A l’occasion de la sortie poche de son roman, retrouvez cet interview d’Alice Zeniter tourné lors de la rentrée littéraire 2020. Comme un empire dans un empire, ou l’histoire d’une génération confrontée à la violence du monde et qui tente, par ses engagements politiques, à redessiner des perspectives.
« Je pense qu’en fait c’est ça l’écriture, c’est toujours du recyclage. »
Quelle est la signification de l’épigraphe de votre livre ?
Alice Zeniter : « L’épigraphe est une citation de Michaud. C’était une manière de raconter ce qu’est aussi l’engagement politique, la manière dont il faut que les différents rouages travaillent ensemble, c’est aussi ce qu’est l’amitié et ce qu’est faire tenir une communauté à la campagne. C’est cet entremêlement qui est le contraire de raconter l’histoire d’un héros unique et cela, ça me passionne. »
D’où vient ce livre ?
« J’alterne depuis dix ans entre des livres qui s’intéressent à une matière historique très ample et des livres qui vont, au contraire, décrire une période beaucoup plus courte et contemporaine.
Sombre dimanche ou L’art de perdre étaient du côté des romans historiques qui prennent un siècle.
Et puis, Jusque dans nos bras ou là, Comme un empire dans un empire, c’est vraiment se pencher sur l’extrême présent avec la même attention que si un siècle entier se déroulait sous nos yeux.
Après, ce livre part de la même question que L’art de perdre, qui est : comment fait-on quand on est plongé dans le présent au moment des événements, de la déflagration, pour essayer d’en deviner la portée, d’en comprendre le sens ? C’était toutes les questions que se posait mon personnage dans la première partie de L’art de perdre et ce sont les questions que se posent mes personnages dans ce livre-là… Des questions que je me posais moi aussi puisque j’écrivais sur la période qui se déroulait pendant que j’écrivais, fin 2018 à 2019, sur le mouvement des gilets jaunes et tout ça. Moi aussi j’écrivais sans avoir de recul, en me disant : « Qu’est-ce qu’on fait de cette matière brute ? Comment on transforme ça en roman ? Comment on transforme ça en pensée politique ? » »
Y a-t-il des auteurs qui auraient pu être vos mentors ?
« Je suis une admiratrice immense de Zola. Je crois qu’il y a un truc qui, dans Les Rougon-Macquart, me paraît génial, c’est que chaque tome nous permet d’être plongés pendant la lecture dans un sous-monde dont on ignore tout.
Si je lis Les Rougon-Macquart, je peux être vendeuse de grands magasins, je peux être curé, banquier, mineur, peintre impressionniste… Et c’est ce que j’ai envie de faire aussi avec mes livres, pouvoir présenter aux lecteurs et lectrices des mondes qu’ils ne connaissent pas forcément ou mal, et de dire : « Bah voilà, le temps d’une lecture, on peut être ça. » »
Que signifie « faire de la politique » pour cette génération de trentenaires ?
« Faire de la politique pour les différents personnages du livre, ça ne veut pas dire la même chose. Antoine est assistant parlementaire et pour lui, ça veut dire travailler à l’Assemblée Nationale, travailler avec un député, être aux côtés de la politique de métier ; pour Elle, qui est hackeuse, ça va vouloir dire se battre en ligne pour conserver une liberté du territoire ; et pour Xavier et ses amis qui vivent en communauté en Bretagne, ça va vouloir dire vivre en accord avec son environnement, ne pas se penser comme les maîtres et possesseurs de la nature.
Mais ils ont tous des points communs malgré les formes très différentes que prend la politique. D’abord ce questionnement quant à savoir : « Est-ce que j’en fait assez ? Est-ce que j’ai choisi la bonne cause ? Est-ce que l’ennemi n’est pas trop grand pour être défait ? »
Et un de leur autre point commun – et une des choses qui m’intéressait le plus -, c’est que je n’ai pas voulu prendre des grands héros solitaires. Antoine, Elle et Xavier sont interdépendants. Il y a une grande question de la division du travail, de l’engagement et de comment ça lie les personnages ensemble. Et c’était ça que je voulais raconter : comment leurs vies se mêlent malgré toutes leurs différences ? »
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Paru le 18 août 2021 – 448 pages