Qui aurait pensé en août 2004 en voyant le premier épisode d’une nouvelle série tv diffusée sur France 3 qu’elle serait devenue dix-huit ans plus tard la série française de tous les records ? Car entre chiffres vertigineux et concept accrocheur, Plus belle la vie est devenue une véritable institution. Si l’arrêt du soap sur France 3 en novembre 2022 fut pour beaucoup un crève-cœur, son arrivée sur TF1 en ce début d’année marque le grand retour du plus fameux des quartiers imaginaires français.
Plus grande la vie, les chiffres
Évoquer Plus belle la vie, c’est d’abord parler chiffres. Gros chiffres. Car dans un univers de la télé française où les séries ont toujours plus ou moins comporté peu d’épisodes où à l’inverse peu de saisons, le soap de France 3 sort du lot. On parle ici de 18 saisons et 4665 épisodes quotidiens, auxquels il faut ajouter 29 épisodes en prime time et 55 épisodes spéciaux. Une montagne par rapport aux autres séries marquantes de l’époque. Joséphine, Ange Gardien, par exemple, ne compte que 104 épisodes en 22 saisons. Première série française à dépasser les mille épisodes, elle a depuis longtemps distancé ce chiffre. Mais PBLV reste toutefois bien loin des records absolus dans le domaine. Le soap Haine et Passion a ainsi fait les beaux jours de la télévision américaine durant 56 saisons, de 1952 à 2009, pour 15 762 épisodes ! Et que dire de la série Des jours et des vies qui compte 59 saisons et marche tranquillement vers le record car toujours en diffusion.
Et les chiffres ne s’arrêtent pas là, Plus belle la vie, c’est plus de 400 acteurs employés au total, pas moins de 17 réalisateurs différents et une armée de scénaristes. Côté audiences, on parle de six millions de téléspectateurs fidèles au poste tous les jours pendant les dix premières années d’existence de la série, à tel point que le sacro-saint JT de TF1 tremblait ! À partir de 2014 les audiences ont certes commencé à baisser, mais cela n’a empêché PBLV d’être la série la plus regardée en streaming en 2015 devant Game Of Thrones, excusez du peu.
Et puis il y a tous les à-côtés, les innombrables produits dérivés d’une série incontournable qui a déjà marqué son époque et que l’on peut afficher sur son t-shirt ou sa casquette préférée, ou retrouver en livres, bandes dessinées, jeux de société, jeux vidéo ou web série. Même si vous n’avez jamais regardé Plus belle la vie, vous connaissez quelqu’un qui est fan. La ville de Marseille remercie d’ailleurs chaleureusement la série, elle qui déclare recevoir 100 000 touristes par an grâce au soap.
La recette Plus belle la vie
Plus belle la vie, c’est d’abord une diffusion d’août 2004 à novembre 2022 sur France 3 avant une reprise sur TF1 à partir de janvier 2024. Sur un créneau horaire bien particulier, celui de 20h, un peu après le début des journaux télévisés et avant les programmes dits de prime time. TF1 a d’ailleurs décidé de reprogrammer la série à un horaire plus classique pour les soaps, le début d’après-midi.
Mais de quoi ça parle ? PBLV raconte la vie quotidienne d’habitants d’un quartier imaginaire de Marseille appelé le Mistral. Ce quartier s’inspire du véritable quartier marseillais du Panier, vestige du cœur historique de la ville ayant résisté aux grands travaux du XIXe siècle et aux destructions de la Seconde Guerre mondiale. Les histoires de la vie de tous les jours sont doublées d’intrigues policières qui pimentent la série et s’étalent sur plusieurs épisodes voire une saison. Typiquement, un épisode comporte plusieurs niveaux d’intrigues, de la plus importante qui peut durer plusieurs semaines à la plus triviale qui s’appuie sur des événements du quotidien.
Le rythme de diffusion de Plus belle la vie est quotidien. La série est présente tous les jours de la semaine et parfois le week-end pour des épisodes spéciaux. Ce qui fait qu’une saison compte environ 260 épisodes. Le principe directeur étant qu’un épisode représente grosso modo un jour dans la vie des personnages. De plus, chaque épisode est censé se passer à la date réelle à laquelle il est diffusé. Ainsi, l’épisode diffusé le 24 décembre raconte la façon dont les habitants du Mistral préparent leur réveillon de Noël.
Côté logistique, la série ressemble à une machine bien huilée. Les épisodes étaient tournés cinq ou six semaines à l’avance, à raison de cinq épisodes par semaine dans un studio situé à Marseille pour les scènes du Mistral et dans la ville elle-même pour les décors extérieurs. La série utilise fréquemment des lieux réels bien connus des Marseillais, comme le parc Borély ou la prison des Baumettes. Elle met également souvent en valeur les paysages de la région en s’aventurant à Aubagne, Martigues ou dans les nombreux parcs naturels environnants.
