Après plus de 40 ans de carrière, Mylène Farmer continue à rassembler des fans de toutes les générations. Nous avons rencontré cette communauté très investie qui suit avec ferveur la chanteuse et son univers unique.
Quelques mois après le triomphe de Nevermore et la réédition de l’album L’emprise, la discographie de Mylène Farmer s’enrichit à nouveau avec la parution de deux coffrets, 86/95 et 86/97. L’actualité musicale et éditoriale de cette vedette internationale qui a récemment fêté ses 40 ans de carrière n’en finit pas de rassembler un public toujours plus fidèle et intergénérationnel. Une activité bouillonnante et des tournées toujours à guichet fermé qui nous ont poussés à aller à la rencontre des fans de la star afin de mieux les connaître.
Oui mais… non, de Mylène Farmer.
La chanteuse francophone la plus vendue de tous les temps
Comme nous le rappelle Alexandre, un jeune fan inconditionnel interrogé pour l’occasion : « une des particularités de Mylène, c’est qu’elle a toujours su renouveler son public : quand j’ai commencé à l’écouter il y a plus de dix ans, elle était déjà la chanteuse française qui avait vendu le plus de disques ! » Une dimension intergénérationnelle unique qui a, par ailleurs, été soulignée par tous les fans et les spécialistes que nous avons interrogés. Et qui a même fait l’objet de nombreux articles de recherche en sociologie.
Pour Vincent Tommy, auteur de Mylène Farmer, prêtresse pop (Le Mot et le Reste, 2023) dont la mère était déjà « une fan de la première heure », ce n’est pas étonnant : l’artiste se démarque par une personnalité extrêmement atypique, à la fois omniprésente par son art et d’une discrétion personnelle quasiment impénétrable, qui laisse avant tout son art parler pour lui-même : « [ce côté universel] s’explique par la douceur et l’énergie que dégagent nombre de ses titres. Le choix des mots, qui parlent à tous et toutes, dans un monde actuel plus que bousculé. Et sa voix, pour nous les communiquer ! Elle constitue aussi un noble paradoxe par sa quasi-absence médiatique, une provocation dans notre société hyperconnectée. »

La couverture de l’album Emprise de Mylène Farmer.
Même son de cloche pour l’écrivain Gwen Fossois, aficionado de la star depuis le Concert Tour de 1989 et auteur de La philosophie sans contrefaçon de Mylène Farmer (Éditions de l’Opportun, 2022) : « Cela tient peut-être au fait que les sujets abordés parlent directement aux gens, ils font écho à leur quotidien. La mort, l’amour, le sexe, la religion, la paix, pour ne citer que ceux-là, renvoient à des questionnements qui nous touchent tous forcément, au moins à un moment de notre vie. C’est tout l’enjeu de l’existence : qui je suis, comment je suis, qu’est-ce que je choisis d’être et d’embrasser dans la vie… Et à chaque album, elle parvient à se réinventer. Je pense à des chansons comme Oui mais… non, dans un registre électro-dance qu’on ne lui imaginait pas en 2010 et qui, aujourd’hui, est l’un des titres les plus attendus de ses concerts. Ou encore au dernier album très lyrique qui est une sorte de voyage gothico-fantastique… Que l’aube est belle me donne toujours des frissons. »
Une réinvention permanente présente jusque dans la récente tournée Nervermore, qui a bluffé l’auteur par sa modernité et sa pertinence : « Elle nous fait pénétrer dans un monde hallucinant où l’on a pourtant des repères. Comme une invitation bienveillante dans un monde noir et romantique où l’on se sent à sa place. Je ne suis pas certain que beaucoup d’artistes réussissent cet exploit. »
Une communauté qui fait partie de l’œuvre
La communauté des fans de Mylène Farmer se démarque aussi par son investissement extrêmement fort, pouvant durer pendant des décennies. Une étude de la chercheuse en communication Marielle Toulze et du sociologue Arnaud Alessandrin montre ainsi que 89 % des fans de la star interrogés déclaraient que la chanteuse était ou avait été « très importante » dans leur vie et dans leurs parcours personnels. Et ce notamment dans le cas de personnes ayant dû faire un coming-out, la moitié des répondants à l’étude se déclarant LBTQIA+.
Mais c’est également le cas dans le cadre de transmissions familiales, les fans de Mylène Farmer se retrouvant souvent sur plusieurs générations au sein d’un même foyer et déclarant souvent que leur passion pour la chanteuse était un lien culturel fort avec leurs parents. Les auteurs soulignent enfin, après avoir épluché plus de 2 500 questionnaires, que la sociologie du public de Mylène Farmer est beaucoup plus variée en âges, genres et classes sociales que ce à quoi ils s’attendaient.

