Que serait le monde sans l’Europe ? C’est ce à quoi réfléchit Diane Ducret dans La Dictatrice. Alors que les pays deviennent vulnérables, que le pétrole autant que l’électricité ne sont plus qu’un vieux souvenir, que le pape tourne le dos au peuple de croyants et que tout n’est que dénationalisation et privatisation, Aurore Henri, double féminin d’Hitler, se dresse pour une nouvelle Europe… Mais à quel prix ? Entretien avec l’auteure !
1. Dans La Dictatrice, pourquoi avez-vous souhaité parler d’une nouvelle Europe et de la montée des extrêmes ?
Diane Ducret : La Dictatrice est le roman d’une femme au parcours incroyable autant que terrifiant. Une femme visionnaire, lucide sur notre monde, la montée des extrêmes, de l’injustice, la fin d’une société néo-libérale et matérialiste qui nous a conduit à la haine et la violence. Aurore Henri est en cela le porte-voix d’une génération occidentale qui attend des raisons de croire à nouveau au futur. Mais c’est une femme avec un côté sombre qui va prendre le dessus. J’ai écrit ce livre car je ressens comme elle cette peur de l’avenir, et que j’espère qu’il ne sera pas aussi noir que ce que l’on nous prédit.
2. Cette mise en perspective a dû être compliquée. Comment vous êtes-vous renseignée ?
Le livre s’est construit comme une cathédrale, il m’a demandé beaucoup de recherches ! Mon travail sur les Femmes de Dictateur m’avait donné l’occasion de travailler sur le totalitarisme, le nazisme notamment.
Dans La Dictatrice, nous sommes 100 ans jour pour jour après Hitler, dont Aurore Henri est une sorte de double féminin. J’ai voulu imaginer, 100 ans après, comment une idéologie totalitaire pourrait s’emparer de l’Europe, de la France, et arriver peu à peu au pouvoir, et s’insinuer dans toutes les sphères de notre vie.
3. Qu’est-ce qui façonne Aurore Henri ?
Aurore Henri porte en elle une part d’inconnu, qui lui fait peur. Un vide qui l’appelle. Elle est née sous X et ne connait pas sa mère. Tout le livre durant, cette figure maternelle originelle va l’obséder. Bien sûr, ce sentiment d’abandon va faire écho à la perte des valeurs européennes qu’elle observe et à la violence à laquelle, en tant que journaliste de guerre, elle s’est confrontée. « Les hommes font preuve de tant d’ingéniosité pour se tuer, guère pour s’aimer », se lamente-t-elle.
4. Pourquoi avoir choisi la figure féminine pour représenter la dictature ?
Une femme dictatrice, c’est une première dans l’Histoire comme dans la littérature. Finalement, c’est toujours une sorte de tabou… On imagine la femme incapable d’une telle violence. La femme est positive, maternante… Mais si elle est l’égale de l’homme, peut-être l’est-elle aussi dans le mal ! C’était terriblement dérangeant et excitant d’imaginer une femme devenir l’égale des pires tyrans.
5. Difficile de ne pas remarquer les nombreuses similitudes et parallélismes avec Adolf Hitler et le nazisme, à commencer par leurs initiales A.H. Pourquoi avoir choisi cette figure de dictateur et non une autre ?
Dans le livre, même si le contexte politique est omniprésent, nous sommes véritablement dans l’anatomie d’une dictature, à l’intérieur de la tête d’Aurore Henri, au cœur de sa psyché. Adolf Hitler représente, dans l’Histoire, le mal absolu. Aucun autre n’a systématisé avec autant de minutie et d’atrocité ses idées destructrices. Un homme prônant le « bien » pour son peuple, « la paix » de 1000 ans en Europe, et a mené le monde en enfer.
6. Les idées d’Aurore Henri sont dénuées de toute volonté de destruction et d’envie de faire le mal. Cependant, le titre ne cesse de nous rappeler à l’ordre. Pensez-vous qu’à force de vouloir faire le meilleur c’est indéniablement le pire qui arrive ?
L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. Comment un programme féministe, écologique, égalitaire peut-il se retourner contre le peuple et le priver de sa liberté ? C’est le problème des idéaux extrêmes. Vouloir le bien pour tous, l’imposer, imposer sa vision, c’est semer les graines du totalitarisme.
7. Les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans la création de l’icône qu’est Aurore Henri. Avez-vous souhaité nous mettre en garde ?
Bien sûr ! C’est une mise en garde sur notre monde, la façon dont, aujourd’hui, nos médias et les réseaux sociaux propagent des idées dans l’instantané, créent des idoles, propagent la haine aussi. Imaginez Hitler à l’ère des réseaux sociaux ? Il serait presque inarrêtable, hélas.
8. Quand on lit votre roman, des images se meuvent très facilement. L’avez-vous écrit dans une optique aussi de scénarisation ?
Pour La Dictatrice, j’avais envie d’une écriture rapide, visuelle, traduisant l’urgence et l’ampleur du parcours d’Aurore Henri. Je n’avais pas songé à une adaptation, mais nous venons de recevoir deux offres très importantes de grands producteurs et diffuseurs… À suivre !
9. Un discours d’Hitler, lors de son procès pour le putsch de Munich, fait penser au discours d’Aurore Henri lors de son propre procès. Vous êtes-vous inspirée des talents d’orateur du dictateur pour les transposer dans les discours d’Aurore Henri ?
(Hitler : « Je ne suis pas venu au tribunal pour nier quoi que ce soit ou éviter mes responsabilités. […] [Ce putsch] Je l’ai porté seul. En dernière analyse, je suis le seul à l’avoir souhaité. Les autres accusés n’ont collaboré avec moi qu’à la fin. Je suis convaincu que je n’ai rien souhaité de mal. Je porte les responsabilités pour toutes les conséquences. »
—
Aurore Henri : « J’en reconnais la responsabilité et ne souhaite pas me soustraire à ses conséquences. Mais si je suis condamnée, je veux l’être pour les véritables raisons (…) Souhaitais-je lui faire du mal ? Non plus. » )
Bravo de l’avoir remarqué ! En effet, j’ai disséminé parfois dans le livre des discours ou propos d’Hitler, et je les ai mis dans la bouche d’Aurore Henri, pour voir si aujourd’hui, ils pourraient passer. Et c’est terrible… Ils trouvent leur place dans notre contexte actuel. On ne remarque pas leur violence, alors qu’on s’en pensait guéris.
10. Pourquoi pensez-vous que les gens se tournent vers les extrêmes et des pouvoirs très forts aujourd’hui ?
Parce que nous sommes dans une grande période d’incertitude, d’insécurité. Nous avons peur de voir partout un monde que nous connaissions s’effondrer, et nous ne savons pas quel sera le monde de demain. Alors ceux qui crient fort parmi la foule, ceux qui profèrent les mots les plus violents savent attirer à eux ceux qui ont peur. L’homme est prêt à tout pour se sentir en sécurité… Même renoncer à sa liberté.
11. Selon vous, comment éviter l’arrivée au pouvoir de quelqu’un comme Aurore Henri ?
La réponse va vous sembler naïve mais… L’amour. Nous avons besoin de retrouver en nous et autour de nous l’amour, celui de nos aînés, de nos fils, de notre prochain, de l’autre, de sa différence… De notre passé aussi, afin qu’un futur commun soit.
—
Parution le 22 janvier 2020 – 512 pages
La Dictatrice, Diane Ducret (Flammarion) sur Fnac.com
* Photographie du visuel : © Céline Nieszawer/Leextra/Éditions Flammarion