Anatomie d’un succès
Mais alors comment Plus belle la vie a-t-elle réussi le tour de force de tenir en haleine plusieurs millions de téléspectateurs quotidiennement ? Qu’a-t-elle de plus que les autres soaps pour avoir multiplié les succès d’audience sur une aussi longue durée ? Pour réussir cet exploit, la série s’appuie évidemment sur deux piliers incontournables : des personnages attachants ou intrigants, interprétés par des acteurs bien dirigés, et des intrigues qui passionnent. Qualités indispensables à toute série qui veut aller loin, alliées à une science du cliffhanger élevé au rang d’art. Voici la base.
Mais ce qui démarque Plus belle la vie des autres soaps, c’est sa capacité à coller aux sujets d’actualité. L’écriture des scénarios se déroulant environ deux mois seulement avant la diffusion télé, les scénaristes peuvent rebondir sur des sujets de fond qui tiennent en haleine la société. Parmi les sujets marquants évoqués par PBLV, il faut noter en 2005 la volonté d’inclure dans les manuels scolaires par le gouvernement de l’époque une mention sur le rôle prétendument positif de la colonisation. En 2008 la série s’empare de problèmes d’espionnage liés aux Jeux Olympiques d’été de Pékin et de la question du Tibet. Rebelote en 2011 avec l’affaire du Mediator qui est inclus dans la vie des habitants du Mistral. Idéal pour brouiller encore plus la frontière entre fiction et réalité.
Mais la série va encore plus loin, comme quand elle anticipe les événements. Puisque chaque épisode doit représenter le jour réel de sa diffusion et que les personnages sont censés vivre leur vie en même temps que nous, le lendemain de chaque élection présidentielle avait droit à la mention du résultat par un personnage dans le cours de l’intrigue. Scénaristes visionnaires ? Élections truquées ? Rien de tout ça, juste la magie du cinéma, puisque les scènes étaient tournées deux fois, avec deux noms de candidats différents. La production eut toutefois peur en 2007 lorsque François Bayrou s’approcha dangereusement d’une présence au second tour de l’élection présidentielle dans les sondages alors que les scènes avec les mentions de Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal étaient déjà dans la boîte.
Plus belle la vie est également une série qui sait réagir à chaud lorsque les circonstances l’exigent. Ainsi, une scène a été tournée puis ajoutée à un épisode diffusé quelques jours plus tard en janvier 2015 pour évoquer l’attentat contre Charlie Hebdo. Même procédé suite à l’effondrement de plusieurs immeubles à Marseille en novembre 2018. Ou pour rendre hommage à diverses personnalités décédées, comme Johnny Hallyday, Charles Aznavour ou Bernard Tapie.
Là est le vrai génie de Plus belle la vie, qui propose une fiction tellement mâtinée de réalité qu’elle renforce son potentiel addictif.
Série B ou coup de génie ?
Au cœur du succès de Plus belle la vie, il y a ses intrigues. Souvent moquées, elles n’en restent pas moins une leçon d’écriture pour accrocher le spectateur. La série avait notoirement débuté avec des scénarios très réalistes et a bifurqué vers le sensationnalisme pour trouver sa voie, celle qui a plu à tant de gens. Car les personnages de PBLV mènent des vies ordinaires, ont les mêmes problèmes et les mêmes joies que vous et moi, mais la foudre semble s’acharner sur eux. Au cours des dix-huit saisons, nombres de personnages ont été confrontés à une histoire criminelle sordide, un enlèvement, une agression ou une histoire de stupéfiants. On ne compte plus les personnages revenus d’outre-tombe par un artifice d’écriture, les complots et autres vengeances machiavéliques. Certains y voient de la très bonne série B, d’autres le prennent au premier degré. Peu importe votre camp, l’important, c’est que vous avez regardé.
Le rôle d’une vie
Outre les inévitables familles Marci, Torrès et Frémont, Plus belle la vie a proposé durant dix-huit ans des personnages à la trajectoire passionnante qui ont été, comme c’est souvent le cas avec les séries au long cours, les rôles de la vie de leurs interprètes. Certains se sont fait connaître grâce à PBLV, comme Laëtitia Milot (dans le rôle de Mélanie Rinato) qui a fait un bout de chemin depuis. Rebecca Hampton (Céline Frémont), elle, naviguait déjà dans le monde des séries tv françaises chez AB Production avant de s’épanouir dans le quartier du Mistral. Pour d’autres il s’agissait du couronnement d’une carrière, comme pour l’immense comédien de doublage Thierry Ragueneau (François Marci) qui est devenu un visage pour nombre de téléspectateurs alors qu’ils connaissaient déjà sa voix. La série a totalisé 24 acteurs principaux, une centaine d’acteurs récurrents, d’innombrables figurants et même une belle liste d’invités spéciaux comme Yves Rénier ou Gérald Dahan dans des épisodes diffusés en prime time, ou encore Pierre Bellemare, Justine Hénin, Basile Boli et Adriana Karembeu dans leur propre rôle le temps d’un épisode ou carrément d’une intrigue. Série de tous les records, non seulement en termes de chiffres, mais aussi pour l’attachement envers ses personnages grâce à une longévité jamais vue à la télévision française, Plus belle la vie n’a pas fini de nous raconter les joies et les peines des habitants de ce quartier si proche de nous.