Mylène Farmer dans Ghostland de Pascal Laugier en 2018.
Pour Tina, une fan quinquagénaire qui a suivi la chanteuse depuis ses débuts, ces questions de transmission et d’intégration sont au cœur de l’œuvre de « sa » Mylène : « Dans les années 1980, un titre comme Désenchantée m’a aidée à m’accepter et à rencontrer d’autres personnes qui se sentaient comme moi. La poésie de ses textes, mais aussi le fait qu’on en discutait pour les décrypter, qu’on se retrouvait à ses concerts, tout ça m’a aidé à grandir. Les fans de Mylène ont toujours fait partie de son œuvre. Quand on va à ses concerts, on se sent intégré, qui que l’on soit ! » Des relations qui frisent parfois une dimension parasociale quasi religieuse, comme le souligne le journaliste Fabien Trécourt, qui expliquent en partie l’image des « fans de Mylène » dans la presse, parfois dépeints comme une meute surexcitée et hyper émotive.
« C’est normal qu’on ait un peu cette image, admet Alexandre. Mais c’est aussi parce qu’il y a un effet de groupe qui est dur à comprendre de l’extérieur. On crie, on pleure, on rit ensemble, il y a aussi un jeu avec les concerts de Mylène qui va consister à être le meilleur public, le plus investi, crier le plus fort. De l’extérieur, ça peut donner l’impression qu’on est tous et toutes zinzins, mais c’est aussi parce que tout le monde est content d’être là ! Je te promets qu’en dehors des concerts, je suis tout à fait normal [Rires] ! »
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Une part de mystère toujours présente
Le public de la star souligne aussi unanimement à quel point la dimension mystérieuse de Mylène Farmer est déterminante dans l’admiration sans cesse renouvelée qu’elle suscite depuis quatre décennies. À une personnalité médiatique discrète, Mylène Farmer adjoint un univers très singulier laissant une très large part à l’interprétation. « “L’univers à ses mystères”, c’est elle-même qui l’a chanté !, nous rappelle Vincent Tommy. Elle a toujours choisi de nous livrer ce qu’elle souhaitait à travers son écriture ou d’autres créations (clips, dessins…), et j’en suis très admiratif ! »
C’est une belle journée, de Mylène Farmer.
« Il y a encore beaucoup de mystères à percer, ajoute Gwendal Fossois. Quand j’ai écrit mon livre sur les échos philosophiques de son œuvre, j’ai été impressionné par le nombre de références qui se sont imposées comme des évidences. J’en soupçonnais certaines, plutôt évidentes, comme l’existentialisme, l’absurde, la pensée de Saint-Exupéry… Mais j’étais loin d’imaginer le gigantisme de son corpus. On n’est pas seulement sur des mots mis dans le bon ordre, dans un tout bien ficelé. C’est tout un corps qui a une profondeur, une pensée, une voix, et qui vient toujours, à chaque album, mettre le doigt sur nos paradoxes. […] Au-delà des références multiples à la littérature ou à la poésie, Mylène a réussi à composer son vocable, son style personnel pour nous parler, à nous. […] Son univers cinématographique mériterait un livre à lui seul. »
Confession, de Mylène Farmer, au Festival de Cannes 2025.
Tous les fans interrogés pour l’occasion le confirment : ce côté mystérieux, littéraire, allusif, c’est ce qui continue aussi de les rassembler autour de l’univers d’une artiste qui, néanmoins, ne s’enferme pas dans des références surcryptiques. Octave, un fan qui aime particulièrement les clips de la chanteuse, nous le confirme : « Elle s’est fait connaître avec ses clips très longs qui étaient presque des courts-métrages, mais il y a eu aussi des clips dessinés, d’autres plus proches du cinéma expérimental… C’est toujours différent, mais toujours cohérent et les évolutions dans son style sont progressives, pas juste fait pour surprendre. Toute sa carrière semble logique si on prend du recul ! »
En somme, Mylène Farmer continue de bénéficier auprès d’un large public d’une image quasiment sans faille, mêlant cohérence scénique, univers rassembleur, mais sans concessions, et textes faisant écho à plusieurs générations de fan. Pas étonnant, donc, qu’après 40 ans de musique, elle continue sans problème à remplir des stades, faire sensation au Festival de Cannes ou susciter l’écriture de plusieurs ouvrages analytiques ou biographiques chaque année !
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