[Rentrée littéraire] Dans un texte autobiographique à la plume maîtrisée, l’autrice de Play Boy (Stock, 2016) et Love Me Tender (Flammarion, 2020) fait alterner sensibilité écorchée et mépris confus.
En exergue de Nom, le nouveau roman autobiographique de Constance Debré, une phrase des philosophes Gilles Deleuze et Félix Guattari ; une phrase qui invite à penser contre la psychanalyse, à la dépasser – pour accéder à son « corps sans organes » plutôt qu’à son « moi ». Pourtant, le texte s’ouvre sur la traditionnelle mort-du-père, si chère à la psychanalyse. Mais Constance Debré n’est pas à une contradiction près ; elle qui voudrait se défaire de sa famille, de son héritage, de son nom, elle qui se voudrait « Personne » – et qui fait ici directement référence à l’astuce d’Ulysse face à Polyphème dans L’Odyssée d’Homère. Elle oublie pourtant que dans L’Odyssée, Ulysse est soulagé de retrouver son identité, une fois écoulées les vingt années de son périple de retour.
Nom revient sur la généalogie de l’autrice, sur sa famille aristocratique – cette famille qu’elle méprise, au sein de laquelle les femmes sont « folles », voire « hystériques ». Constance Debré se défait de tout, « de la famille, du mariage, du travail, des appartements, des choses, des êtres », mais visiblement pas des préjugés misogynes. Ce dont elle ne se défait pas non plus, c’est de ses références classiques, minutieusement distillées : citations latines, référence à Proust, à Homère, etc. Et si elle se targue d’avoir refusé d’intégrer la classe préparatoire littéraire qu’on lui proposait, elle oublie de préciser qu’elle a, à la place, étudié à l’Université d’Assas, puis à l’ESSEC (École supérieure des sciences économiques et commerciales).
Je suis née pour terminer un sale boulot, je dis sale mais je pense beau, un beau boulot, le plus juste, le plus moral, j’insiste, le plus moral, celui de détruire, de finir, je dis ça calmement, simplement, juste comme ce qui doit être fait, ce qu’on a tous à faire, pas réparer comme ils disent toujours, il n’y a rien à réparer, mais au contraire rompre, partir, participer à la grande entreprise de perte, l’accélérer, achever les choses.
Constance DebréNom
Du haut de sa plume effrénée – d’une indéniable efficacité – Constance Debré scande ainsi sa vérité : elle sait « ce qu’il faut faire », elle sait « comment il faut vivre » : il faut se « débarrasser » de tout – pour se permettre d’entrer « en rapport avec le vide ». Le roman de la liberté retrouvée se dévoile ainsi paradoxalement prescriptif. Tout se passe comme si le seul moyen pour l’autrice de s’extraire de sa classe sociale consistait à tracer une ligne entre celles et ceux qui se soumettraient bêtement aux injonctions sociales et les rares élus dont elle fait partie – authentiquement libres ; libres et nomades. On retrouve malheureusement dans ce raisonnement avorté tout l’élitisme et le mépris dont l’aristocratie fait preuve quand elle considère ceux qui ne sont pas elle.
Alors que Constance Debré dit s’intéresser à « l’existence » plutôt qu’aux « conditions de l’existence », on regrette précisément l’absence criante de toute perspective politique dans son texte ; nul doute que sa prise en compte permettrait à l’autrice de s’extraire réellement de ce qu’elle honnit. Surtout, la perspective politique aurait permis à l’autrice de faire tenir Nom autrement que par le flux de conscience qu’il développe et par la plume habilement contemporaine qui le constitue.
Nom, de Constance Debré, Flammarion, 192 p., 19 €. En librairie depuis le 02/02/2022.