Entretien

On a rencontré Guillaume Musso

06 mars 2018
Par La Fnac en vidéo

Pour présenter son nouveau roman, Guillaume Musso cite Françoise Sagan : « Je me demande ce que le passé nous réserve. ». La Fille de Brooklyn met en scène un écrivain sur la trace de la femme aimée, une femme au double visage. Rencontre avec l’auteur qui nous explique la genèse de ce roman addictif.

En quoi La Fille de Brooklyn est-il différent de ce que vous avez pu écrire avant ?

C’est la première fois que je m’attelle à un cold case, une histoire qui s’est passée une décennie avant et qui va refaire surface. J’ai toujours été passionné par les secrets que l’on porte tous en nous, le secret comme quelque chose qui nous définit et je suis assez d’accord avec le fait que, finalement, notre liberté se bâtit beaucoup sur les choses que l’on cache aux autres. L’amour se nourrit de cela, puisque le mystère est essentiel pour la séduction, et que finalement vouloir être dans la transparence absolue par rapport à l’autre, ça ne peut pas être une bonne chose.

Justement ce thème du cold case, du passé qui refait surface, cela me permet de partir de quelque chose en apparence anodin, une simple dispute conjugale qui va avoir des répercussions très fortes, selon le principe de l’effet papillon. Et j’aime, comme Hitchcock, mettre en scène des héros ordinaires qui vont vivre des situations extraordinaires. C’est justement sous la pression et la tension que se révèle la personnalité.

Vous faites référence à Hitchcock et, justement, votre nouveau roman est truffé de références cinématographiques (Orange Mécanique, Old Boy, les films des frères Dardenne…).
Quelle est la place du cinéma dans votre processus d’écriture ?

Je suis vraiment au croisement entre une culture littéraire classique (que je tiens de ma mère qui était bibliothécaire, qui m’a fait lire les classiques très jeune) et une culture davantage liée à l’image, aux films, aux séries TV, à la BD, que j’ai acquis adolescent. J’ai gardé un style visuel. Souvent, mes romans partent d’une image. J’écris la scène que je vois. Une photo, une vision, une situation assez visuelle peuvent être le catalyseur d’une histoire.

Quelle était l’image de départ pour La Fille de Brooklyn ?

C’était une jeune fille qui était en train de s’enfuir en traversant une forêt et qui était poursuivie par quelqu’un qu’on ne voyait pas. C’est une scène que l’on retrouve au bout de 150 pages.

© Emanuele Scorcelletti

Vous avouez une certaine influence des séries TV dans votre écriture. Quelles sont vos inspirations premières ?

Elles ont entre autres influé sur cette façon de construire un roman en longueur. La Fille de Brooklyn est un roman assez long – 500 pages – qui prend le temps de poser des caractères, des personnages, de les faire évoluer, avec un côté très addictif. Lorsqu’on me demande « c’est quoi, pour vous, un bon roman ? », je réponds qu’un bon roman fait plaisir à celui qui le lit et qu’on a hâte de le retrouver le soir en rentrant chez soi, de retrouver ses personnages, de continuer un bout de chemin avec eux. Un bon roman, c’est aussi, comme dirait Joël Dicker, un roman qu’on regrette avoir terminé.

Dans votre roman, vous développez de manière assez surprenante une thématique politique. Comment vous est venue cette envie ?

C’est très nouveau. C’est la première fois que j’écris sur une dimension politique, que l’on retrouve vraiment dans la troisième partie du roman. La Fille de Brooklyn est un projet sur lequel je travaille depuis trois ans. J’ai été moi-même un peu surpris de développer cette dimension-là. J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire cette partie, surtout qu’elle entre en résonnance avec les primaires américaines.

On retrouve le thème de la femme aux deux visages dans des thrillers très contemporains, comme Les Apparences de Gillian Flynn : est-ce que c’est un texte que vous avez lu ? Aimé ?

