Chaque mois, un·e artiste (acteur·rice, auteur·rice, chanteur·se…) partage avec L’Éclaireur la dizaine de livres qui l’ont particulièrement touché·e, pour différentes raisons, à différentes époques de sa vie. Ce mois-ci, c’est l’autrice Laurine Thizy qui se prête au jeu.
Le premier roman de Laurine Thizy avait émerveillé, en janvier dernier, la rédaction de L’Éclaireur. Nous avons voulu connaître les livres qui accompagnent l’autrice des Maisons vides (L’Olivier, 2022), ce texte virtuose et prometteur qui précipitait, par le deuil, son personnage vers la fin de l’enfance.
Le premier livre qui vous a marqué ?
L’Écoute-aux-portes de Claude Ponti. J’étais toute petite, c’est l’histoire que mes parents me lisaient, mon album préféré d’alors, en raison peut-être du foisonnement d’histoires possibles, de leur façon de se faire la guerre et de se concurrencer, de cette imbrication de la fiction dans la fiction. J’étais déjà quelque part fascinée par la mécanique étrange de la narration, la métaréflexion sur les personnages.
Celui qui parle le mieux d’amour ?
L’Écume des jours de Boris Vian. Ça parle de l’égoïsme terrible de l’amour dans ses joies, mais aussi du soutien indéfectible apporté à l’autre dans l’adversité. C’est une histoire qui ne s’achève ni par orgueil, ni par lassitude, ni par égoïsme, une histoire qui raconte au fond qu’aimer, c’est accepter de prendre soin.
Celui qui vous fait rougir ?
La Nuit des temps de René Barjavel, parce qu’il est devenu plaisir coupable : si aujourd’hui le racisme et le sexisme terribles de ce texte de mon adolescence me sautent aux yeux, il ne m’est pourtant pas possible de le renier tant je reste fascinée par l’écriture, la puissance de la narration, le drame de l’amour. J’aime l’incipit immodérément : “Ma bien-aimée, mon abandonnée, ma perdue, je t’ai laissée là-bas au fond du monde, j’ai regagné ma chambre d’homme de la ville avec ses meubles familiers sur lesquels j’ai si souvent posé mes mains qui les aimaient, avec ses livres qui m’ont nourri, avec son vieux lit de merisier où a dormi mon enfance et où, cette nuit, j’ai cherché en vain le sommeil.”
Celui qui vous dérange ?
Le Livre du rire et de l’oubli de Milan Kundera (et tout Kundera, en fait). Il y a une telle violence à écrire sans sourciller qu’on rêve de violer la jeune femme qui vous aide à fuir, un rapport si décomplexé à l’humiliation dans le sexe, que ça me laisse toujours songeuse sur ce que l’on s’autorise à écrire – ou pas – et comment ces mots sont reçus.
Celui qui vous obsède ?
Le Dieu des petits riens d’Arundhati Roy et Les Villes invisibles d’Italo Calvino, qui sont des livres très différents mais auxquels je reviens sans cesse pour le génie de leur construction, leur intelligence, leur limpidité dans la complexité.
Celui qui vous fait rire ?
Belle du Seigneur d’Albert Cohen. À trop en faire une indépassable histoire d’amour – ce qu’elle n’est pas, c’est une histoire de violences conjugales – on en oublie à quel point Cohen est drôle, méchant, incisif, capable d’épingler sans retenue les travers sociaux et l’envie de se distinguer.
Celui qui vous fait pleurer ?
Châteaux de la colère d’Alessandro Baricco. Il n’est pas spécialement tire-larmes, mais il est, pour moi, extraordinairement émouvant. Je pleure dès la page 34 je crois, « Ne leur dis pas » « Mais Mormy est mon fils » « Ne leur dis pas que j’ai pleuré », vraiment, c’est un texte magnifique !
Celui qui vous console ?
Antigone de Jean Anouilh. Je ne sais pas si c’est celui qui console le mieux, ni même s’il console vraiment, mais le fait est que le soir où j’ai dû prendre une décision incroyablement difficile, c’est le livre que j’ai relu une fois encore, pour me donner du courage. J’avais besoin de la rage désespérée de cette Antigone-là.
Celui que vous n’avez pas compris ?
Le Ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras. C’est un bouquin que j’adore et relis souvent, précisément parce que je ne suis jamais certaine de l’avoir compris. Duras l’avait déclaré impubliable, et elle s’y offre une liberté incroyable dans la narration, une certaine façon de chanceler, de ne jamais savoir : ça bouleverse toutes les certitudes sur ce que peut et doit être un roman.
Celui que vous voulez lire depuis des années, sans jamais y parvenir ?
Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Je crois que je traîne cette idée depuis les succès du Disney et de la comédie musicale de mon enfance. À l’époque, ma maman avait tenté de le lire et je voyais comme un défi l’idée de perdre des dizaines de pages à lire des descriptions d’architecture. J’ai acheté le bouquin – comme tout le monde – au moment de l’incendie de la cathédrale, je l’ouvre régulièrement, le referme, je ne passe pas les trois premiers chapitres, pourtant je voudrais bien inventer mon Esmeralda à moi.