Dans un texte en perpétuel mouvement porté par un personnage lumineux, Abdellah Taïa rend compte de la complexité des identités et des rapports de pouvoir.
Chez Abdellah Taïa, l’identité n’est jamais donnée, jamais naturelle. Au contraire, l’identité est construite et se construit comme toujours plurielle, toujours changeante. D’Un pays pour mourir (Seuil, 2015) à La vie lente (Seuil, 2019) en passant par Celui qui est digne d’être aimé (Seuil, 2017), la question de l’identité, qu’il travaille toujours dans ses dimensions sociologiques et politiques, hante l’écriture de l’auteur.
Au cœur de Vivre à ta lumière s’impose le personnage de Malika, cette femme marocaine plongée dans un complexe réseau de rapports de pouvoir qui s’organisent principalement autour de la colonisation, du patriarcat, et du déclassement économique et social. Loin de constituer pourtant un roman d’analyse, le texte d’Abdellah Taïa s’emploie plutôt à mettre en récit et en expérience les effets intimes, psychologiques et collectifs des déterminations politiques et sociales qui pèsent sur les personnes.
Malika vit parmi les Marocains déshérités – ceux qui n’ont pas eu droit à l’instruction, ceux à qui le pouvoir a confisqué les richesses, ceux à qui l’Occident refuse l’autonomie. Alors Malika résiste, de toutes ses forces. Elle tente de s’extraire de la pauvreté, de l’ordre patriarcal, de l’ordre colonial ; elle s’efforce d’exister – parfois simplement de survivre. Surtout, Malika fait partie de ceux qui n’ont pas voix au chapitre, celles et ceux dont la voix ne porte pas suffisamment pour s’imposer en littérature, celles et ceux qu’on entend rarement, et qu’on ne lit jamais. C’est ce qui fait de Vivre à ta lumière un projet aussi littéraire que politique : Abdellah Taïa prête sa voix à une femme invisible, et en fait un personnage puissant, conscient – un personnage d’une rare complexité.
Au fond de moi, je me disais que pour me protéger de tout ce qui se passait de très dur dans ce monde il me fallait ignorer ce qu’eux, les autres, appellent la « société ». Je ne reconnais pas leur société. Je ne suis pas la société.
Abdellah TaïaVivre à ta lumière
Bien sûr, les déterminations que le capitalisme, les structures de la société marocaine et le patriarcat font peser sur les vies font du destin individuel de Malika une histoire solidement inscrite dans un destin collectif – la myriade de personnages qui participe au roman en témoigne. Mais le principal enjeu du texte semble ailleurs : c’est la complexité du rapport entre la subjectivité des individus et les réalités sociales et politiques qu’Abdellah Taïa parvient à saisir dans Vivre à ta lumière – ce roman dans lequel rien n’est simple, dans lequel tout est mouvement.
Vivre à ta lumière, d’Abdellah Taïa, Seuil, 208 p., 18 €. En librairie depuis le 04/03/2022.