Oui, j’adore ce livre ! C’est un roman sur les apparences au sein du couple : dans quelle mesure connaît-on vraiment la personne avec qui on partage sa vie ? Le livre aborde les thèmes du secret et de l’intimité conjugale. Dans mes romans, il n’y a pas de poursuite en voiture, il n’y a pas de coup de feu. L’action m’intéresse assez peu. Ce qui m’intéresse, ce sont les bouleversements intimes, le suspense psychologique, et surtout la zone trouble dans laquelle vont se situer les personnages, qui ne sont pas manichéens, qui ont leur part sombre. J’aime cette phrase de Dennis Lehane : « Vous voyez toujours le pire chez les meilleurs des hommes, et le meilleur même chez les pires ». On porte tous en nous cette complexité. La tension, le danger, la peur permettent de révéler qui on est vraiment, et font éclater le costume, l’apparence, le masque.

La fille de Brooklyn

Vous écrivez dans La Fille de Brooklyn qu’un écrivain est en fait un enquêteur : c’est comme cela que vous définiriez un écrivain ?

Oui, l’une des particularités du roman, c’est que l’on a deux enquêteurs, un duo d’hommes, un écrivain et un flic. On a ce policier qui enquête avec les techniques efficaces de la police, et le narrateur, le romancier, plus jeune, qui enquête avec sa sensibilité d’écrivain et qui considère les différents suspects comme des personnages de roman. Ces deux hommes sont complémentaires, mais ont tous les deux leur fragilité. Ils sont à la recherche de leur part manquante. Ils sont fébriles, se posent des questions, doutent. Ils acceptent leur part de féminité. Et, en contrepoint, on a des femmes plus déterminées, éprises de liberté, mais qui sont aussi, quelque part, les victimes d’autres hommes… Cette complexité des relations fait avancer l’histoire.

Le narrateur étant un écrivain depuis peu confronté à la paternité, on ne peut s’empêcher de se poser la question : y-a-t-il un peu de vous dans ce personnage ?

Oui, il y a un peu de moi, mais tout cela passe par le prisme de la fiction. J’ai un fils qui a l’âge de l’enfant de Raphaël, le narrateur, et je trouvais ça drôle de mettre en scène ce romancier, qui enquête avec ses outils d’écrivain, tout en s’occupant seul de son fils. J’ai trouvé cela amusant de mettre en scène mon fils dans ce livre.

Le thème de la paternité est très présent dans ce roman…

La paternité est un thème qui irrigue tous mes romans, celui-là en particulier. La paternité renvoie aux origines, à l’identité, aux valeurs, mais aussi au futur : quel monde construit-on pour nos enfants ? C’est un thème inépuisable. Ce roman, je pense que je l’ai écrit au bon moment. Souvent je dis qu’un roman réussi, c’est comme une histoire d’amour réussie ; une histoire d’amour réussie, c’est rencontrer la bonne personne au bon moment, et un roman réussi, c’est une bonne histoire qui arrive à vous au moment où vous êtes le mieux capable de la mener à son terme. Je suis effectivement content d’aborder ce thème de la paternité à travers ce roman à suspense, qui aurait été complètement différent si je n’avais pas eu d’enfant moi-même.

Mais cette paternité remet en question l’acte même d’écrire. Raphaël, l’écrivain, est face à une difficulté dans sa carrière : depuis la naissance de son fils, il ne peut plus écrire. Il passe d’un statut de « père » d’une œuvre littéraire à celui de père d’un enfant, et cela semble changer radicalement sa façon de créer. Est-ce que vous avez été confronté aux mêmes difficultés lorsque vous êtes devenu père ?

Effectivement, Raphaël ne se sent pas capable d’assumer ces deux paternités. Pendant longtemps, il répétait dans des interviews (et je l’ai fait aussi) : « mes romans sont comme mes enfants ». Je croyais moi-même beaucoup en cette idée, car j’ai un temps de gestation pour mes romans qui est souvent de neuf mois. Je passe neuf mois à les écrire… Puis j’ai eu un enfant et je me suis rendu compte qu’on ne pouvait pas comparer un livre à un enfant ! Un livre c’est un passeport pour le voyage, c’est une échappatoire pour la réalité, c’est, comme dit Paul Auster, « le seul lieu au monde où deux étrangers peuvent se rencontrer de façon intime », mais ça n’a rien à voir avec le fait d’avoir un enfant ! Ce parallèle que j’ai utilisé pendant longtemps, je le remets en question au début de ce roman.

