Décryptage

Dinos : comment la sensibilité a redéfini le rap français

17 décembre 2025
Par Lucile B.
Dinos : comment la sensibilité a redéfini le rap français
©Singular Agency

Alors qu’il s’apprête à marquer l’histoire du rap francophone avec une double date à l’Accor Arena de Paris, Dinos confirme son envergure. Loin d’être de simples performances scéniques, ses concerts viennent couronner une carrière et une discographie passionnantes. Retour sur le parcours d’un artiste qui a su redéfinir l’élégance du rap français.

Dinos, véritable orfèvre du verbe, a construit sa carrière non pas à coups d’éclat éphémères, mais grâce à une authenticité désarmante. De ses débuts techniques à sa mue en artiste total, en témoigne la sortie récente de son projet AAA (2025), il a réussi l’impossible : transformer la solitude en communion.

Alors, comment l’enfant de la Cité des 4000 à la Courneuve est-il devenu le narrateur indispensable de nos vies intérieures ? Zoom sur son art subtil qui a fait de sa vulnérabilité une arme massive.

De la technique pure aux chroniques de l’intime

Celles et ceux qui suivent Dinos – Jules Jomby de son vrai nom – depuis l’époque des Rap Contenders (une ligue française de battle de rap a cappella créée en 2010) se souviennent d’un « kickeur » hors pair. Mais réduire le rappeur à ses assonances serait une grave erreur. Bien que toujours adepte des rimes chirurgicales, le chanteur camerounais a opéré une véritable mutation dans son art lorsque sa technique s’est mise au service du fond. Celui qu’on appelait Dinos Punchlinovic l’a très bien compris : la virtuosité est vaine si elle ne raconte rien.

Cette tension créatrice devient alors le fil rouge de sa carrière. D’un côté, la promesse d’Imany (2018), album fondateur pour beaucoup, et de l’autre, Stamina (2020), qui marquera sa véritable explosion commerciale.

Le paradoxe est là : en faisant de l’introspection radicale le cœur de son récit, le rappeur de 32 ans a élargi son audience, tout en désarçonnant les fans de la première heure. Dans Enfant du siècle, il le résume avec une lucidité glaçante : « J’ruine ma santé à faire l’album de ma vie mais y aura toujours un trou du cul qui dira qu’j’rappais mieux à l’époque d’Imany ».

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Pourtant, le rappeur n’a en rien perdu de sa superbe. C’est bien cette capacité à ralentir le débit, à laisser respirer les silences – comme sur l’incroyable 93 Mesures – qui lui permet aujourd’hui de tenir une arène en haleine. Dinos ne se contente pas de rapper, il se confie, et nous avec lui.

Hymnes sensibles

Si Dinos fascine, c’est aussi parce qu’il incarne une figure presque littéraire, un héritier moderne du Spleen baudelairien. Dans Hiver à Paris (2022), sa musique est une exploration constante de la solitude urbaine, des amours déçus et de la quête de sens dans ce monde matériel. Une mélancolie paradoxalement lumineuse, jamais lourde ou pathétique, portée par un sens de la mélodie imparable qui résonne puissamment au sein de sa génération.

C’est d’ailleurs là toute la dualité de sa discographie. Capable de morceaux de rap puristes et sombres, il sait aussi livrer de véritables hymnes entêtants. En témoigne son morceau Helsinki, où la répétition presque hypnotique du nom de la capitale finlandaise devient, à nos oreilles, douce comme du miel.

Dans ses textes, la tristesse est alors esthétique. Sa musique est un rap de l’intime qui prend une dimension visuelle immédiate. Cultivant une imagerie sonore, où chaque mesure plante un décor, Dinos ne cache pas ses cicatrices. Il les expose sous les projecteurs, prouvant que la sensibilité est la nouvelle arme du rap français.

Le rap comme art total

Enfin, ce qui place Dinos à part, c’est sa vision globale, celle d’un passionné. Le rappeur ne sort pas juste des disques, il soigne une direction artistique millimétrée : de ses pochettes d’albums souvent minimalistes – on pense notamment à la simplicité radicale de Taciturne (2019) – à sa culture musicale encyclopédique.

Il convoque dans son univers une galerie d’artistes qui brise les frontières. De la légende du makossa Manu Dibango, dont le saxophone sublime la fin de Les garçons ne pleurent pas, à la pop de Charlotte Cardin, en passant par le rap pointu de Laylow, Hamza ou encore Damso, le chanteur de 32 ans sait s’entourer.

Musicalement, son érudition impressionne : il sait rendre hommage aux classiques, comme lorsqu’il revisite la boucle mélancolique de You Got Me des Roots sur son titre Tony Soprano et excelle également dans l’art d’utiliser des batteries sèches voire organiques – en témoigne la rythmique de Les Pleurs du mal – rappelant un certain Kendrick Lamar.

Cette exigence musicale est celle d’un artiste qui a accepté de décevoir les puristes de la première heure pour mieux se trouver lui-même. Comme il le souligne dans Simyaci : « Imany pour prouver à ma mère qu’j’avais la foi / J’l’ai perdue en faisant Taciturne […] J’ai fait Stamina pour être platine, et ça s’est vu ».

Aujourd’hui, avec ses deux concerts à Paris Bercy, Dinos prouve qu’il s’est réconcilié avec toutes ses facettes : le technicien, le mélodiste, mais surtout l’artiste. Bien plus qu’un rappeur, il est devenu le curateur de ses propres émotions, et par extension, des nôtres.

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Article rédigé par
Lucile B.
Lucile B.
Rédactrice fnac.com
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