[Rentrée littéraire] Peut-on jamais guérir les blessures du passé, en tant qu’individu d’abord, mais aussi en tant qu’espèce ? C’est l’une des questions que Luce Basseterre se pose dans son space opera mâtiné d’enquête policière.
Nouvelliste ayant touché à tous les genres de l’imaginaire et romancière spécialisée dans le space opera – avec notamment sa duologie La Débusqueuse de mondes (2019) et Le Chant des Fenjicks (2020) – Luce Basseterre n’a de cesse, de livre en livre, de déployer les thèmes de l’identité, de la liberté et de la résilience. Paru une première fois en 2016, son premier roman Les Enfants du passé en est la preuve flagrante. Remaniée pour « éliminer les biais et essayer de rendre le texte le plus en accord avec ma vision d’une société plus inclusive et respectueuse » d’après l’autrice, cette seconde parution en poche sera suivie en mai prochain d’une version numérique aux éditions Argyll. Dans ce roman, Luce Basseterre aborde sur un ton résolument optimiste des thématiques pourtant difficiles. Elle montre surtout, au milieu des mille péripéties que rencontrent ses personnages, comment les erreurs du passé peuvent cicatriser pour permettre aux personnes comme aux sociétés de mener des vies plus saines.
Le personnage principal des Enfants du passé, Djaël, est doté d’une longévité exceptionnelle et d’une progéniture nombreuse. Dans une brocante, il achète sur un coup de tête un esclave humain, Oshi, et se met en tête de lui apprendre la liberté. Pendant ce temps, à l’autre bout de la galaxie, une version adolescente de Djaël est retrouvée morte, abandonnée dans la rue comme un déchet. D’où vient-elle et quel est son rapport avec l’esclave ? Et qui sont ces mystérieux enfants sans émotion apparente qui sont secourus par les services sociaux ?
« Parce que brûler des livres, interdire des éditions, n’a jamais permis de faire avancer la civilisation, bien au contraire. C’est juste une forme d’infantilisation de la population. Ça revient à dire : “Ce n’est pas bon pour toi, mais il faut me croire sur parole, car je n’ai pas le temps de t’expliquer.” Il est toujours plus difficile d’apprendre à quelqu’un à réfléchir par lui-même. Sur le long terme, c’est pourtant beaucoup plus efficace. »
Luce BasseterreLes Enfants du passé
L’intrigue des Enfants du passé s’organise ainsi autour cette double enquête : qui est Oshi et comment le libérer de l’emprise mentale de ses anciens maîtres ? Et qui se cache derrière ce trafic d’enfants ? Le tout dans un univers où les êtres humains ne sont pas la seule espèce « sentiente », ni même la seule avec une propension à la colonisation et à la violence sans borne. Un univers où les hybridations entre formes de vie issues de primates, de félins, de lézards ou d’insectes sont monnaie courante, mais où elles laissent place à de nouvelles formes d’ostracisation et de rejet. Un tel univers demande, forcément, un temps d’adaptation aux lecteurs. Diversité des espèces et évolution temporelle obligent, le marquage de genre est réservé aux relations intimes, qu’elles soient dans le cercle familial ou amoureux. Pour tout le reste, les personnages recourent à des formules épicènes et des pronoms non genrés (« iel » à la troisième personne sujet, « man » pour le possessif, « aux » à la place de « eux, elles », etc.). Cette gymnastique lexicale peut dérouter à première vue, mais elle finit par faciliter l’immersion dans un roman où l’action et les temps calmes s’entremêlent – et où les plus de 500 pages du récit passent à toute vitesse.
« Il n’y a pas de règle universelle. L’absolu est un mythe, tout comme la perfection ou le mal. Ce serait si simple sinon. Si tout est si compliqué, c’est parce que tout est nuance, sujet à caution. Notre esprit, lui, a besoin de repères, de limites. Il est trop étriqué pour affronter tant de variables. »
Luce BasseterreLes Enfants du passé