Sélection

Voyage littéraire aux États-Unis, étape 9 : la Nouvelle-Angleterre

14 juin 2017
Par Angèle
Voyage littéraire aux États-Unis, étape 9 : la Nouvelle-Angleterre

Tournée vers l’océan, plus boisée que peuplée, la région de la Nouvelle-Angleterre est la première à avoir été « civilisée ». Son identité est très marquée : les Yankees sont fiers de leur culture, cuisine, architecture et de leur ouverture d’esprit. Alors, que cachent ces maisons proprettes et ces églises pimpantes du New Hampshire ou du Massachusetts ? Quels trésors recèlent les coins perdus du Maine ou du Vermont ? Partez à la découverte de cette magnifique région en quelques pages !

Maine, New Hampshire, Vermont


Limitrophes du Québec, ces états sont peu peuplés, très boisés et donnent à cette région, qui peut paraître légèrement « collet-monté », un aspect plus sauvage et inquiétant. Rappelons-nous que le Maine est le lieu de naissance de Stephen King, tout de même…

Maine

L'oeuvre de Dieu, la part du DiableL’oeuvre de Dieu, la part du Diable de John Irving

Au vu des thèmes abordés dans ce roman, ce n’est peut-être pas le plus facile pour découvrir John Irving, mais c’est mon préféré ! L’histoire se passe pendant la première moitié du XXème siècle dans un coin perdu du Maine, à Saint Cloud’s, dans un orphelinat fondé par un médecin anti-conformiste, le docteur Wilbur Larch, isolé par ses pairs pour avoir pratiqué un avortement. Wilbur Larch accueille dans son foyer, sans jamais les juger, toutes les femmes en détresse qu’il peut aider. Parfois il les accouche et recueille un nouvel orphelin, parfois il pratique une interruption de grossesse même si c’est illégal, afin d’éviter que ses patientes n’aient recours à des méthodes dangereuses voires mortelles. Homer, rescapé de quatre tentatives d’adoption malheureuses, devient son fils de coeur et son assistant avant de prendre la fuite. Comme dans la plupart de ses romans, John Irving donne vie à de nombreux personnages, tous plus exaltés les uns que les autres, et crée des situations improbables, voire épiques, avec la maestria qu’on lui connaît. Ce livre foisonnant oscille entre rire et larmes, Irving ayant vraiment l’art pour faire vivre au lecteur toutes sortes d’émotions. C’est cru, provocant, émaillé de vérités et de bon-sens, hilarant, affolant, brutal… Les qualificatifs ne manquent pas pour décrire les oeuvres de ce grand écrivain. Alors, ça passe ou ça casse mais ça se tente ! Sinon, si vous n’avez jamais lu de John Irving, vous pouvez aussi attaquer par L’épopée du buveur d’eau : un roman universitaire azimuté, beaucoup plus léger et plein de cocasserie.


Le-declin-de-l-empire-Whiting


Le déclin de l’empire Whiting de Richard Russo

Une belle chronique sociale qui prend ses racines dans une petite ville au bord de la faillite. Marié (plus pour longtemps) à l’héritière Whiting, Miles tient un snack au comptoir duquel défilent paumés, chômeurs et philosophes qui s’ignorent. Chacun lutte à sa façon contre la décrépitude ambiante et les commentaires (souvent empreints de sagesse populaire) vont bon train. C’est un de ces romans contemplatifs, où le temps s’écoule paresseusement à travers les méandres de ces vies ordinaires, s’égarant parfois dans le passé avant de s’attarder sur un présent peuplé d’une belle galerie de personnages. Richard Russo scrute l’âme humaine avec délicatesse, finesse et attention, ce livre plaira aux amateurs de récits psychologiques amenant à l’introspection.

dérive sanglante


Dérive sanglante de William G. Tapply

Premier volet des aventures de Stoney Calhoun, aimable amnésique devenu enquêteur malgré lui. En effet, alors que Stoney mène une vie bien tranquille au fin fond du Maine, travaillant dans une boutique de pêche et profitant des beautés de la nature environnante, son ami disparaît dans d’étranges circonstances. Déterminé à comprendre ce qui a bien pu lui arriver, Stoney risque de soulever quelques cailloux abritant nids de vipères et sombres secrets jusqu’à ce que son propre passé commence à affleurer à sa mémoire. Ce héros fort sympathique est entouré d’une belle galerie de personnages tour à tour chaleureux, troublants ou attachants. Les errances de Stoney sont aussi une excellente occasion pour le lecteur de découvrir l’histoire du Maine et de voyager dans cet état rural à la beauté sauvage.


