L’adaptation de la comédie musicale Wicked avec Cynthia Erivo et Ariana Grande-Butera réussit son pari grâce à son histoire touchante, ses morceaux entraînants et, surtout, ses deux actrices incroyables.
Dire que Wicked au cinéma était attendu est un euphémisme. Dans les tuyaux d’Hollywood depuis plus de 20 ns dans le sillage du succès de la comédie musicale à Broadway, l’adaptation sur grand écran du musical s’est faiteattendre. Les films inspirés des planches se sont multipliés ces dernières années, mais la question revenait sans cesse à quand le tour de Wicked
Après une production marquée par une pandémie et une grève des acteurs, le film de Jon M. Chu sort enfin sur grand écran et parvient, dans un équilibre délicat, à adapter la pièce avec le plus grand respect, tout en développant un univers foisonnant et coloré qui ne demande qu’à s’étendre. Une réussite.
Wicked est à l’origine un livre inspiré d’un autre livre. En 1996, Gregory Maguire propose une nouvelle itération du pays d’Oz basée sur la célèbre série littéraire du Magicien d’Oz de L. Frank Baum. Dans Wicked : la véritable histoire de la méchante sorcière de l’Ouest, Gregory Maguire explique les origines de la célèbre sorcière verte, en développant sa jeunesse aux côtés de la bonne sorcière Glinda.
Le livre est ensuite transposé des pages à la scène par le compositeur emblématique de Broadway, Stephen Schwartz, à partir de 2003, à New York. En donnant un autre point de vue au Magicien d’Oz – les événements de Wicked se passent avant puis en parallèle de cette intrigue —, le musical est parvenu à créer une nouvelle mythologie, marquée par la relation touchante des deux protagonistes et par ses morceaux cultes, dont le célèbre Defying Gravity.
Sur grand écran, le réalisateur Jon M. Chu (Crazy Rich Asians, D’où l’on vient…) conserve la trame initiale, mais opère un changement majeur son adaptation se fait en deux parties, et le premier film (qui ne se base donc que sur le premier acte) dure 2h41, soit la durée totale de la comédie musicale.
C’est à la fois la grande force et la limite de ce Wicked version cinéma. En prenant le temps de développer les personnages, les interactions et les péripéties rencontrées, Jon M. Chu investit pleinement son média, mais ne s’empêche pas, par moments, quelques longueurs. Heureusement, tout passe par la relation forte et touchante d’Elphaba et de Glinda, les deux personnages principaux.
Wicked a beau être une fresque basée sur la magie et sur un univers fantastique, c’est avant tout une grande histoire d’amitié. Elphaba et Glinda, obligées de co-exister ensemble à l’université de Shiz malgré leurs différences, vont apprendre à se connaître et à s’aimer inconditionnellement. C’est la base de Wicked. Montrer la véritable histoire derrière la haine des habitants d’Oz à l’encontre de la méchante sorcière dans Le Magicien d’Oz – le film commence à un moment précis de l’intrigue avant d’opérer un flashback. Elphaba, jeune fille à la peau verte méprisée pour son apparence face à Glinda, jeune fille parfaite à la popularité absolue.
La révélation Ariana Grande-Butera
Pour tenir les rôles complexes d’Elphaba et de Glinda, Cynthia Erivo et Ariana Grande-Butera s’affirment et délivrent deux prestations remarquables. Si Cynthia Erivo apporte au rôle d’Elphaba une touche unique en étant seulement la seconde femme noire à incarner la sorcière – après la comédienne Alexia Khadime dans le West End, à Londres –, Ariana Grande-Butera est la grande révélation du film. Impliquée à l’extrême dans ce rôle qu’elle convoite depuis des années, la chanteuse et actrice démontre à la fois de son talent comique tout en confirmant sa capacité vocale déjà connue. Par ailleurs, la chanteuse fait preuve d’une émotion sincère lors des échanges plus intimes.
Ensemble, les deux actrices créent une alchimie bouleversante. Si Wicked est un film souvent joyeux et entraînant, certaines scènes entre les deux héroïnes touchent en plein cœur et l’âme de Wicked réside bien dans cette approche très premier degré de leur amitié. Dès que la carapace est perçce, la relation entre Elphaba et Glinda ne cesse d’émouvoir, allant d’une scène de danse particulièrement réussie au climax tant attendu avec Defying Gravity.
Cynthia Erivo et Ariana Grande-Butera (comme le reste du casting) ont tenu à interpréter les chansons en direct sur le plateau lors du tournage et Wicked se démarque là-dessus à l’image des Misérables en 2015, le film de Jon M. Chu est empreint d’une authenticité à toute épreuve. Les prestations s’enchaînent, les tableaux se succèdent avec un grand soin apporté à la prestation vocale et physique. Cherchant à rendre l’univers d’Oz tangible, le film fait aussi le choix de produire des décors en dur, véritablement construits lors du tournage et permettant de gagner en crédibilité. La direction artistique de Wicked s’épargne les rendus CGI perfectibles pour miser sur le vrai.
