Critique

La voix de Hind Rajab : lutter contre l’oubli

26 novembre 2025
Par Lisa Muratore
“La voix de Hind Rajab”, en salle le 26 novembre 2025.
“La voix de Hind Rajab”, en salle le 26 novembre 2025. ©Jour2Fête

Lauréat du Lion d’argent à la Mostra de Venise, La voix de Hind Rajab est l’un des plus grands films de 2025. Kaouther Ben Hania y suit le Croissant-Rouge palestinien alors que le centre d’appels reçoit un coup de téléphone d’une petite fille coincée dans une voiture, sous les tirs israéliens à Gaza.

Sa projection avait fait l’effet d’une onde de choc durant la Mostra de Venise en septembre dernier. À tel point que plusieurs critiques voyaient dans La voix de Hind Rajab le futur Lion d’or. Si le film de Kaouther Ben Hania est finalement reparti avec le Lion d’argent, il a largement remporté l’adhésion de son public et récolté l’une des plus longues standing-ovation du festival, cette année, avec 23 minutes d’applaudissements.

Il faut dire que La voix de Hind Rajab est l’un des films les plus bouleversants de l’année. Produit par le couple Joaquin Phoenix et Rooney Mara, il suit les bénévoles du Croissant-Rouge palestinien, un centre d’appels d’urgence. Un jour, l’un d’eux reçoit un coup de téléphone : il s’agit de Hind Rajab, une petite fille de 6 ans coincée dans une voiture sous les tirs israéliens à Gaza. Alors qu’elle implore qu’on vienne la secourir, les bénévoles, tout en la gardant en ligne, vont tout faire pour envoyer une ambulance.

La bande-annonce de La voix de Hind Rajab.

Entre fiction et réalité

Basé sur les véritables appels de l’enfant aujourd’hui décédée, le long-métrage nous embarque dans un huis clos haletant. Sans jamais montrer l’horreur du massacre en cours à Gaza ni les décombres de l’enclave, l’action qui se déroule à travers le combiné fait pourtant surgir les images du conflit israélo-palestinien jusqu’à un point de non-retour qui fait basculer la fiction dans le documentaire. Un procédé que connaît bien la cinéaste révélée par Le Challat de Tunis (2014) et Zaineb n’aime pas la neige (2016).

Grâce à sa mise en scène, la réalisatrice à qui l’on doit aussi Les filles d’Olfa (2023) s’essaie à un mimétisme bluffant dans certaines séquences brisant la barrière entre le film et le reportage, afin de rendre compte de l’urgence à Gaza. Colère et impuissance s’emparent alors du spectateur à mesure que le film défile devant nos yeux, mais surtout à mesure que l’on devine la longue agonie de la petite Hind.

La voix de Hind Rajab. ©Jour2Fête

Inspiré de son histoire vraie – son meurtre aux côtés d’une partie de sa famille par l’armée israélienne en janvier 2024 – et de l’attaque de l’ambulance censée venir la sauver, La voix de Hind Rajab est un film important et politique sur les dommages collatéraux et le destin des enfants victimes de la guerre. Sa démonstration, tout comme son propos, en font une œuvre de mémoire qui replace la voix des plus jeunes au centre de l’action. Une voix qui devient un véritable outil scénaristique à travers lequel chaque mot est tour à tour une lueur d’espoir ou une menace.

C’est aussi un argument émotionnel au service d’une radicalité comme le cinéma en produit peu. Sur le tournage, les acteurs ont dû jouer face à la vraie voix de Hind Rajab, mais aussi reproduire les paroles des secouristes qu’ils interprétaient. Un travail de partition immense au service d’un devoir de conscience qui brouille les pistes entre jeu et reconstitution.

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Avec ce quatrième long-métrage de cinéma, Kaouther Ben Hania offre une œuvre politique qui utilise la fiction pour parler de la réalité de notre époque. Sans jamais tomber dans le piège du sensationnalisme, la réalisatrice présente la guerre par le prisme de la mémoire et de l’émotion, en dressant le portait d’une génération sacrifiée, à travers l’image de Hind Rajab. Grâce à une démonstration méticuleuse ne choisissant jamais entre fiction et documentaire, la réalisatrice propose un film puissant et intime qui lutte contre l’oubli.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste