De tous les animaux marins, l’orque opère une fascination sans égale. Au cinéma la trilogie Sauvez Willy pour les plus jeunes, mais aussi le plus méconnu Orca qui a traumatisé plus d’une personne au moment de sa sortie dans les années 80. Il faudra désormais compter avec Blackfish, documentaire qui se penche sur le parcours « criminel » de Tilikum, l’orque star du Parc Seaworld en Floride…
De tous les animaux marins, l’orque opère une fascination sans égale, bien loin devant le dauphin aptère austral, le narval ou le dauphin de l’Irrawaddy par exemple.
Cette fabuleuse notoriété, l’orque la doit à son imposante carrure, ses couleurs si caractéristiques (impossible de le confondre avec un autre cétacé), son intelligence et sa sensibilité sociale.
Difficile qui plus est de ne pas tomber dans l’anthropomorphisme à outrance lorsqu’on se penche de plus près sur les mœurs de l’animal : la vie en groupe, leurs chants si particuliers, les petits qui vivent avec leurs mères durant des années… La conséquence : Sauvez Willy, une trilogie de films familiaux qui s’est bien gardé de s’attarder sur le véritable nom de l’orque : Baleine Tueuse.
Beaucoup de choses ont été dites sur Tilikum, cet énorme orque qui assure le show au Seaworld d’Orlando. Mais il y a bien plus de choses qui ont été tues.
Né vers 1981, capturé au large de l’Islande en novembre 1983 en même temps que Nandu (le mâle) et Samoa (la femelle). Eux sont morts depuis.
Tilikum a survécu, pour son plus grand malheur. Parce que c’est un beau bébé, imaginez plutôt : 6,9 mètres, 5400 kg. De quoi impressionner des centaines de personnes et d’enfants chaque jour dans ce parc aquatique. Une véritable manne financière.
Mais le plus impressionnant reste son « palmarès » : trois. Tilikum a déjà tué par trois fois.
Le 21 février 1991, la dresseuse Keltie Byrne glisse dans le bassin où cohabitent Tilikum et deux femelles au delphinarium de Victoria.
Les orques n’étaient pas habitués à avoir un dresseur dans le bassin. Saisie à la taille par une des deux femelles avant de la jeter vers Tilikum, celui-ci la maintiendrait entre ses mâchoires sous l’eau.
Suite au décès de Keltie Byrne, Tilikum est transféré au Seaworld d’Orlando où il se trouve toujours.
Le matin du 06 juillet 1999, un homme nu (Daniel P. Dukes) est retrouvé mort le corps lacéré sur le dos de Tilikum. Se laissant enfermer le soir, il avait pénétré dans le bassin de l’orque afin de nager avec la star. Seaworld se dissimulera derrière les troubles psychologiques de l’homme pour disculper son orque star et invoquera la noyade accidentelle.
Le 24 février 2010, Tilikum jaillit de l’eau et saisit sa dresseuse Dawn Brancheau avant de l’entraîner au fond du bassin dans un ballet fatal. Tout cela devant un public horrifié. Vingt ans après sa première victime. Un choc pour tous ceux qui connaissaient Dawn Brancheau, professionnelle aguerrie.
Étalon à succès en plus d’être une « star », sa progéniture est grandissante et mondiale.
Tilikum signifie « ami » en langue indienne Chinook.
Et si l’on ne recense aucun accident d’orque sur l’homme dans la Nature (contrairement au requin dont chaque morsure bénéficie d’une couverture médiatique hors du commun, merci Les Dents de la Mer), ses techniques de chasse sont admirables de complexité. Il faut le voir s’échouer volontairement sur une plage pour attraper un phoque (la technique est même enseignée aux petits) ou développer des tactiques quasi-militaires à base de vagues sous un iceberg pour déstabiliser sa proie…
Le business des parcs aquatiques est un domaine plus que juteux, le groupe Seaworld en sait quelque chose. Mais les arcanes de ce succès sont toutefois bien sombres.
Il y aurait beaucoup à dire sur les conditions inadmissibles de détention des orques ou dauphins dans les parcs aquatiques : espérance de vie particulièrement réduite, accidents tragiques à répétition, brimades, isolement, taux de mortalité élevé…
Des animaux capturés, dressés, exploités et reproduits dans l’unique but de divertir et de s’enrichir. Et tant pis s’ils souffrent. Tant pis s’ils tuent. Et tant pis si le groupe désinforme à outrance comme le prouve les nombreux exemples dans BlackFish.
Car là où les parcs zoologiques argumentent sur 1-la sauvegarde de l’espèce et 2-une reproduction quasi-fidèle de l’environnement naturel de l’animal pour se justifier d’emprisonner des animaux (de belles plantes pour faire oublier de vilains barreaux), les parcs aquatiques eux ne cachent en rien leur démarche. Mercantile uniquement.
Les animaux sont capturés à l’état sauvage, déstabilisant les liens sociaux souvent vitaux pour une espèce telle que l’orque et allant à l’encontre du souci de préservation de l’espèce (le témoignage du vieux marin qui participa à la capture de Tilikum est ô combien émouvant).
-Au diable la reproduction de leur environnement : un bassin -si grand soit-il- ne comblera jamais l’immensité d’un océan.
-Les animaux répètent inlassablement des tours pour distraire les humains sur une musique tonitruante ? C’est tant mieux, ils nous doivent bien ça, nous les nourrissons tout de même !
-Sans parler de l’aspect anti-écologique d’énormes bassins d’eau traitée…
Ou quand l’Homme, Maître suprême sur la terre ferme, décide coûte que coûte de posséder les océans.
Si je m’attarde aujourd’hui sur Tilikum, c’est qu’il est la vedette du film Blackfish qui se permet d’égratigner la réputation somptueuse du groupe Seaworld.
Tel un thriller, le film revient sur le parcours criminel de l’orque, et met en lumière les conditions de vie honteuses de Tilikum, les pratiques barbares infligées aux cétacés dans les parcs aquatiques et la désinformation du groupe Seaworld lors des procès.
Pour bon nombre de spécialistes, ces incidents parfois meurtriers avec des orques ne relèvent pas du simple instinct mais d’une réelle prise de conscience de leur condition.
On dénombre à l’heure actuelle 54 orques en captivité dans le monde.
Tilikum n’est que la face apparente de l’iceberg mais qu’en est-il de Ky, Keto (qui tua son dresseur, Alexis Martinez, au parc Loro Parque aux Iles Canaries), Morgan ou Kasatka ? Cette dernière qui, après des heures de plaintes déchirantes, s’est attaquée deux fois à son dresseur après que ce dernier lui ait enlevé sa fille Kalia…
Images d’archives traumatisantes secrètement dissimulées jusqu’alors, témoignages de dresseurs repentis ou de spécialistes, le constat est édifiant.
En face, le groupe Seaworld multiplie les pressions (menaces, lobbying) et tente vainement de dissimuler toute vidéo ou témoignage qui ternirait l’image du groupe, allant jusqu’à rejeter la responsabilité sur les victimes : « Si la dresseuse Dawn Brancheau est décédée, c’est dû à son incompétence ». Abject et consternant.
Sorti le 19 juillet 2013 aux États-Unis, les mois passent et l’espoir de voir le film sur grand écran en France s’amenuise.
On se contentera des superbes affiches et d’une bande-annonce en attendant une éventuelle sortie DVD/blu-ray pour ce documentaire choc et indispensable.
