Une sextape anodine et deux vies détruites mondialisées : celles de la rockstar Tommy Lee et de l’actrice Pamela Anderson. Pam & Tommy, minisérie fiévreuse sur Disney +, raconte l’affaire et les prémices d’une époque à l’appétit people insatiable.
C’est une cassette. Une toute petite cassette. Format Hi8. De celles que l’on glissait dans un petit caméscope grand public vendu dans le commerce. C’est avec ça que les oncles un peu lourds filmaient n’importe quelle réunion de famille, que les papas captaient les premiers pas de leurs enfants jusqu’à toute sortie dans un parc, à la plage, en forêt. Encore avec ça que les adolescents s’amusaient lors de soirées interdites, de sessions de skate, d’errances urbaines propices aux bêtises. C’est aussi avec ça que certains couples se sont fabriqués des petits souvenirs coquins. C’est bien cette catégorie intime qui nous occupe ici. La cassette dont il est question et ses 54 minutes d’images n’ont rien d’ordinaire.
En particulier huit courtes minutes au milieu, qui marquent le point de non-retour. Le point de non-retour pour les médias, pour les célébrités, pour le public, pour Internet. Un carrefour géant sans choix et sans marche arrière possible, dans lequel la société s’est jetée à corps perdu. Deux icônes à différents niveaux de leur carrière cristallisent à elles seules ce virage pris à pleine balle.
Un coup d’œil furtif au titre de cette minisérie, Pam & Tommy, suffit à bon nombre d’entre nous pour savoir de quoi il retourne. Session de rattrapage : Pam, c’est Pamela Anderson, modèle et actrice canadienne en pleine ascension au milieu des années 1990, star d’Alerte à Malibu en quête de crédibilité. Tommy, c’est Tommy Lee, batteur du groupe californien culte de hard rock Mötley Crüe, rockstar décadente idolâtrée, en perte de vitesse après une large décennie furieuse d’excès, de conquêtes, de succès astronomiques.
Vengeance et Internet
Dans cette croisée des chemins, la blonde pulpeuse et souriante rencontre dans un club le brun ténébreux et mégalomane. Dire que la foudre a frappé est un euphémisme. Ces deux-là étaient destinés à s’unir pour s’imposer à la face du monde comme des divinités. La passion et la sensualité les animent sans limites jusqu’à filmer, un jour comme un autre, leurs ébats. Une cassette vite rangée dans le coffre-fort de Tommy, plein d’armes à feu. Alors qu’il fait refaire une partie de sa demeure pour créer un nid d’amour à la démesure de son couple, Tommy vire les ouvriers, excédés par ses sautes d’humeur, ses excentricités, ses nouvelles requêtes constantes.
Rand Gauthier, charpentier et ancien acteur porno raté, revient sur le chantier après avoir oublié sa boîte à outils. Il se fait prendre en joue par un Tommy hors de lui, à moitié à poil, gros tatouages apparents, qui le chasse violemment. L’artisan décide de se venger et de préparer pendant plusieurs mois un cambriolage pour voler le coffre du couple, sans savoir ce qui s’y trouve. À la découverte de la cassette, il en diffuse des copies par Internet, univers alors balbutiant mais en pleine explosion.
Pam & Tommy raconte donc cette sulfureuse et excessivement médiatisée affaire de la sextape de Pamela Anderson et Tommy Lee. La minisérie de huit épisodes diffusée sur Disney + était ultra attendue. Elle s’attaque à ce mythe fondateur cruel de notre époque qui, aujourd’hui, commence à peine à questionner sa voracité. Mais – et là réside la grandeur de cette création –, dans cette vision du gigantesque scandale, c’est l’intimité qui compte, scrutée par le minuscule trou de la serrure.
Peu de personnages principaux composent la galerie présentée. L’acteur Seth Rogen (connu pour ses collaborations avec Judd Appatow, roi de la nouvelle comédie américaine des 15 dernières années) prête avec aisance ses traits à Rand Gauthier, looser pieux humilié en mal de reconnaissance, débile inconscient finalement attendrissant. Sebastian Stan brille dans la peau de Tommy Lee, le physique sec, l’attitude nerveuse. Il électrise d’une énergie aussi pure que toxique, le rock dur dans les veines et dans le regard. Lily James, elle, éblouit en Pamela Anderson. Elle canalise une grande partie des enjeux de la série : montrer une actrice pourtant talentueuse sans cesse ramenée à un corps appétissant, une femme solaire, sensible, intelligente, sans cesse rabaissée, une victime dévastée, transformée en coupable. Qui n’aura malgré tout jamais perdu une sorte de candeur originelle hypnotisante.
Étalon légendaire et objet sexuel
Cette vidéo, dont on trouve encore des extraits en quelques clics sur Internet, a fait de Tommy Lee un étalon légendaire (ce qui suscitera une ambivalence de sa part), et de Pamela Anderson un objet sexuel, alors qu’elle aurait pu commencer à percer au cinéma, ce qui n’arrivera jamais. Pour démonter ces auras involontaires, Pam & Tommy humanise ses personnages et ne tombe jamais dans l’écueil de la sacralisation ou de l’hagiographie.
C’était déjà la grande réussite du réalisateur, Craig Gillepsie, avec le frappé Moi, Tonya – histoire vraie (encore) de cette exceptionnelle championne de patinage artistique prête à tout pour nuire à sa rivale –, dans lequel joue d’ailleurs déjà Sebastian Stan en petit ami excessif ; les deux, donc, habitués au souffre et au scandale. Et c’était celle de l’auteur Robert Siegel, au scénario il y a quelques temps du film décalé Le Fondateur, sur la naissance de McDonald’s, habitué donc à traiter le hors-sol avec distance et humanité.
Ensemble, ils forment un merveilleux duo dont le fruit, aux allures parfois de thriller, est formidable de rythme, de fluidité, de nerfs. Mise en scène frontale et crue à l’appui. En témoignent les nudités et cette scène déjantée dans laquelle Tommy Lee parle à son pénis, personnification de sa conscience. Avec, encore heureux, une BO 90’s parfaite.
Rock’n’roll, sexe, intimité, passion, obsession… Le cocktail parfait pour dépeindre en creux une époque charnière et mener une charge crue contre le sexisme et la réification des femmes par la pop culture.