Décryptage

Mais pourquoi le Louvre fascine-t-il encore (et toujours) les réalisateurs ?

09 décembre 2025
Par Boris Szames
Shirine Boutella dans “Belphégor”.
Shirine Boutella dans “Belphégor”.

Diffusée sur HBO Max le 11 décembre, la minisérie Belphégor dépoussière un roman paru en feuilleton dans la presse au début du XXe siècle et confirme l’intérêt vivace des showrunners français pour le Musée du Louvre, institution patrimoniale et intarissable réservoir à fictions.

Un seul artefact vous manque et tout est dépeuplé. Que faire quand une pièce d’une valeur inestimable a été dérobée au nez et à la barbe de tous dans le musée qui vous emploie ? Quand vous vous réveillez en sa possession sans pouvoir vous disculper ? Ces questions vertigineuses se bousculent dans le crâne d’Hafsa Moreau (Shirine Boutella), jeune restauratrice d’art soupçonnée d’avoir subtilisé le masque d’un dieu biblique à la faveur d’une panne informatique dans Belphégor, troisième adaptation sérielle du roman homonyme d’Arthur Bernède, paru dans Le Petit Parisien en 1927. S’il ne flirtait pas avec le fantastique, le scénario aurait pu être celui de l’un de ces braquages sans bavure qui jalonnent l’histoire criminelle du plus grand musée du monde.

Un crime fascinant

Comment s’étonner dès lors d’avoir vu le fantôme du Louvre revenir hanter Internet peu après le vol des bijoux de la couronne de France dans la Galerie d’Apollon, au petit matin du dimanche 19 octobre 2025 ? La séquence virtuose de huit minutes top chrono a été fignolée jusque dans les moindres détails. Une échelle, deux disqueuses, des gilets fluorescents et adieu veau, vache, cochon et diadèmes.

Shirine Boutella dans Belphégor.©HBO

Du fric-frac dans les règles de l’art que l’on croirait inspiré par le premier épisode de la série Netflix Lupin avec Omar Sy. Ou, plus récemment, de la virée nocturne au Louvre des trois sœurs chapardeuses de Cat’s Eyes, diffusée sur TF1 l’an dernier.

Auditionnée par la commission de la Culture du Sénat quelques jours après le « braco », la ministre de la Culture Rachida Dati a pointé du doigt une « faiblesse » du système de vidéosurveillance similaire à celle décrite dans le Belphégor revu et corrigé par Jérémy Mainguy.

Cat’s Eyes a été diffusé le 11 novembre 2024 sur TF1.©TF1

Les précédents se comptent sur les doigts d’une main. Citons par exemple la disparition crapuleuse d’un tableau de Jean-Baptiste-Camille Corot, jamais retrouvé depuis 1998. « Mine de rien, le cinéma influence beaucoup de malfrats », résume un twittos, goguenard. Mais pas que. Les succès fracassants de Lupin, Cat’s Eyes et la résurrection à brûle-pourpoint de Belphégor témoignent d’une fascination encore vivace des showrunners pour le plus grand musée du monde.

L’endroit de Paris où l’on s’ennuie le moins

Qu’il est aisé de se perdre parmi les 35 000 œuvres exposées sur les quelque 73 000 mètres carrés du Louvre. De laisser son imagination vagabonder d’une toile à l’autre ou le nez plongé dans l’histoire d’un musée dont le nom renferme une étymologie incertaine. Le Louvre renvoie-t-il aux loups (lupis, en latin) qui furetaient dans la campagne francilienne au Moyen-Âge ?

Vincent Elbaz et Aure Atika dans Belphégor.©HBO

À l’argile rouge (rubra) exploitée dans les trois fabriques de tuiles situées à l’emplacement de l’actuel jardin des Tuileries ? Ou à l’une des dix tours de guet (lower en saxon) de l’emplacement originel du château fort bâti par Philippe Auguste en 1190 pour défendre la Seine ? Autant de pistes narratives auxquelles s’abandonner. On comprend mieux pourquoi Baudelaire décrivait à sa mère le Louvre comme « l’endroit de Paris où l’on peut le mieux causer ; c’est chauffé, on peut y attendre sans s’ennuyer ».

En sus d’y être exposés, les artistes y furent accueillis à bras ouvert par Henri IV dès 1609, pension et logement compris. Durant deux siècles, le badaud pouvait se procurer leurs créations dans des échoppes installées sur l’actuel emplacement de la Cour carrée. Un squat à ciel ouvert où le bandit bien-aimé Cartouche (immortalisé au cinéma sous les traits de Jean-Paul Belmondo), dit-on, aurait vendu le butin de ses rapines.

Belphégor.©HBO

Quelques décennies plus tard, Napoléon, triomphant, rapportait à l’ancien palais royal des œuvres d’art spoliées à l’Italie sur ordre du Directoire. « En tant que nation libre qui s’était libérée de la tyrannie de la monarchie, la France estimait qu’elle pouvait s’emparer de ces chefs-d’œuvre de l’Antiquité et de la Renaissance, qui étaient aussi le fruit de régimes libres et démocratiques », éclaire l’historien de l’art Valter Curzi au micro de France 24. Une économie de prédation au cœur de la fabrique de fictions en série.

La vengeance dans la peau

[Spoiler alert] La question de la justice « restitutive » irrigue la nouvelle mouture de Belphégor, à l’intersection du revenge movie et du thriller fantastique. Sous la pyramide d’Ieoh Ming Pei, on se dispute la possession du masque acquis dans des circonstances troubles. L’enjeu est autre dans la première adaptation de Claude Barma (à cette heure, la plus célèbre dans l’histoire de la télévision française) pour l’ORTF en 1965 : meurtres, occultisme, passages secrets… La série baigne dans l’atmosphère surnaturelle, à la croisée du feuilleton, de l’histoire et de la légende.

Belphégor ou le fantôme du Louvre est un feuilleton en quatre épisodes sorti en 1965.©ORTF

Selon une lecture alternative, le fantôme du Louvre renverrait à un personnage emblématique du folklore du Louvre, Jean L’Écorcheur, alias le Petit Homme rouge, qui, écorché à la demande de Catherine de Médicis, serait revenu d’entre les morts pour tourmenter la reine et sa descendance. Une soif de vengeance qui habite aussi Assane Diop dans Lupin.

Inspiré par le gentleman cambrioleur né sous la plume de Maurice Leblanc, le personnage entreprend de venger son père, soupçonné d’avoir dérobé un collier de Marie-Antoinette 25 ans auparavant. Le pilote le montre en train d’orchestrer le vol dudit bijou sous l’identité de Paul Sernine, anagramme d’Arsène Lupin, lors d’une vente aux enchères au Louvre.

Omar Sy dans Lupin.©Netflix

Vengeance encore et toujours dans le sixième épisode de Cat’s Eyes, où les sœurs Tamara court-circuitent le système de sécurité du musée pour dérober une toile ayant appartenu à leur père, galeriste dont la boutique a mystérieusement disparu dans les flammes.

Plus que l’histoire et ses recoins secrets, la question de la justice travaille au corps les auteurs de séries inspirées par le Louvre. Mais pas que. Ce serait minorer la prégnance du réel qui ne manque pas de se rappeler à eux, souvent par hasard. Selon les informations communiquées par Netflix, Lupin aurait regagné en popularité entre le 17 octobre et le 19 octobre, jour du casse des bijoux de la couronne…

25€
31€
En stock
Acheter sur Fnac.com

À lire aussi

Article rédigé par