Retrouvons aujourd’hui le lauréat de cette 20e édition du Prix du Roman Fnac, Jean-Baptiste Del Amo, pour son roman Le fils de l’homme. Accompagné de Mademoiselle Lit qui mène l’interview, nous découvrons l’homme qui se cache derrière la plume, tisserand de cette histoire qui narre la transmission de la violence avec une grande minutie, nous permettant d’appeler avec certitude ce roman : une Oeuvre.
1. Le fils de l’homme est votre cinquième roman, paru aux éditions Gallimard. Pouvez-vous nous le présenter en quelques mots ?
Jean-Baptiste Del Amo : « Le fils de l’homme raconte l’histoire d’un homme qui ressurgit, après plusieurs années d’une absence mystérieuse, dans la vie de son ex-compagne et du fils qu’ils ont eu ensemble. Il décide de les amener dans la montagne, dans une vieille maison qui s’appelle les Roches, où il espère pouvoir recomposer une famille avec eux. Mais très rapidement, la mère et l’enfant vont s’apercevoir qu’il a sans doute d’autres désirs, d’autres attentions. Que lui-même est tenté par sa propre histoire, et qui va leur falloir, à tous deux, essayer de survivre à la présence de cet homme.
2. Quel a été le point de départ de l’écriture de ce roman ? Que vouliez-vous raconter ?
C’est assez difficile pour moi de définir exactement quel est le point de départ d’un roman. J’ai l’impression que se sont souvent des histoires que je porte depuis de nombreuses années, qui se sont sédimentées, et qui sont souvent au croisement à la fois de thématiques qui me touchent mais aussi d’influences, de lectures, de films que je vois, de tout un ensemble d’éléments extérieurs qui, peu à peu, vont donner naissance à l’envie de raconter une histoire.
Là, en l’occurrence avec Le fils de l’homme, je voulais revenir à cette thématique de la transmission de la violence de père en fils, comme je l’avais déjà traitée dans mes précédents romans mais en particulier Règne animal, le quatrième. Mais cette fois, je voulais le traiter de manière beaucoup plus resserrée, avec simplement trois personnages et dans un huis clos à ciel ouvert.
3. Si l’histoire principale du livre se déroule dans les années 1990, vous ouvrez votre roman par un prologue qui se passe, on le devine, à la préhistoire. Qu’est-ce que ça signifie ? Pourquoi avoir choisi de démarrer sur ce chapitre ?
Je pourrais répondre à cette question mais je pense que ce serait retirer au livre une part de son mystère. Ce que je peux vous dire, c’est que c’est un prologue qui va planer sur le reste du roman de façon symbolique et qui répondra à différents endroits par des échos. Mais j’aime bien aussi l’idée de faire confiance à mes lecteurs et de les laisser interpréter eux-mêmes la raison de ce prologue.
4. Vous ne nommez jamais vos personnages (si ce n’est l’oncle Tony). Vous dîtes : « le fils », « le vieux », « la mère », « le père », etc. Vous traitez dans votre roman du thème de la transmission. Celle d’un père à son fils. On peut se demander si le fait de ne nommer personne était une façon de signifier que cette transmission s’opérait quels que soient le milieu, le cadre et l’époque ?
En effet, les personnages de ce roman-là ne sont pas nommés. Tout d’abord parce qu’au moment de l’écriture je n’ai pas réussi à les nommer. Dans un premier temps, ça m’a interrogé : pourquoi est-ce que je n’arrivai pas à leur attribuer de noms contrairement à d’autres personnages dans d’autres romans ? Et puis rapidement, j’ai compris que ce qui m’intéressait c’était, certes, de raconter une histoire singulière (celle d’une mère, d’un père et du fils qu’ils ont eu ensemble) mais aussi de donner à cette histoire une portée beaucoup plus universelle et presque mythologique.
Finalement, c’était naturel que ces personnages-là ne portent pas de prénoms. Parce qu’à la fois, ils sont cette mère, ce père, cet enfant, mais entre eux se rejouent aussi des thématiques, des obsessions qui sont celles, je crois, de toute notre humanité.
5. C’est aussi l’idée du titre : Le fils de l’homme ?
Oui « Le fils de l’homme » est un titre presque biblique qui annonce une attention mythologique ayant presque une valeur de vérité générale. C’est à la fois le fils de cet homme-là dans le roman, mais c’est aussi l’idée de cette transmission incessante des pères aux fils, et de la façon dont, en particulier (puisque que moi ce qui m’intéresse c’est l’héritage de la violence), cette violence-là se transmet, se répète, à travers le temps, les époques, les cultures.
6. Au-delà de la violence du père, de sa folie et du climat angoissant qui s’installe petit à petit, vous consacrez de longs paragraphes à la description de la montagne, de la forêt, de la faune et de la flore. On a l’impression en vous lisant que vous voulez confronter la bêtise humaine à la beauté de la nature et à sa force…
Je ne crois pas que ce texte parle de la bêtise humaine. Je pense qu’il parle de la violence humaine, de la difficulté des hommes à survivre sans avoir le besoin de s’approprier, de posséder ce qui les entoure, à la fois les lieux mais aussi les autres êtres. Mais pour autant, j’ai toujours eu pour mes personnages une grande empathie et même une affection. Je ne porte pas du tout sur eux un regard qui pourrait être un jugement. Et cette nature qui les entoure, je ne l’ai pas non plus conçue en opposition aux personnages humains. Ils font partie de ce décor et c’est vrai que la nature, sans doute, voit se dérouler ce drame humain tout en étant tout à fait insensible à cette tragédie qui se trame.
7. Vous êtes végétalien, militant écologiste et vous avez déjà écrit sur la cause animale. Ces convictions se ressentent également dans ce nouveau roman. Il est important pour vous de transmettre ces valeurs dans vos écrits ?
Pas du tout parce que je n’écris pas de roman à clef. Je m’en suis souvent défendu même avec mon roman précédent, Règne animal qui avait été souvent présenté comme un roman antispéciste, un roman engagé, militant alors quje je dissocie totalement mon travail de romancier et d’écrivain de fiction, de mon engagement personnel (qui m’a cependant conduit à écrire aussi un essai en particulier sur la question animale).
J’écris des romans, j’invente des histoires et, bien évidemment, les histoires que je crée, les situations, les personnages, sont aussi façonnés par la sensibilité qui est la mienne, mais jamais avec la volonté de transmettre un message.
8. À la fin du récit, sans spoiler, vous laissez l’ouverture sur quelque chose. Le lecteur est libre de s’imaginer ce qu’il souhaite. Est-ce ainsi que vous le ressentez ?
Pour moi, ce roman il a une fin qui est évidente, claire, mais bien évidement, j’avais aussi conscience en le terminant de cette façon, de laisser une porte ouverte, et je crois aussi, une lueur d’espoir que le lecteur puisse investir, s’approprier pour aussi donner éventuellement à ce livre, sa propre fin.
9. Vous recevez aujourd’hui le Prix du Roman Fnac pour ce cinquième roman. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
C’est toujours une joie pour un romancier de recevoir un prix pour un roman qui nous a souvent accompagné pendant des années et qui a représenté une partie de notre vie et de notre quotidien. Et c’est une joie redoublée quand c’est un prix qui est attribué par des libraires et par des lecteurs. Donc je suis bien sûr ravi et je crois que ça place Le fils de l’homme sous d’heureux auspices pour cette rentrée littéraire.
10. D’où vous vient cette envie d’écrire ?
Ah ça, c’est un grand mystère, j’aimerais être capable de répondre à cette question ! Je crois que l’envie d’écrire arrive généralement très tôt dans une vie, en tout cas, ça a été mon cas. Et rétrospectivement, j’ai l’impression que ça a été une manière d’être capable d’habiter ce monde, de l’investir et peut-être de le comprendre aussi, en canalisant mes interrogations, mes craintes, mes obsessions, mes désirs, et en les matérialisant sous la forme d’histoires, de fictions.
Et puis, il y a une part de magie qui nous échappe, même à nous, écrivains : c’est cette faculté extraordinaire de la littérature et de l’imaginaire de nous transporter dans d’autres mondes et de nous permettre de vivre d’autres vies que la nôtre. »
*Interview menée par Mademoiselle Lit. Retrouvez son blog juste ici : Mademoiselle Lit : blog d’une lectrice et de ses impressions
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Parution le 19 août 2021 – 240 pages