Marc Levy est l’auteur français le plus lu dans le monde, depuis le succès de son premier roman Et si c’était vrai, paru en 2000. Son œuvre est traduite en 49 langues et s’est vendue à plus de 30 millions d’exemplaires. Dans L’Horizon à l’envers, son 17e livre, Marc Levy défie la mort et signe un roman sur un rêve et un amour fous. Rencontre.
On a un indice sur le point de départ de l’écriture, sur l’inspiration première, dans la note de fin de votre roman : est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur ce couple, Kim Suozzi et Josh Schisler, qui vous a inspiré et sur pourquoi leur histoire vous a touché ?
Ce qui m’a inspiré dans l’histoire de ce couple, c’est le fait que cet amour qui les unissait soit si fort qu’ils aient envie de le rendre éternel. J’ai trouvé cette idée très romanesque, une transposition dans la vraie vie de ce que les grands romans d’amour nous apportent, cette envie d’un amour qui ne vieillit jamais. Je ne veux pas raconter la véritable histoire de Josh et de Kim, parce qu’elle n’a finalement rien à voir avec celle qui est dans le roman, mais cette envie m’a guidé dans ce que je voulais écrire, un livre qui ne soit pas limité par les codes d’un genre.
J’ai eu envie de sortir des codes, à l’image de ces romans qui m’ont emmené dans des endroits où je ne m’attendais pas à aller, où je n’étais jamais allé avant. Un grand roman de Stephen King, par exemple, vous emmène dans un univers qui transcende tous les genres. Un roman de Romain Gary va au-delà de l’histoire d’amour. J’ai lu récemment Le Livre des Baltimore de Joël Dicker : c’est un roman qui m’emmène dans un univers que je trouve très libre et ouvert, avec des personnages qui ne me lâchent pas. On voit bien que l’auteur ne s’est contraint d’aucun genre.
L’Horizon à l’envers est mon 17e roman ; j’ai de plus en plus envie de cette liberté que le roman apporte. C’est pour ça que le roman s’appelle L’Horizon…, même s’il est à l’envers ! Dans ce roman, il y a de l’amour, une intrigue, un futur proche, du scientifique, une trame de thriller… C’est un roman qui traverse les genres, qui contient tous les genres. C’est un roman de l’identité, un thème qui me passionne. Finalement si je devais résumer L’Horizon à l’envers, je dirais simplement : « Si demain matin, vous vous réveillez dans le corps d’un autre, qu’est ce qui est réellement de vous et qu’allez-vous découvrir du véritable sentiment que les autres vous portent ? » C’est ça l’aventure de ce roman, au travers de la grande histoire d’amour de Hope et Josh.
Il y a une dimension assez monstrueuse et angoissante dans votre roman : celle de survivre à ses amis, à sa famille, éprouver une éternelle solitude : est-ce votre vision de la vie éternelle ?
Posons plutôt la question dans l’autre sens : quel serait l’intérêt de vivre extrêmement longtemps si on devait vivre seul ? Je ne suis pas le premier à aborder ce thème ; c’est la solitude de Highlander : Highlander enchaîne les vies, mais il n’arrive pas à se remettre des gens qu’il a perdu tout au long de ses vies. C’est l’une des questions qui est posée dans le roman.
Dans votre roman, la science est toujours à la limite de l’acceptable. La question de l’éthique et du bien-fondé du progrès est en permanence en question. Quelle est votre position par rapport à ce type d’avancées scientifiques ? Trouvez-vous, comme votre personnage Hope, que le futur est plein d’excès ?
Non, au contraire, je pense que le futur est plein de promesses. Mais nous entrons dans une époque où finalement nous allons nous trouver confrontés à des moments où le progrès avance plus vite que la pensée qui a conçu ce progrès. Il est important de se poser des questions sur le mode d’emploi des choses que l’on invente. C’est d’autant plus important de se poser ces questions, qu’il ne faut pas que l’absence de réponse à ces questions proscrive l’emploi ! Regardez l’arrivée des réseaux sociaux, c’est quelque chose d’extraordinaire, mais cela a généré des abus et des excès. Il n’empêche qu’il serait une aberration de vouloir proscrire les réseaux sociaux et la communication par internet ! On a cependant manqué d’un mode d’emploi au moment de l’arrivée de ces outils géniaux. Hope pose des questions et elle force Josh et Luke à essayer de trouver des réponses à ces questions, mais elle ne cherche pas à interdire.
Pour Hope, le projet de Luke et Josh « consiste à faire en sorte que chacun d’entre nous consigne sa vie sur un disque dur. » Est-ce que c’est une idée qui vous séduit ?
Nous sommes déjà dans la sauvegarde. Nous sommes la première génération d’êtres humains qui prenons en charge la transmission et la mémorisation de notre propre vécu. Jusqu’à l’arrivée du film super 8, jusqu’à l’arrivée du disque dur, nos descendants racontaient la mémoire de notre vécu. Aujourd’hui, nous racontons nous-mêmes ce vécu, parce que cette mémoire nous survit. À chaque fois que l’on fait un selfie, que l’on enregistre quelques secondes de nos vacances, nous sommes en train de mettre notre vie et notre mémoire sur disque dur.
Vos histoires d’amour semblent souvent menacées par le spectre de la mort. Si bien qu’amour et mort sont souvent corrélés, ce qui accroît sans aucun doute la force de la passion et des sentiments. C’est une vision très shakespearienne. Avez-vous été influencé par des textes comme Roméo et Juliette ?
