Terre de richesses, creuset culturel, pluriethnique, la Californie véhicule une image dynamique. Mais entre la nonchalance hippie de San Francisco, le chic hollywoodien et la sordide réalité des bas-fonds de Los Angeles, c’est un état aux multiples facettes. Voyons voir ce que cela donne du côté de la littérature.
John Steinbeck, un auteur emblématique
Écrivain de la première moitié du XXe siècle, John Steinbeck est né à Salinas et c’est en Californie que se situent la plupart de ses œuvres. Il y met en scène, le plus souvent, des personnages de la classe ouvrière, des fermiers ou des vagabonds extravagants. Tiraillés entre le bien et le mal, ces héros de l’ordinaire sont capables du meilleur comme du pire et donnent lieu à de belles pépites d’humanité.
Les raisins de la colère
Il s’agit de son roman le plus célèbre. Originaire de l’Oklahoma, jetée sur les routes à cause de la sécheresse et de la crise de ’29, la famille Joad se rend en Californie dans l’espoir d’une vie meilleure. À travers cette épopée, Steinbeck dénonce les conditions de vie des émigrants, qui vivent démunis dans des camps de travailleurs, exploités par les riches propriétaires terriens. Cette chronique sociale est le théâtre d’une lutte de tous les jours pour simplement survivre, mais aussi garder fierté et dignité. Reflet d’une époque, ce roman est habité par des personnages qui équilibrent force et vulnérabilité. À lire absolument !
Des souris et des hommes
Un récit très court où le drame sous-jacent se ressent dès les premières pages. George (gringalet mais futé) et Lennie (un colosse simplet) travaillent de ferme en ferme afin d’amasser le pécule qui leur permettra d’acheter leur terre. Jusqu’au jour où ils tombent au mauvais endroit… L’écriture lumineuse de Steinbeck, sa sympathie déclarée pour les exclus, les parias, font de ce livre un petit bijou qui devrait vous toucher en plein cœur.
Les naufragés de l’autocar
Un roman plus léger, même si la profondeur de l’âme humaine y est décrite sans faux-semblant. Un groupe disparate se retrouve bloqué dans un bus à cause d’un incident. De cet huis-clos, Steinbeck tire une véritable satire sociale, où chaque passager est mis à nu, révélant des instincts peu flatteurs ou faisant preuve, au contaire, de grandeur d’âme et de sang-froid.
Tortilla Flat
L’auteur signe ici une farce picaresque où une bande de « paisanos », soudainement propriétaire non pas d’une mais de deux maisons, va s’ingénier sans relâche à se rendre la vie plus douce, à profiter au mieux de cette aubaine en évitant les enquiquineurs et surtout le travail. Situations cocasses, élans de tendresse alcoolisés, et surtout une amitié franche et loyale émaillent ce roman aux personnages burlesques et attachants. Vous retrouverez ce goût pour la comédie dans Rue de la Sardine et Tendre jeudi, où Steinbeck décrit les péripéties de Mack et sa bande de va-nu-pieds, décidés à embellir coûte que coûte le quotidien de Doc, scientifique lunaire et solitaire. Quiproquos, maladresses et solidarité sont au rendez-vous.
L’esprit « west coast » de San Francisco
Ville culturelle et artistique, San Francisco est un haut lieu de contre-culture. C’est une ville où tolérance et liberté sont considérées comme un droit et où il fait bon vivre. Quelques auteurs vous invitent à partager cet état d’esprit.
Les chroniques de San Francisco, d’Armistead Maupin
Symbole du San Francisco des années 70, ces chroniques sont initialement parues sous forme de feuilleton dans un quotidien et ont donné forme à six romans. On y croise de nombreux protagonistes réunis dans une pension de famille tenue par Anna Madrigal, incarnation de la gentillesse et mère de substitution pour ses locataires. Le format feuilleton offre de perpétuels rebondissements, un petit côté tragi-comique et des dialogues accrocheurs, ça se lit très facilement et on s’attache vite à ces personnages à la psychologie affinée. Cette vaste comédie humaine est non seulement pleine d’humour mais elle prône aussi une certaine liberté créative, amoureuse, intellectuelle… Très rafraîchissant ! En 2008, Armistead Maupin a offert une suite à certains de ses personnages et la série s’est enrichie de trois tomes, qui se situent à notre époque.
Not fade away, de Jim Dodge
Avec ce récit halluciné, Jim Dodge rend hommage aux auteurs de la Beat Generation qui, sous la houlette de Kerouac, exportèrent leur mouvement sulfureux de New York à la côte Ouest. Gastin, conducteur surdoué et dépanneur improbable s’est « rangé des voitures » et s’est installé à San Francisco. Il aime bien raconter ses histoires et un dépannage impromptu sera pour lui l’occasion de déballer celle de la Cadillac volée, qu’il choisira de conduire sur la tombe d’un rocker célèbre, mort dans un crash, selon les vœux de l’ancienne propriétaire. Durant ce road-trip initiatique, semi-mystique et bourré d’amphèt’, Gastin va croiser un bon nombre de personnages tous plus barrés les uns que les autres et faire l’apologie du rock’n’roll. La puissance du récit ne cesse de monter et les pages finales sont franchement hypnotiques. À lire à fond la caisse en faisant chauffer la platine !
