Tout le monde n’aura pas son quart d’heure de célébrité, même sur les réseaux sociaux. Pas assez belles, pas assez riches, pas assez drôles ou talentueuses, de plus en plus de personnes se rendent compte qu’elles ne sortent pas du lot. Certaines complexent, d’autres décident au contraire de revendiquer une vie simple et ordinaire.
Se revendiquer « basique », « moyen » ou « normal » sur les réseaux sociaux peut paraître étrange. Le but n’est-il pas de faire le plus de likes, d’avoir le plus de commentaires ? D’après Eleanor Ross, qui a publié Good Enough: the Myth of Success and How to Celebrate being Average fin 2020, les gens « se protègent probablement par avance des critiques sur leur physique ou leur manque de talent. S’ils disent qu’ils sont ordinaires et que quelqu’un les accuse d’être nuls ou moches, c’est plus facile de répondre “Oui, je sais” et de retourner la blague contre l’autre, que d’être humilié. »
Une carapace contre la cruauté des réseaux sociaux
De plus, l’idéal proposé par les influenceurs est impossible à atteindre pour la majorité des gens. Beaucoup cherchent donc à se distinguer en appartenant à une communauté particulière avec son style vestimentaire, son vocabulaire, sa culture, etc. Être « basique » ou « normal » est vu comme une insulte, en particulier pour les femmes, en témoigne le hashtag #basicbitch et ses 39 millions de vues sur TikTok. Ces « connasses basiques » boivent des lattes au Starbucks, portent du beige ou ont une Fiat500. Bref, elles sont moquées parce que leurs goûts sont banals. Accepter d’être banal sur internet, c’est profiter de la vie en assumant ce qu’on aime, même si ça manque d’originalité.
Certains vont cependant plus loin en acceptant de ne pas être ambitieux et de ne pas avoir de talent particulier, ce qui dépasse la simple critique des réseaux sociaux.
Les contenus inspirants pour découvrir sa vraie passion ou devenir plus productif ne manquent pas sur Internet. Là encore, affirmer que l’on ne cherche ni la richesse ni le job de ses rêves peut surprendre, mais ce n’est pas si étonnant que cela. Surtout en période de Covid-19 : « Les gens en ont marre du travail inflexible, des longues heures de travail, des patrons désagréables. Ils cherchent un boulot qui les enthousiasme, explique Eleanor Ross. La pandémie a réellement mis en avant le fait qu’on n’a qu’une vie et qu’il faut en profiter au maximum. »
Être ambitieux et exceptionnel, cela n’a pas d’intérêt
Quand on passe des mots aux actes, cela donne des mouvements comme The Great Resignation (la grande démission) aux États-Unis, où plusieurs millions de personnes ont décidé de démissionner, certaines racontant même leur expérience sur #quittok. Elles dénoncent les salaires trop bas, la déshumanisation du monde du travail, le déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée, et une mauvaise répartition des richesses. « Il y a moins de fierté dans le travail, affirme Eleanor Ross. Par le passé, peu de personnes connaissaient le salaire de leur patron. Il y a beaucoup de cynisme et d’apathie. L’écart des richesses accentue ces mouvements. Pourquoi travailler pour rendre les riches encore plus riches ? »
Une mentalité similaire existe chez les jeunes adultes dans plusieurs pays d’Asie : le mouvement Tangping (s’allonger à plat) en Chine, la génération N-Po en Corée du Sud et la génération Satori au Japon… Là aussi, il est jugé inutile d’avoir de l’ambition, de faire des heures supplémentaires ou de consommer à outrance, puisque les salaires ne permettent pas d’accéder à la propriété ou de fonder une famille.
Refuser de courir après le succès et la perfection n’est pas seulement pour les Millenials et la génération Z, comme en témoigne Eleanor Ross : « Tous mes e-mails et lettres de lectrices viennent de femmes de plus de 50 ans. Elles disent qu’elles sont épuisées après avoir fait les tâches ménagères, s’être préoccupées de ce que les gens pensaient de leur maison, avoir eu une carrière et cherché à être la mère parfaite. Avec du recul, elles regrettent tout le travail et les efforts qu’elles ont mis dans des choses qui se sont révélées pas si importantes. »
Être ordinaire, mener une vie simple, c’est donc définir d’autres priorités : prendre soin de sa santé, passer du temps avec ses proches et apprécier les petites choses du quotidien. Pas si pessimiste, finalement.