Bazaar


Bazaar de Stephen King

Natif du Maine, Stephen King a situé plusieurs de ses romans dans cette contrée perdue… Ce qui ne contribue pas exactement à en faire une région attrayante si on y réfléchit bien, non ? Heureusement que ce grand écrivain invente les villes où il sème ses graines de terreur et de désespoir, mais peut-être est-ce pour éviter que quelqu’un se reconnaisse? Le mystère reste entier. Dans Bazaar donc, il est question de désir avant tout, de cette sorte de désir irrépressible qui exige d’être satisfait quelqu’en soit le coût. Et cela, Leland Gaunt l’a bien compris en ouvrant son étrange boutique dans la sympathique ville de Castle Rock. Sa spécialité : procurer aux gens ce qu’ils désirent au plus profond d’eux-même et leur demander un service en échange, oh ! trois fois rien, une bricole, une petite blague. Son but : mettre la ville à feu et à sang, on s’occupe comme on peut, après tout… L’air de rien, le King interroge : le désir doit-il nous pousser à accepter emprise, manipulation, chaos ? Doit-on accepter, à l’instar des habitants de Castle Rock, tout et n’importe quoi sans réagir, au nom du grand saint consumérisme? Un des meilleurs romans du maître de l’horreur.

New Hampshire

American-rigolos


American rigolos de Bill Bryson

Après un long exil volontaire au Royaume-Uni, Bill Bryson retourne aux États-Unis accompagné de sa femme et de ses enfants. C’est dans une charmante ville du New Hampshire qu’ils posent leurs valises. Notre pauvre auteur n’a même pas eu le temps de reprendre l’accent yankee que le journal pour lequel il travaillait en Europe le contacte pour lui commander une chronique par semaine sur son pays d’origine. Qu’à cela ne tienne, Bill Bryson brosse avec humour (et humeur) un portrait très amusant des États-Unis, de ses habitants et de sa famille, qui n’a pourtant rien demandé. Drôle, incisif, partagé entre esprit critique et admiration, Bill Bryson nous dévoile les us et coutumes de ses concitoyens avec bonhommie. Parfait pour se détendre et se dire qu’on est plutôt bien ici, en fait…


Trailerpark


Trailerpark de Russell Banks

Ce recueil de nouvelles, qui présente plusieurs personnages dans un même lieu, est idéal pour découvrir l’écriture et l’univers de Russell Banks. Issu d’un milieu défavorisé, il a grandi dans le New Hampshire et il s’attache, dans ses romans, à mettre en lumière la « vraie vie » et le quotidien souvent difficile des gens ordinaires. Avec Trailerpark, Russell Banks propose un tour d’horizon de la dèche et de la galère : dans ce petit parc de mobil-homes décrépits vit une poignée de personnages malmenés par la vie. Ces hommes et ces femmes ont fini par créer une sorte de petit village, un microcosme où entraide et solidarité apportent un peu de chaleur et où la marginalité se traduit aussi par un humour parfois un peu cynique. Les portraits sont brossés avec beaucoup de délicatesse et une belle connaissance de l’âme humaine.

Vermont

Le-livre-des-songes


Le livre des songes de Jenny Offill

Teinté de mélancolie et de merveilleux, ce roman entre dans la catégorie des histoires douces-amères. La petite Grace vit une enfance un peu décalée, entre un papa perdu dans ses chères mathématiques et une maman qui entreprend de lui révéler les secrets du cosmos et la poésie des choses. Mais quand sa mère sombre de plus en plus dans la folie, allant jusqu’à briser l’harmonie familiale, le temps n’est plus aux jeux et à l’innocence et Grace va devoir grandir vite. Un beau livre un peu triste, qui peut rappeler Le rouge vif de la rhubarbe de Audur Ava Olafsdottir, L’étoile d’argent de Jeannette Walls ou encore La singulière tristesse du gâteau au citron de Aimee Bender.


Viens-avec-moi


Viens avec moi de Castle Freeman JR

Un petit polar, noir, très court, complétement jubilatoire! Une sorte d’expresso version papier, dommage que les yeux soient dépourvus de papilles… L’action se déroule sur une journée, mais quelle journée ! Lilian a un problème : Blackway, truand local à la technique de drague plutôt extrême. Lilian a un deuxième problème : le shérif n’est pas chaud pour se frotter à Blackway sans véritable raison, il oriente donc Lilian vers Whizzer et sa bande (un groupe de véritables traîne-savates, à première vue). Lilian va au-delà d’une avalanche de problèmes, mais avec Lester (un taiseux rusé comme une belette) et Nate (un taiseux costaud comme un ours), tout reste possible et il faut bien régler cette affaire… La tension est savamment dosée entre dialogues circonspects, un brin de sagesse populaire et un savoureux humour noir bien cynique. Les phrases brutes et efficaces de Castle Freeman JR plantent le décor et campent les personnages en deux coups de cuillères à pot et vous serez tout de suite plongés dans une certaine ambiance, c’est garanti ! L’adaptation en film, avec Anthony Hopkins, est disponible en DVD.

