Le Benin est un petit pays de l’Afrique de l’ouest, et dans ce petit coin est né Lionel Loueke qui est devenu un des meilleurs et un des plus originaux guitaristes de son époque. C’est ce qu’on appelle un sérieux raccourci. Je vais vous expliquer tout ça parce que ça vaut vraiment le détour.
Quand je dis que Lionel Loueke est le plus grand guitariste du monde, c’est bien sûr un peu exagéré (quoique), mais c’est juste pour attirer votre attention sinon vous ne m’auriez même pas écouté.
Lionel Loueke est un musicien extraordinaire, et de cela j’en suis certain. Cela faisait un certain temps que je tournais autour du personnage, sans savoir exactement par quel bout le prendre. Je devinais que c’était un musicien plus qu’intéressant voir même génial, mais son originalité me désorientait un peu. Il a juste fallu un disque, celui de Gretchen Parlato In A Dream, pour que le déclic se fasse. Dans ce disque splendide il rempli quasiment tous les rôles et dévoile bien sa personnalité musicale unique et j’ai donc craqué.
Raconter Lionel Loueke n’a rien de facile. Il faut comprendre d’abord qu’il est un peu un orchestre à lui tout seul. Avec sa guitare, il joue bien sûr, il chante aussi ou plutôt il vocalise, claque la langue façon béninoise, et se sert de sa guitare comme instrument de percussion. La guitare est principalement acoustique (cordes en nylon), souvent utilisée mélangée à des synthétiseurs (via des prises MIDI). Mais sa qualité principale est d’être africain et c’est ça le plus important.
Lors du concours d’entrée au Thelonious Monk Institute of Jazz il bluffe littéralement Wayne Shorter et Herbie Hancock qui sont membre du jury. Herbie dit à cette occasion qu’il n’a jamais rencontré un musicien aussi incroyable que lui. Il rentre alors au Monk Institute et va rencontrer des tas de gens intéressants comme Gretchen Parlato, Robert Glasper, Becca Stevens, Esperanza Spalding ou même Ambrose Akinmusire. Herbie Hancock l’intègre assez rapidement dans son groupe, lui fait participer à deux de ses disques, Possibilities et River : Joni’s Letter et devient de fait son mentor. C’est maintenant le guitariste en vogue à New York et qui se fait inviter dans plein de disques, ce qui lui forge une expérience unique.
Heritage est son troisième album pour Blue Note et de loin le plus abouti et le plus réussi. Résolument africain mais largement américain aussi, Il est coproduit par Robert Glasper qui participe aussi en temps que musicien et compositeur dans quelques titres. Sa garde rapprochée est constituée par le très bon Derrick Hodge (Robert Glasper Experiment) à la basse électrique et Mark Guiliana, compagnon de toujours, à la batterie. Par un juste retour des choses, Gretchen Parlato est également présente sur deux titres.
Le mariage des musiques de Robert Glasper et de Lionel Loueke fonctionne à merveille. Le piano fait un joli et efficace contrepoint à l’africanité du guitariste et fait bien sortir la couleur et le côté bien funky. Le disque démarre juste à trois sur un très africain Ifé où la guitare et la voix se doublent. Sur Ouidah, Glasper se rajoute à l’équipe et jazzyfie un peu plus l’ambiance. La même équipe arrive avec un magnifique Tribal Dance porté par une belle mélodie très douce (Gretchen), de la belle guitare et une fin très percu. Puis vient Hope autre belle mélodie suivi de Freedom Dance où l’esprit africain revient fort et de nouveau à trois avec une rythmique bien balèze. Un peu plus tard arrive African Ship, très groove, où Robert Glasper prend une belle part de piano bien fluide comme j’aime. Le disque se finit sur un beau Bayyinah où les touches très swings du pianiste et du guitariste se mêlent de façon cool et jazzy.
Ici il faut louer Derrick Hodge et Mark Guiliana pour le soutien remarquable qu’ils fournissent à leur leader. Il faut dire qu’ils pratiquent notre homme depuis longtemps, souvent même aux côtés de Miss Parlato qu’ils accompagnent tous trois.
C’est un album magnifiquement cohérent où toutes les techniques instrumentales et vocales de Lionel Loueke sont mises en valeur par des musiciens parfaitement au diapason du boss. Robert Glasper amène la touche perso bien ronde propre à sa vision du Jazz. Et là il excelle, bien plus que dans ses disques. C’est vraiment comme ça que j’aime ce pianiste.
Tout ça donne un très bel album bien équilibré où on découvre un musicien extraordinaire, qui nous invite dans un univers musical d’une richesse et d’une gaieté fondamentale et profondément humaine.