Leila Slimani (Folio)
Tombés follement amoureux durant la guerre, Amine, soldat marocain ayant combattu pour la France, et Mathilde, Alsacienne prête à vivre la grande aventure loin de sa province, décident de s’installer dans une ferme au cœur du Rif. Des rêves plein la tête à leur arrivée, l’unité du couple va vite se heurter aux forces hostiles qui gouvernent le pays…
Drame familial sur fond de décolonisation et de lendemains qui déchantent, Le Pays des autres renvoie dos à dos l’obscurantisme toxique des gardiens de la société patriarcale marocaine et l’arrogance crasse et le racisme ordinaire des colons français sur le départ. Pour ce premier tome de sa future trilogie, Leila Slimani frappe fort en s’inspirant largement de l’histoire de sa propre famille.
L’Art de perdre – Alice Zeniter (J’ai lu)
Sous la pression d’une société bouleversée par les attentats de 2015, la petite fille d’un harki d’origine Kabyle souhaite lever le voile sur un passé familial dont elle ne sait quasiment rien. Une histoire algérienne que ses parents, immigrés en France au début des années 60, ont volontairement gommé de leur mémoire pour ne plus la transmettre à leurs enfants.
De l’Algérie rurale des années 30 jusqu’à la France d’aujourd’hui, L’Art de perdre est une saga poignante qui met en lumière les conséquences délétères de la colonisation française et du déracinement lié à l’exil. Pour son sixième roman, Alice Zeniter fait de la quête personnelle de Naïma une réflexion universelle sur l’identité et l’importance de s’en affranchir.
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