Vous avez peut-être déjà shazamé/playlisté/partagé/posté les deux premiers singles disponibles en ligne de leur nouvel album, et on a envie de dire : comme on vous comprend ! Juniore est (enfin) de retour dans les bacs après en avoir momentanément disparu suite à quelques remous, dont le coup de massue Covid. En ce mois de septembre ce sont 13 nouvelles sucreries proto-garage-neo-sixties-faussement-yéyé-un brin psyché qu’on vous recommande vivement… 3, 2, 1 : A table !
Depuis l’apparition sur les plateformes et autres radios aux oreilles affûtées de cette intro de guitare à la savoureuse réverb’ (Le Silence), on se réjouit à l’idée de s’en mettre plein le casque à la rentrée. Apparu dans le paysage francophone et sur nos platines il y a une dizaine d’années, Juniore ressurgit après un blanc discographique que cette maudite pandémie, entre autres, aura occasionné.
Sacrés Français !
Dans un paysage du rock francophone qui se porte plutôt bien et qui aujourd’hui assume, voire revendique, de chanter en français, Juniore se place de mon point de vue dans le peloton de tête des groupes capables de faire le lien entre exigence “arty” et élan populaire.
Un choix à l’image du parcours de groupes catalogués rock & pop de cette même génération (Feu! Chatterton, Mustang, La Femme, Palatine…) comme d’autres, de la génération du desssus qui sans avoir besoin de parader sur des plateaux téloches à la moindre occasion, persistent et se renouvellent avec le succès qu’on leur connaît (Daho, Bertrand Belin, Philippe Katerine, Burgalat…).
Certes moins internationalisé que nos champions casqués, cet autre genre de french touch suit une ligne singulière ou les faux pas sont décidément rares. A ce titre, Juniore se pose là, et à la veille de la sortie de Trois.Deux.Un, le groupe n’en fait pas des tonnes en termes d’ego, de réseaux sociaux et même de promo (ça fait du bien parfois) mais semble surtout se concentrer sur ce qu’ils savent faire avec brio : des concerts et des disques ! Et tout ça arrive très bientôt, ça tombe bien.
Retro… Mais pas trop !
Alors oui, impossible d’écouter Juniore sans se dire qu’ils ont évidemment dû éponger une certaine quantité d’albums de l’âge d’or du rock et de la pop de la fin des fifties à l’aube des seventies. La musique et ses différents courants étant une suite de cycles circulaires – excusez ce plénoasme qui sonnait bien ! – on trouve souvent, en soulevant un coin du tapis, ces influences d’hier qui nourrissent et servent les productions d’aujourd’hui.
Dans le cas de Juniore, les connexions qu’on arrive à établir sont donc du meilleur goût. Des Californiens de Love à ceux plus contemporains de Foxygen jusqu’aux meilleurs millésimes de Françoise Hardy. Du génie créatif d’un Lee Hazlewood, d’un Phil Spector d’un Jean-Claude Vannier aux éclats oubliés de Jacqueline Taieb, Stella (Vander) ou de cette truculente Clothilde à laquelle on ne peut pas s’empêcher de penser. Des fiévreux Count Five et leur psychotic reaction à la candeur surjouée de l’iconique Bardot complètement “nue au soleil”, Juniore nous régale de ces “sons” venus d’un autre temps, d’un autre continent, mais qui font encore beaucoup parler dans la production de la pop et du rock actuel.
Mais attention, on est en 2024 et c’est là que ça devient intéressant ! Car si les textures et le son de ce nouvel opus peuvent paraître un poil rétro et que vos boomers de parents tapent du pied en entendant Amour Fou, regrettant soudainement la fermeture du Golf Drouot où ils se sont rencontrés, la mise en son et l’ensemble de 3, 2, 1 jouissent d’un truc implacablement moderne.
Je pourrais causer pendant des lignes du mixage savant, des arrangements malins, des compositions catchy, de leurs influences, de ce que je crois avoir capté de leur ligne artistique… Mais est-ce que le mieux ce ne serait pas de leur demander directement ?
Magie des communications modernes, on a causé avec Juniore pendant leur summer break, et vous savez quoi ? Ils nous ont presque tout raconté.
A partir de 2014, vous avez publié des singles, des EP’s, un album, des nouveaux EP’s, une compil’, un autre album et hop, plus rien, silence radio ! Qu’est-ce que qui s’est passé depuis 2020 ?
Juniore : Oui ! on a toujours été un peu lents, mais finalement plutôt réguliers dans nos sorties. Et puis 2020 est arrivé avec son lot de surprises. Comme le monde entier, je crois qu’on a été figés de sidération devant l’arrivée des confinements, couvre-feux, fermetures des frontières et tout le reste. On avait passé les dernières années à faire nos petites tournées, pauvres et insouciants, les instruments dans le coffre, à se balader en Europe, en Angleterre et même un peu plus loin. Et à préparer un nouveau disque et puis bam. C’était fini. Notre deuxième album est sorti en février 2020 et la suite de l’histoire, on la connaît. Il a fallu le temps de se résigner à annuler tout ce qu’on avait prévu et reporter pendant des mois, et ensuite remettre la machine en route. C’était un peu long, j’avoue. On est comme une vieille voiture, on met du temps à démarrer, mais une fois que le moteur tourne, c’est parti !
On vous a vus sur scène à 4 il y a quelques années. J’ai cru lire que le groupe avait comporté jusqu’à 7 membres mais sur la jolie pochette de 3.2.1, trois silhouettes seulement. Juniore, c’est qui en fin de compte ? Comment vous êtes-vous rencontrés et comment avez-vous évolué en termes de line-up ?