Le-coeur-sauvage


Le coeur sauvage de Robin Macarthur

Un excellent recueil de nouvelles qui permet de faire connaissance avec une jeune auteure très prometteuse ! Robin Macarthur décrit merveilleusement bien ce Vermont sauvage et reculé qui l’a vue naître et grandir. C’est d’une plume tantôt âpre, tantôt délicate qu’elle promène le lecteur à travers champs et forêts, à la rencontre de personnages à la psychologie sacrément bien fouillée. Ici, les hommes, et surtout les femmes, se débattent entre force et fragilité, prennent les coups comme ils viennent en essayant de garder le cap et aiment avec rudesse. Robin Macarthur sème avec talent de nombreuses graines d’humanité dans ces fermes isolées, ces mobil-homes tristounets et ces salles de bar emplies de solitude. Une heureuse découverte de la part des éditions Albin Michel !

Connecticut, Massachusetts, Rhode Island

Un passé riche mais ambigu hante ces états très « select ». D’un côté, un puritanisme extrême ayant donné lieu à l’épisode tristement célèbre de la chasse aux sorcières de Salem, de l’autre un progressisme assumé ayant conduit à une politique anti-esclavagiste révolutionnaire pour l’époque ! Intéressant, n’est-ce pas ?

Connecticut


la peau sur les os


La peau sur les os de Stephen King

Publié en 1984 sous le pseudonyme de Richard Bachman, ce roman cruellement malicieux raconte les malheurs d’un avocat obèse coupable d’avoir renversé et tué une vieille gitane. S’il est sorti blanchi du tribunal, il semble malgré tout écoper d’une malédiction sournoise lancée par le chef de la tribu, il se met à maigrir inexorablement… Comme souvent, l’auteur met à profit son imagination pour critiquer les travers de l’être humain, dont les vils pêchés sont punis quoiqu’il arrive. En tout cas, le décompte de ces kilos perdus, la quête de Halleck pour contrer le sort et le talent de conteur de Stephen King s’ajoutent pour un effet suspens garanti !

Massachusetts

Au-lieu-dit-Noir-Etang


Au lieu-dit Noir-Etang… de Thomas H.Cook

Un délicieux roman noir aux accents gothiques doublé d’un roman d’apprentissage tragique et subtil ! Nous sommes dans les années 20, à Chatham, une charmante bourgade dotée d’un pensionnat pour jeunes garçons de bonne famille. Henry, le fils du directeur de l’école raconte le drame qui frappa la communauté suite à l’arrivée de Mlle Channing, une professeur de dessin passionnée et exaltée qui ne tardera pas à bouleverser Mr Reed, le professeur de mathématiques, un personnage sombre et renfermé. Les liens tissés par ces âmes tourmentées seront très mal vus dans cette Nouvelle-Angleterre moralisatrice et puritaine et la tension est vite palpable, bien que les éléments de l’histoire soient distillés avec parcimonie par Henry au gré de ses souvenirs. L’écriture est très travaillée, très littéraire, et séduira les amateurs de classicisme et de belles tournures. Elle illustre aussi parfaitement cette atmosphère sentimentale et ténébreuse qui changera à jamais le coeur de cet adolescent qui, de simple spectateur innocent, devient peu à peu partie prenante du drame de Noir-Etang…


Les-douze-balles-dans-la-peau-de-Samuel-Hawley

Les douze balles dans la peau de Samuel Hawley de Hannah Tinti

Née à Salem, Hannah Tinti est bien sûr une ensorceleuse hors-pair qui concocte de formidables histoires, à défaut de philtres ou de potions ! Samuel et sa fille Loo forment une toute petite famille, loin des sentiers battus et des chemins tout tracés. Alors que Loo atteint ses 12 ans, Samuel entreprend de la former au maniement des armes à feu. C’est aussi l’occasion pour lui de raconter ses errances à sa fille, à travers les douzes traces de balles qui émaillent son corps. En quête de réponses sur sa maman disparue, Loo profitera de ce road trip pour mieux cerner ses parents, glâner d’importantes révélations et faire parler les liens du sang. Si vous avez aimé le film Captaine fantastic, laissez-vous tenter. À signaler aussi : Le bon larron, son premier roman. Dans la Nouvelle-Angleterre du XIXème, Ren le manchot a grandi à l’orphelinat avant d’être recueilli par son soi-disant grand-frère qui l’embarque dans des aventures épiques dans les bas-fonds de villes portuaires ou minières, peuplés de personnages effrayants et hauts en couleurs. Un livre enthousiaste et malicieux qui vous rappellera vos lectures d’enfant : Twain, Dickens…