Cela conduit à s’interroger sur la grande faiblesse de l’opus sa photographie. Lors de certaines séquences, la lumière du film empêche aux couleurs de ressortir, ou même aux morceaux de gagner en ampleur. C’est le cas notamment de l’excellent Dancing Through Life, habité par un Jonathan Bailey en grande forme, mais éclairé en contre-jour et rendant parfois difficile de tout saisir. Côté réalisation, Jon M. Chu est moins à l’aise dans le fantastique que dans la danse urbaine, et ne retrouve pas toujours l’inventivité constante de son film D’où l’on vient (In the Heights), avec une mise en scène assez simple et statique.
La musique est une nouvelle fois au centre de Wicked et le compositeur Stephen Schwartz est de retour pour orchestrer les enregistrements. Il conserve ainsi l’approche originale, tout en ajoutant quelques touches différentes à des endroits bien précis, évitant l’écueil de la copie identique. Wicked (le film),joue constamment sur cet équilibre délicat entre le respect total à la pièce et l’émancipation.
La construction du film laisse aussi penser que le monde d’Oz a vocation à être plus développé que ce qu’il est sur les planches. Grâce à la deuxième partie naturellement – qui pourrait avoir quelques morceaux inédits composés spécialement pour le film, d’après certaines rumeurs –, mais pourquoi pas également avec d’autres projets en lien avec cette adaptation. La création d’un monde de Fantasy avec son école, sa magie et sa mythologie étendue rappelle fortement Harry Potter.
Stigmatiser les marginaux
Au niveau des thèmes abordés, Wicked traite surtout d’injustice. Derrière le charme et la séduction – tous les personnages, sauf Elphaba, essayent de séduire leur monde –, le récit s’articule autour du racisme, du manque d’acceptation et de la stigmatisation des marginaux.
Derrière l’apparat, le monde merveilleux d’Oz se révèle sans pitié, fermé et fatal à tous ceux qui pourraient penser différemment. Par ses choix et sa volonté, Elphaba se rebelle et adopte sa posture de méchante sorcière. Un traitement intéressant qui offre au film des scènes poignantes et qui donne surtout envie de voir la seconde partie. Les bases sont posées, les personnages sont connus, Wicked n’a plus qu’à s’envoler encore plus haut.
L’exercice de l’adaptation de la scène à l’écran, dans le cadre des comédies musicales, a toujours été un exercice périlleux. Wicked s’en sort avec les honneurs en prenant ce qui fait la force de l’œuvre originale tout en élargissant le propos et les thèmes pour correspondre à ce nouveau format. Si le film n’a pas la maîtrise absolue et inégalable d’un West Side Story (2021) par Steven Spielberg, l’amour manifeste de Jon M. Chu et des différents interprètes permet de découvrir Oz d’une nouvelle façon, même pour les plus fervents admirateurs du musical.
Elphaba et Glinda sont similaires, mais se démarquent. Les chansons sont les mêmes, mais sont ré-rrangées, l’émotion est présente, mais elle est décuplée… Ayant la capacité de vivre par soi-même, Wicked en fait parfois un peu trop (avec sa longueur et son envie d’absolument tout étirer) et paradoxalement pas assez (plus de folie lors de certaines séquences n’aurait pas été de refus, mais pas d’inquiétude, Defying Gravity est réussi).
À Broadway, Wicked a toujours eu une place singulière classique instantané qui balaie tous les a priori dès ses premières notes en jouant la carte de la sincérité et du symbolisme.
Son adaptation cinématographique semble prendre le même chemin. Affirmation d’actrices complices et charismatiques, Wicked utilise le premier degré pour aller à l’évidence, dans ses thèmes et dans la construction de ses personnages. Touchant à l’extrême, drôle et joyeux, révoltant par son injustice, entraînant grâce à sa bande originale toujours aussi incroyable, Wicked est tout ça et un peu plus encore. Le monde d’Oz revit, plusieurs décennies après le classique de Victor Fleming Le Magicien d’Oz (1939) et rappelle à quel point les histoires, même les plus fantastiques, ont besoin de retourner parfois à l’essentiel les sentiments humains. Wicked n’en manque pas.
Wicked, de Jon M. Chu, avec Cynthia Erivo, Ariana Grande-Butera, Jonathan Bailey et Jeff Goldblum, 2h41, au cinéma dès le 4 écembre 2024.