Oui, bien sûr ! Comme m’ont influencé Héloïse et Abélard, tous les romans de Jane Austen, ceux de Romain Gary, tous les grands romans d’amour. Car l’amour, c’est le moteur de la vie, de l’existence. Le reste finit toujours par vieillir. Dans Roméo et Juliette, la relation amoureuse est intemporelle. Tout autour d’eux vieillit, leur époque, leurs vêtements, leur style, leur façon de parler. Mais la force de leurs sentiments et de leur relation est absolument intemporelle. C’est la même chose dans Nos étoiles contraires. Je n’aurais peut-être jamais écrit L’Horizon à l’envers si je n’avais pas lu le roman de John Green.
Vous avez dit à propos de L’Horizon à l’envers : « Écrire ce roman fut pour moi une vraie passion, une aventure qui m’a entraîné plus loin dans l’écriture que je n’étais jamais allé » : jusqu’où êtes-vous allé dans l’écriture ? Quelles limites avez-vous pu franchir ?
J’ai pris ce pari de ne jamais m’arrêter à la frontière d’un genre, parce qu’on peut dire ce qu’on veut sur la spontanéité de l’écriture, il y a cette nécessité humaine de vous mettre dans des cases, que l’on retrouve dans le processus créatif. C’est passionnant, dans la vie d’un romancier, de se dire : je vais emmener le lecteur dans une histoire, dans un univers où il n’est pas encore allé, et s’il se sent bien, cela ouvre un espace de liberté extraordinaire. Pour que ce soit sincère, il faut que l’auteur lui-même se soit embarqué dans ce voyage qui dépasse ses propres limites. À chaque roman, j’essaie de repousser les limites, de continuer ce voyage génial dans l’écriture, d’aller au-delà des genres, quitte à prendre des risques.
Dans votre roman, vous réalisez l’impossible, le changement de corps, la sauvegarde d’une conscience. Est-ce que cette réalisation n’incarne pas le projet d’écriture à la base, le pouvoir du romancier ?
Oui ! Je suis fidèle à cette phrase de Victor Hugo que je mets en exergue du livre : « Rien n’est plus imminent que l’impossible. » Parce que je crois que la magie du roman, c’est de vous donner envie d’être, envie d’aimer, envie d’exister, envie de vous différencier, envie de dépasser vos peurs, envie d’accepter la joie et la souffrance. Il y a une phrase que je me suis marré à écrire : « s’interdire d’être malheureux parce qu’il y a plus malheureux que nous est aussi stupide que de s’interdire d’être heureux parce qu’il y a plus heureux que nous. » C’est magique quand un roman vous réconcilie avec vous-même et vous donne envie de, quand l’histoire dépasse l’histoire même qui est contenue dans le roman.
Cela rappelle le concept de la bibliothérapie, très en vogue depuis la parution de l’essai de Régine Detambel, Les livres prennent soin de vous…
C’est l’idée que quand un lecteur sort d’un de vos livres, il se sent bien. J’essaie de créer ça dans l’écriture de mes romans. Ça m’est arrivé plein de fois en lisant certains livres. Comme Oscar et la dame rose ou Nos étoiles contraires, dont les histoires sont tragiques… Mais, paradoxalement, quand vous sortez de ces livres, vous vous sentez bien, vous avez envie d’aimer, vous avez envie d’être ! Il y a des personnages de romans qui vous donnent envie de.
Vous vivez à New York. Vos influences, littéraires, fictionnelles, artistiques, sont-elles purement américaines ou gardez-vous un œil sur la production française ?
Tous les matins, je lis la presse française. Je lis les romanciers français, je suis l’actualité française à la télévision tous les jours. Ce n’est pas parce que vous êtes marin, que vous allez tourner le dos à la Terre ! Au contraire. Je suis français, mon pays est la France, ma langue est le français, et la vie de mon pays m’intéresse plus que celle de tout autre pays. Je vis à New York parce que cette ville est une espèce de laboratoire du monde incroyable, où sur un bout d’île une centaine de communautés ethniques cohabitent ensemble.
C’est un monde qui me plaît, car c’est un monde de libertés. Le New-yorkais a dans ses gênes cette façon d’aller à la quête de l’identité de l’autre, de ne pas en avoir peur. C’est là que j’avais envie de vivre. J’ai pris la route à 18 ans avec l’envie de découvrir le monde : j’ai commencé par la Croix Rouge, j’ai été chef d’entreprise en Californie, j’ai travaillé sur des chantiers comme poseur de cloisons… J’ai toujours eu cet appétit de vivre, de bourlinguer, et de me dire que l’apparence d’un être humain ne devait jamais me foutre la trouille.
Dans mon quartier à New York, il y a un homme qui est sur une chaise roulante et qui est posté tous les jours à un même carrefour. C’est un type, si vous le voyez, il fout vraiment la trouille. Cet homme me fascinait et, un jour, je me suis assis à côté de lui et je lui ai parlé. C’est incroyable, car c’est l’un des types les plus doux du monde, il a un vécu et une histoire extraordinaire ; je pense qu’un jour j’écrirais un roman sur sa vie… C’est peut-être ce que mon père m’a appris de plus merveilleux et que je n’oublierais jamais : ne jamais avoir peur de la différence de l’autre, de l’apparence de l’autre.
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Parution en poche le 2 février 2017