G.MUSSO © Emanuele Scorcelletti-Photo12.com

Raphaël se plaint qu’on lui pose toujours la même question en interview : « lesquels de vos romans préférez-vous ? » : on vous retourne la question !

Le roman préféré est toujours le dernier, parce que c’est celui qui est le plus proche de ce que vous êtes aujourd’hui. C’est celui avec lequel vous êtes le plus en raccord parce que vous venez de le terminer. J’ai remarqué, en discutant avec des collègues romanciers, que les romans préférés des lecteurs sont rarement ceux que l’auteur préfère. Mais on n’est pas obligé non plus de choisir quel roman on préfère !

À quoi travaillez-vous en ce moment ?

J’ai toujours une dizaine d’embryons d’histoires, de thèmes que je laisse reposer. Je mets souvent à peu près un an pour rédiger le roman, mais la graine est plantée des années avant. Il y a deux-trois histoires qui se chevauchent un peu. Il faudra bientôt que je décide laquelle je vais faire avancer. Mais, parfois, il peut y avoir comme ça une histoire qui vient se greffer au dernier moment.

C’est compliqué le moment où vous allez choisir avec quel personnage vous allez passer vos dix prochains mois. Ça m’est arrivé deux fois d’écrire 80 ou 100 pages d’une histoire et de l’arrêter parce que je sentais que je n’allais pas dans la bonne direction. Au bout de 80 pages, vous avez toujours ce moment excitant où vos personnages se mettent à faire des choses auxquelles vous ne les prédestiniez pas. Les personnages se mettent à quitter leur statut d’êtres de papier pour devenir des amis ou des ennemis, pour devenir presque des êtres de chair et de sang dans votre monde imaginaire. Cela complique aussi l’écriture, car ces personnages ne veulent pas forcément suivre le plan que vous aviez bâti au début.

C’est une formule qui revient souvent Homme / Femme / Fille de papier. Pourquoi cette métaphore ?

J’ai écrit La Fille de papier à un moment où ma compagne me faisait remarquer que je passais plus de temps dans un univers imaginaire que dans la vraie vie avec elle. Je me suis rendu compte que je passais plus de la moitié de ma vie dans un monde qui n’existe pas, ce qui m’a donné l’idée de La Fille de papier.

Le chapitre de La Fille de Brooklyn, « Un homme de papier », est un clin d’œil qui me permet d’exprimer cette dualité, ce problème que l’on peut avoir à faire coexister sa vie imaginaire (surtout quand on en fait son métier) avec sa vie d’homme, sa vie de père, sa vie de mari. Ces rapports entre la réalité et la fiction sont au cœur de plusieurs de mes romans.

Bonus ! Guillaume Musso se prête au jeu de « l’interview préférée ». Alors, quel est son auteur de thriller préféré ?  

Crédit photos : © Emanuele Scorcelletti

Les livres préférés de Guillaume Musso 

  Le prince des marées de Pat Conroy 
Le cercle de la croix de Iain Pears 
Une prière pour Owen de John Irving
Belle du seigneur d’Albert Cohen
Le hussard sur le toit de Jean Giono
L’Aliéniste de Caleb Carr 
Le Maitre des Illusions de Donna Tartt
La tâche de Philip Roth
Le bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark Haddon

Les albums préférés de Guillaume Musso 


 
Blood on the tracks, Bob Dylan (1975)
Live in New York, Bruce Springsteen (2010)
Brel (Les Marquises), Jacques Brel (1977)
The Hours, Philip Glass (2002)
Unplugged, Eric Clapton (1992)
Tokyo adagio : Charlie Haden, Gonzalo Rubalcaba
Angel Song, Kenny Wheeler
Pres & Teddy : Lester Young, Teddy Wilson 
The Velvet Underground and Nico

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