L’homme de la montagne, de Joyce Maynard
Été ’79, un tueur rôde dans les montagnes qui surplombent San Francisco, semant la panique dans la population. Dans cette atmosphère lourde de menace, Rachel, 13 ans, et sa petite sœur, Patty, tentent de tromper l’ennui, inventent des jeux, lorgnent vers les garçons… Sans se douter que cet été sera celui de tous les bouleversements. Sous ses airs de roman noir, L’homme de la montagne est surtout un magnifique roman d’apprentissage, plein de petites choses fragiles et profondes sur le fait de grandir, sur la puissance des liens qui unissent ces deux sœurs, sur l’admiration qu’elles portent à leur père (chargé de l’enquête). Il y a beaucoup de force dans l’écriture de Maynard, à la fois pour maintenir le lecteur dans un suspens oppressant mais aussi pour transmettre cette tendresse que l’on ne peut qu’éprouver pour les personnages. Une très belle lecture !
Los Angeles, cité des anges et des démons
Los Angeles, ville tentaculaire et contrastée où les gangs règnent dans les quartiers défavorisés tandis que les stars flambent à Hollywood, est le théâtre de nombreux crimes commis au nom de la littérature. Entre polar et chronique sociale, les auteurs suivants vous offrent une vision de la ville loin des clichés des cartes postales.
Angel baby, de Richard Lange
Un thriller contemporain qui se déroule dans le milieu des narco-trafiquants, entre Tijuana et Los Angeles. Luz, maîtresse d’un parrain de la drogue, est fermement décidée à prendre la fuite, pour récupérer sa fille, à l’abri à L.A. chez une tante, et disparaître. Son chemin croise celui de Malone, un passeur brisé par la mort de son enfant, et Mike, un flic corrompu. Traquée par les hommes de main de son ex, Luz n’a pas d’autre choix que de faire parler la poudre ! Une course-poursuite intrépide, une héroïne implacable, ce roman se lit tout seul !
Le dernier coyote, de Michael Connelly
Mis au repos forcé à cause d’une altercation avec son supérieur, Harry Bosch se voit obligé de consulter un psy. Les séances vont ramener à la surface la mort de sa mère, un crime datant de son enfance et qui n’a jamais été résolu. Ce cher inspecteur plutôt rebelle profite de cette occasion pour reprendre l’enquête et régler ses comptes. Un bon polar comme Michael Connelly sait si bien faire, au scénario bien maîtrisé. Et un bel hommage à James Ellroy, auteur du Dahlia noir, victime d’un drame similaire…
En 1992, le verdict qui innocenta les policiers responsables du passage à tabac de Rodney King déclencha des émeutes qui ont mis la ville à feu et à sang pendant 6 jours. Adoptant le point de vue de divers personnages, du membre de gang au sapeur-pompier, Ryan Gattis livre une vision éclatée, quasi-cinématographique, de cette semaine d’anarchie et de désolation. Brut, cru et sans concession !
Printemps barbare, de Héctor Tobar
Victime de l’American dream, Araceli se rêvait artiste mais c’est en tant qu’employée de maison qu’elle arrive à joindre les deux bouts. Le jour où ses patrons la plantent avec leurs deux aînés à cause d’une dispute, son destin bascule. Comme ils ne reviennent pas, elle entreprend de conduire les enfants chez leur grand-père, quelque part à Los Angeles. Accusée d’enlèvement, perdue dans cette immense cité, Araceli est vite dépassée et injustement traquée. À travers cette odyssée forcée, l’auteur dénonce les conditions de vie des immigrés, à peine tolérés par les classes supérieures, qui tentent de se faire une place et de garder espoir. Il en profite aussi pour dresser un portrait très vivant de Los Angeles qui, à travers ses différents quartiers et ses nombreuses communautés, devient presque un personnage à part entière.
Ce livre va vous sauver la vie, de A.M. Homes
Terminons avec un livre plus réjouissant ! Richard Novak vit retiré du monde dans sa splendide demeure qui domine L.A. Il occupe son temps entre la gestion de sa fortune et le maintien de sa forme physique. Le monde extérieur ne lui inspire plus rien et il n’a pas la curiosité de s’en préoccuper. Mais quand son corps le trahit et que son jardin est menacé de glissement de terrain, Novak se voit obligé de sortir de son apathie. Il ira de surprise en surprise, fera des rencontres déterminantes, sera confronté à la diversité des gens qui l’entourent. Une belle aventure humaine à la verve et à l’humour incisifs, qui traite du développement personnel de manière complètement loufoque !
Voilà donc un petit tour littéraire en Californie, qui malgré ses plages et son soleil, peut se révéler aussi sombre et sauvage. Cette liste est bien loin d’être exhaustive, donc n’hésitez pas à partager vos lectures !