On a commencé a 7 ! Comme une version française des Shaggs x2 (NDLR : groupe culte sixties composé de 3 sœurs), années 2010, le charme en moins. On s’amusait beaucoup et c’était cacophonique. Finalement les unes et les autres ont continué leurs chemins de vie : certaines se sont mariées, d’autres sont rentrées vivre en Argentine ou ont été promues dans leur carrière. Juniore a changé de dimension, et puis on était 4, et finalement 3, Swanny, Samy et moi. On s’est rendu compte qu’on fonctionnait bien en trio. On converse bien à trois ! Jusqu’à ce qu’on décide cette année d’ajouter un musicien sur scène : Lou Maréchal sera à la basse pour les prochains concerts et on est ravis.
Vous sentez vous proche des groupes pour lesquels Samy Osta a réalisé les albums ?
Oui, je crois que le désir de fabriquer une musique imprégnée d’histoire en essayant d’éviter de faire un genre de photocopie maladroite, c’est ce qui a créé ce lien entre nous. Samy a une oreille assez extraordinaire pour entendre les nuances et décoder l’orchestration d’une musique. C’est sans doute ce qui donne lieu à ce mélange si particulier dans les musiques qu’il crée avec les différents groupes avec lesquels il travaille. Un mélange des genres et des époques, bien ancré dans l’époque, sans que ça paraisse artificiel, le tout, joué avec des vrais instruments qui passent dans des circuits d’outils modernes bien choisis. C’est certainement ça le plus audacieux dans une époque où les logiciels prennent de plus en plus de place. Bientôt, les chansons des IA !
S’il fallait faire un choix, donnez-nous trois influences musicales majeures qui ont fait Juniore ? Depuis le début ou plus particulièrement pour ce nouvel opus.
Pas facile ! D’abord, on aime beaucoup le cinéma – on fabrique un peu la bande son de notre film imaginaire. A une époque on était plutôt « Polanski Repulsion« mais cet album, pris au milieu des vraies angoisses des années 2020, plutôt Elvis et L’Idole d’Acapulco. En 2, de façon absolue, les sixties venues d’Angleterre et d’Amérique, et digérées par la France. La façon que les Français ont eu de réinterpréter les mélodies et atmosphères des musiques qui avait traversé les océans pour débarquer dans nos scopitones. Les Sounders – Je suis un nerveux ou Katty Line – Ne fais pas la tête sont de bons exemples et il y en a tant d’autres. Enfin, on adore les B52’s, les rois loufoques des années 60 dans les années 80.
Vous avez une ligne graphique assez élaborée. Les supports physiques et la scénographie sont-ils importants pour vous ?
Oui, c’est important bien sûr. On adore les pochettes et toute l’imagerie de la musique. Cela fait partie de l’histoire que ça raconte. Mais c’est aussi parce qu’on n’avait pas forcément les moyens de faire appel à des gens extérieurs et qu’on a fini par beaucoup faire nous-mêmes. Ça oblige à une certaines ligne artistique, presque par défaut ! Et on est ravis si ça semble cohérent quand on regarde ça avec un peu de distance. Dernièrement, on a fait une exception et on a demandé à un illustrateur talentueux de fabriquer un joli clip en aquarelles, Clément Soulmagnon a fabriqué un très joli dessin animé pour notre chanson Méditerranée.
Étant plus vieux que vous, j’ai connu une époque où le rock chanté en français n’était pas toujours très bien considéré, excepté peut-être dans les sphères du punk et du rock alternatif. Le choix du chant en français, c’est une revendication culturelle, une stratégie pour les quotas des radios, un acte de résistance face à l’hégémonie anglo-saxonne… Ou votre accent anglais est vraiment pourri ?
Héhé, tout ça est vrai ! On n’est pas exactement jeunes non plus (c’était l’idée, de s’appeler Juniore et de vieillir avec). On a commencé à faire de la musique, Samy et moi, dans les années 2000. Tout le monde chantait en anglais, c’était un peu nul. Nous aussi, on faisait des petites chansonnettes english un peu nulles. Et puis, on a plongé dans cette musique des années 60, qui avait bercé nos oreilles d’enfants et d’ados, en V.O, et cette fois en VF. On a découvert que ça avait existé en France aussi. Et partout ailleurs, en fait. Aux Philippines, au Maroc, en Italie. Quelque chose de mystérieux fait que c’est une musique qui a presque disparu de l’imaginaire collectif français. Pour une raison obscure, à mon sens, c’est Jean-Jacques Goldman et Céline Dion (donc) qui ont pris beaucoup de place dans l’histoire de la musique française. Même Michel Berger a été un peu évincé du top de la mémoire musicale. Quant à Gainsbourg, il est devenu un personnage dont on se souvient beaucoup pour ses apparitions télévisées et provocations, mais la musique de ses débuts, grandiose et intelligente et délicieuse, a été un peu oubliée par les Français, j’ai l’impression. Et puis c’est vrai que les Bérus et Indochine ont fait de la place pour les nouvelles générations qui ont la flemme de chanter du yaourt. Nous, on était ravis que La Femme ouvre la voie pour les groupes qui chantaient en français.
Pour finir, avez-vous un souvenir lié à la Fnac ?
On a sillonné les allées de nos Fnac pendant toute notre jeunesse, et encore aujourd’hui ! La mienne, à Nice, c’était le seul endroit où je pouvais écouter des nouveaux CD mis en place sur les bornes d’écoute. On a chacun son propre souvenir : moi c’était là que j’avais acheté mon premier CD de Nina Simone. Swanny, de MC Solaar. Et Samy se souvient de la première fois qu’il entend l’album Loser de Beck sur une borne d’écoute. C’était un CD 2 titres, qu’il a bien sûr acheté et ça a changé sa vie. Evidemment, le rêve, c’est d’être mis en avant dans une allée à la Fnac. C’est comme passer à la TV !