Critique

Dossier 137 : après La nuit du 12, le nouveau thriller percutant de Dominik Moll

19 novembre 2025
Par Diane Lestage
Léa Drucker dans “Dossier 137”, en salle le 19 novembre 2025.
Léa Drucker dans “Dossier 137”, en salle le 19 novembre 2025. ©Fanny De Gouville

Sept ans précisément après le mouvement des Gilets jaunes, le réalisateur de La nuit du 12, Dominik Moll, porte à l’écran un dossier de l’IGPN, la police des polices, après un tir de LBD qui a blessé un jeune manifestant et le récit d’une policière qui essaie de bien faire son travail en cherchant les responsables parmi ses collègues. Poignant.

Très rapidement, les films documentaires se sont emparés du mouvement des Gilets jaunes, embarquant leur caméra en plein cœur de cette insurrection sociale imprévue. Ils témoignaient d’une actualité brûlante, racontant un pays fracturé, des Champs-Élysées aux ronds-points occupés, entre l’hyperviolence des affrontements avec les forces de l’ordre et les instants de joie du collectif.

Parmi eux, J’veux du soleil de Gilles Perret et François Ruffin, Un pays qui se tient sage de David Dufresne, mais aussi Un peuple d’Emmanuel Gras, Boom boum de Laurie Lassalle, ou le plus fantasque docufiction Les rendez-vous du samedi, d’Antonin Peretjatko. Seule la réalisatrice Catherine Corsini avait jusqu’à présent évoqué cette crise politique désormais historique par la fiction dans La fracture, en 2021. 

De nouveau, cet automne, c’est par le prisme de la fiction que les Gilets jaunes s’immiscent sur nos écrans. D’un côté, le drame social Les braises de Thomas Kruithof dans lequel Virginie Efira incarne une militante. De l’autre, Dossier 137, le tant attendu nouveau film de Dominik Moll – trois fois césarisé pour La nuit du 12 en 2023 (meilleure réalisation, meilleur film et meilleure adaptation) –, qui marquait son retour en compétition au Festival de Cannes en mai dernier.

La nuit du 8

Comme dans La nuit du 12, il est question d’une nuit où la vie d’une jeune personne va basculer. Une nuit qui fait d’elle une victime, un dommage collatéral de notre société contemporaine. Ici, c’est celle du 8 décembre 2018, celle où Guillaume Girard, venu de Saint-Dizier pour manifester joyeusement en famille sur les Champs-Élysées, est injustement touché au crâne par un tir de LBD. Si le film retrace son parcours grâce à des vidéos filmées au téléphone portable par son beau-frère, qui ponctuent le récit, Dossier 137 adopte le point de vue de Stéphanie, policière à l’IGPN (Inspection générale de la police nationale), la police des polices, chargée entre autres de surveiller les opérations de maintien de l’ordre pendant cette période de crise nationale.

Incarnée par Léa Drucker, elle est présentée, à l’ouverture du film, à son bureau, menant un interrogatoire implacable face à un policier pris en flagrant délit lors d’une manifestation. Stéphanie veut bien faire son travail, celui de trouver des responsables, de combattre l’impunité et de rendre justice. Un personnage pas si éloigné de celui que Drucker interprétait dans L’intérêt d’Adam de Laura Wandel, sorti en septembre dernier : une infirmière obligée de braver sa hiérarchie et la précarité d’un système pour aider un enfant en malnutrition et sa jeune mère. 

Léa Drucker dans Dossier 137. ©Fanny De Gouville

Coécrit avec son camarade de toujours, Gilles Marchand, ce nouveau scénario de Dominik Moll était l’occasion pour le tandem d’aborder ce service particulier de la police française, que le cinéma nous montre pour la première fois de l’intérieur tout en remettant sur le devant de la scène un mouvement rapidement effacé par la crise du Covid, sans que les fissures sociales n’aient été colmatées. En évoquant les policiers et les Gilets jaunes, le réalisateur part d’un constat simple, celui des mêmes origines sociales qui les lient. Et ces deux identités coexistent chez Stéphanie sans aucun manichéisme. Quand celle-ci découvre que Guillaume Girard et sa famille sont originaires de Saint-Dizier, comme elle, l’affect prend-il le dessus ? C’est ce que pense sa hiérarchie, qui ne la soutient pas dans cette quête de vérité. 

L’humain au centre 

Plus naturaliste que les précédents films du cinéaste, Dossier 137 alterne entre l’aspect statique de la bureaucratie, appuyé par l’usage de plans fixes, et un montage rythmé par les procès-verbaux des policiers interrogés. Face à ces derniers, bien entraînés à répondre aux questions de l’enquêtrice et rabâchant qu’on leur a demandé de participer exceptionnellement à l’effort de guerre pour sauver la République, le point de vue de Stéphanie est renforcé par l’humanité que le film lui donne en la sortant de son bureau.

Mère d’un garçon d’une dizaine d’années qui cache le métier de ses parents, car « personne n’aime la police », fille d’une mère qui ne comprend pas très bien son travail et préfère regarder des vidéos de chats plutôt que la violence des actualités, ex-femme d’un brigadier des Stups qui n’accepte pas qu’elle enquête sur des collègues plutôt que sur des criminels… Ces différentes identités renforcent l’identification proche du personnage joué par Drucker et nous implique dans l’investigation menée pour obtenir une forme de vérité.

La bande-annonce de Dossier 137.

En recréant ainsi un fait divers fictionnel, mais inspiré de la réalité des événements de 2018 et des bavures policières courantes, Dominik Moll ne nous épargne aucune violence de la réalité. Pourtant, il prend bien soin de contre-balancer la tonalité du film avec des touches d’humour nous rappelant que ce n’est pas un simple dossier.

Dossier 137 met en évidence des inégalités persistantes, des territoires délaissés par les pouvoirs publics, des institutions déconnectées du terrain, des services publics asphyxiés par le manque de moyens… Profondément humain, il se révèle un film politique nécessaire et impactant. Comme une tentative de réconciliation, ou une main tendue, portée par une comédienne décidément toujours magistrale et qui saura convaincre celles et ceux qui avaient été emportés par la précision et la tension de La nuit du 12.

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