Le Démon de la colline aux loups est le premier roman de Dimitri Rouchon-Borie, journaliste spécialisé en chroniques judiciaires et faits divers. Habitué des procès, il signe ici une œuvre remarquablement puissante, tant sur le fond que sur la forme, en nous donnant accès au journal de prison de Duke, un criminel à l’enfance plus que troublée.
Dernier(s) jour(s) d’un condamné
C’est sur une machine à écrire prêtée par le directeur de prison que Duke commence à raconter son histoire. Dès les premières lignes, il installe le cadre et met en garde le lecteur : « La Colline aux loups c’est là que j’ai grandi et c’est ça que je vais vous raconter. Même si c’est pas une belle histoire c’est la mienne c’est comme ça ».
L’existence de ce récit semble répondre à deux objectifs : l’exercice de mise à distance via l’écriture permet au pécheur de se décharger de cette histoire, lourde et douloureuse. Dans un même temps, le narrateur vit la rédaction de ce journal comme un devoir, un châtiment qu’il s’inflige, comme pour expier ses fautes – même s’il parait convaincu de l’inaccessibilité de son salut.
On s’immisce donc dans l’intimité de Duke, au plus proche de ses pensées, pour l’accompagner dans ce processus cathartique : « à qui j’écris ce journal alors je ne sais pas. Peut-être à moi-même et à celui que j’étais avant le Démon ».
Une plume saccadée à la fluidité surprenante
Là aussi, Duke prévient son lectorat : il a un « parlement » particulier, car il n’a « pas fait l’école longtemps ». Et effectivement, les phrases se succèdent, sans fioriture ni ponctuation. Les mots se déposent les uns à la suite des autres de manière quasi mécanique, et paradoxalement, on décèle la fluidité de la pensée du narrateur.
Comme Duke, on attend le point final pour reprendre son souffle, accroché à son flux d’idées. Il nous emmène avec lui, sur la colline aux loups, aux procès, dans un squat de junkies, en prison, mais aussi au plus profond de son cerveau torturé.
Un texte épuré, comme pour mieux se concentrer sur l’essentiel : ici, le propos est d’une puissance telle qu’il se passe de tout accompagnement stylistique.
Cohabiter avec un Démon
A travers la parole de Duke, Dimitri Rouchon-Borie se penche sur plusieurs thématiques qui semblent lui tenir à cœur. La mobilisation du Démon, entité abstraite qui prend le contrôle de Duke dans ses moments les plus sombres, soulève des problématiques plus larges. Ainsi, on se questionne sur le poids de l’héritage et le concept de responsabilité. Dans quelle mesure peut-on être jugé responsable de ses actes, quand le sort s’acharne sur nous dès le plus jeune âge ?
La question de la religion est également abordée, par le biais d’une rencontre avec un aumônier : « il restait là et moi ça ne me gênait pas au bout d’un moment j’ai dit je peux vous poser une question et il n’a pas moufté alors j’ai posé ma question. Est-ce que c’est bien de revivre dans sa tête une chose pénible pour sauver son âme ou ça sert à rien et d’ailleurs qui dit que j’ai une âme ».
Peu à peu, Duke perd en naïveté, et comprend qu’il est condamné, prisonnier du Démon. Ses propos, toujours aussi brutaux, viennent se heurter à notre conscience : on remet en question notre propre vision du bien et du mal, acceptant malgré nous la porosité d’une frontière artificiellement tracée.
Le démon de la colline aux loups est une œuvre dérangeante, qui nous bouscule et nous pousse dans nos zones d’inconfort, hors de ce nid chaud construit de certitudes enveloppantes. Sa lecture, même si elle peut se révéler douloureuse pour certaines personnes, risque d’en bouleverser plus d’un·e.
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Parution le 7 janvier 2021 – 237 pages
Le démon de la colline aux loups, Dimitri Rouchon-Borie (Le Tripode) sur Fnac.com