Caandra


Cassandra de Todd Robinson

Âmes sensibles, s’abstenir ! Amateurs de littérature classique, passez votre tour… Boo et Junior sont amis « à la vie à la mort », depuis une enfance difficile à l’orphelinat. Baraqués et tatoués, ils mettent leurs talents à profit en travaillant comme videurs dans un club de Boston lorsque la fille du procureur disparaît. Fugue, enlèvement, meurtre ? Nos deux compères se retrouvent à jouer les détectives et à remuer une sacrée fange. Dialogues épicés, bastons efficaces, intrigue corsée, personnages caricaturaux et humour caustique font de ce roman un bon représentant du genre noir à tendance série B. Si vous accrochez aux méthodes radicales de Boo et Junior, vous pouvez retrouver nos deux durs à cuir au cœur tendre dans un nouvel opus intitulé Une affaire d’hommes.

Un-pays-a-l-aube


Un pays à l’aube de Dennis Lehane

Vaste fresque politique, sociale et humaine, ce roman ambitieux plonge le lecteur dans l’Amérique du premier quart du XXème siècle. La Première Guerre mondiale gronde en Europe et les répercussions se font vite sentir de l’autre côté de l’Atlantique, où les classes populaires souffrent de plus en plus. Quand la guerre prend fin, le climat social des États-Unis est complètement bouleversé et Lehane vous entraînera dans les rues de Boston, à la suite des anarchistes, des premièrs syndicalistes, mais aussi des immigrés qui ont construit le pays à la sueur de leur front, espérant une vie meilleure. Les prémices de la lutte pour les droits civiques des Noirs américains et les premières grèves font leur apparition dans une ville en ébullition, où le destin de trois jeunes gens est sur le point de basculer. Un livre épique et enrichissant !

Rhode Island

Le-roman-du-mariage


Le roman du mariage de Jeffrey Eugenides

Que fait une fille romantique et littéraire qui a le choix entre un garçon bien sous tous rapports du type « gendre idéal » et un maniaco dépressif ? Elle choisira bien sûr de se livrer corps et âme à un relation destructrice (pour elle) afin de laisser libre cours à ses fantasmes d’amour redempteur… et regrettera peut-être un peu le gendre idéal, parti soigner sa déception en Inde. Voici le destin de ces trois étudiants qui se sont rencontrés sur le campus de l’Université de Brown, dans les années 80. Eugenides signe ici un livre érudit, où la finesse des émotions et la complexité des personnages se marient à merveille (ça tombe bien) avec le milieu universitaire et le passage à l’âge adulte dont il est question au fil de ces pages riches de notions psychologiques, d’analyses littéraires et de sentiments disséqués. Un roman universitaire de belle ampleur!



L-affaire-Charles-Dexter-Ward


L’affaire Charles Dexter Ward de Howard Phillips Lovecraft

Il s’agit peut-être d’un des textes les plus accessibles du célèbre auteur de récits horrifiques, il est donc tout indiqué si vous souhaitez vous confronter à l’univers fantastique de H.P Lovecraft. C’est aussi le premier de ses écrits à mentionner le Yog-Sothoth, cette entité malfaisante dont sorciers et mages ont fait leur dieu. L’affaire Charles Dexter Ward est menée comme une enquête : le narrateur, qui est aussi le médecin de famille, tente de remonter la trame des évènements ayant conduit à la disparition de son patient, suite à son obsession pour un lointain ancêtre accusé d’être un sorcier. Atmosphère oppressante, tension de plus en plus palpable, horreurs diverses habilement suggérées dans le but de vous pousser à imaginer par vous-même et donc à vous coller les foies tout seul… Bref, un parfait échantillon des récits tourmentés du seul auteur célèbre (à ma connaissance) de l’État du Rhode Island qui, certes, est minuscule.

Voici un aperçu de la littérature yankee, qui explore bien des directions. De la chronique sociale au roman noir, en passant par l’épouvante ou le roman universitaire, notre sélection d’auteurs vous donnera, je l’espère, envie de découvrir cette région un peu à part. Bonne lecture !

Aller + loin : Voyage littéraire aux États-Unis : le Nord-Ouest Pacifique

Visuel d’illustration © Nick Sarro

Article rédigé par
Angèle
Angèle
libraire BD à Fnac Grenoble Grand-Place
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