De ses débuts avec The Birthday Party jusqu’à ses albums les plus cultes avec les Bad Seeds, Nick Cave a depuis longtemps gravi toutes les marches menant au panthéon du rock. Mais c’est bien en concert que l’Australien aux cheveux gominés devient ce prêtre possédé capable de transformer un simple récital en messe électrique. Live God, neuvième album live à paraître le 5 décembre, confirme, encore une fois, cette prophétie.
« Je suis un vieil homme de 62 ans, j’ai pleuré pendant tout le concert », « Probablement le dernier véritable poète du rock encore vivant », « Voir Nick Cave en live a été ce que j’ai vécu de plus proche d’une véritable expérience spirituelle. » Un rapide parcours des commentaires YouTube accompagnant chacune de ses prestations suffit à s’en convaincre : aucun Pape ne peut rivaliser avec la puissance d’un concert de Nick Cave. À 68 ans, il est plus que jamais capable de convertir les foules à cette drôle de religion faite de sueur, de riffs et de larmes sur le piano.
Vivre le live comme une cérémonie
L’album Live God, résumé de la tournée mondiale de Nick Cave entre 2024 et 2025, en est encore une fois la preuve écrasante. Le titre du disque, lui-même, ne ment pas : il est ici question de foi, de rédemption, de transformation des doutes de l’homme en alléluias collectifs. Et le simple fait que le crooner ait placé tous les titres de son dernier album studio sur cette version live, agrémentée toutefois de rares goldies (From Her to Eternity, Papa Won’t Leave You Henry ou la beauté absolue que reste Into My Arms) en dit long sur le statut actuel de l’Australien : au crépuscule de sa vie, Nick Cave peut transformer l’eau en vin, ses nouvelles chansons en psaumes et les concerts en communions intenses, où le second degré de TikTok n’a pas sa place. Un miracle qui ne vient évidemment pas de nulle part.

Destin biblique
Si chacun de ses concerts se joue à guichet fermé, si son passage à l’Accor Arena Paris a traumatisé des milliers de spectateurs, c’est avant tout parce que Nick Cave vit ses concerts comme une catharsis XXL.
Les drames et les ups & down ? La routine pour celui qui a perdu son père à seulement 21 ans, deux de ses sept enfants (en 2015 puis en 2022) et même récemment une ancienne compagne (Anita Lane). La place de la religion sur cette autoroute du deuil ? Essentielle. Bien avant d’être successivement en couple avec Kylie Minogue et PJ Harvey, l’Australien a chanté très jeune comme enfant de chœur dans une cathédrale anglicane. Et après s’être détourné de Dieu pour goûter aux joies du sex, drugs & rock’n’roll, il y est finalement revenu par la force des choses à la soixantaine, comme une boussole l’éclairant dans ces concerts aux allures de longues nuits.
Son livre d’entretien Faith, Hope & Carnage, publié en 2022, marquera de ce point de vue sa réconciliation définitive avec la religion. Après tout cela, le nom de son dernier album en date, Wild God (dieu sauvage) se lit facilement comme de la fumée blanche au Vatican après un conclave.
L’album live : une espèce en voie de disparition
À la question de savoir qui publie encore des albums live en 2025, on serait tenté de répondre : personne ! Pur anachronisme hérité des années 1980, l’album live est devenu le parent pauvre de la musique commerciale – même Taylor Swift n’a plus osé depuis son Live From Paris en 2023. Nick Cave, lui, persiste et signe. Et ça se comprend : 40 ans après ses débuts, il reste l’un des artistes live les plus acclamés. Selon l’agrégateur d’avis de concerts LiveRate, il figure dans le top absolu des meilleurs performers, avec un score de 100 % d’avis positifs de la part des spectateurs.
Qui plus est, sa capacité à traverser les âges sans perdre de son intensité (voire en l’amplifiant) lui donne une légitimité rare dans le rock. Sur Live God, les applaudissements et silences traduisent parfaitement cette fusion avec un public ravi de tomber dans le piège du gospel comme rituel et du concert comme baptême. Même pas besoin d’avoir les images, Nick Cave est devenu un James Brown en toge blanche : on l’imagine zigzaguer entre la scène et le public, serrer des mains, tendre un micro à un fan comme un gourou distribuant des salutations.

Nina Simone et un chewing-gum
Quant à ses influences scéniques, tout en haut, un nom brille bien fort : celui de Nina Simone. Comme lui, l’Américaine a brûlé la chandelle par les deux bouts. Et, comme lui, elle vivait chaque représentation scénique comme la dernière. Autant dire que les deux étaient donc faits pour se rencontrer. Ce qui est arrivé en juillet 1999, quand Nick Cave a invité la légende du soul-jazz à se produire à Londres pour un concert d’anthologie… mais pas pour les raisons qu’on croit.
Si l’Australien confie dans le documentaire 20 000 Days on Earth (2014) que « Nina Simone est extrêmement importante pour lui et que sa prestation ce soir-là fut un modèle qu’il aspire depuis à reproduire », le concert sera aussi l’occasion pour Warren Ellis, acolyte musical de Cave, de récupérer ledit chewing-gum collé par Simone sous son Steinway. La précieuse quoique gluante relique sera conservée pendant une quinzaine d’années, jusqu’à ce que le pape du rock ait l’idée d’exposer le chewing-gum lors d’une exposition au Danemark.
Comme quoi, aussi géant soit-il, même Nick Cave peut avoir des idoles qui collent à ses semelles. Et dessous, comme avec les Swifties de Taylor, on retrouve désormais des milliers, voire des millions de fans prêts à le suivre dans chacune de ses quêtes mystiques. Le paradis, lui, attendra encore un peu.