Critique

Ni chaînes ni maîtres : un film poétique et important sur l’esclavage

19 septembre 2024
Par Lisa Muratore
“Ni chaînes ni maîtres” est attendu dans les salles de cinéma le 18 septembre.
“Ni chaînes ni maîtres” est attendu dans les salles de cinéma le 18 septembre. ©Chi-Fou-Mi Productions/Les Autres Films/StudioCanal/France 2 Cinéma

Attendu ce 18 septembre dans les salles obscures, Ni chaînes ni maîtres revient dans un film en forme de survival sur le passé esclavagiste de la France, en 1759. Un long-métrage inédit dans le paysage cinématographique, qui effectue avec poésie un essentiel travail de mémoire et de représentation. Critique.

Scénariste, Simon Moutaïrou s’essaie pour la première fois à la réalisation avec Ni chaînes ni maîtres. Pour son passage derrière la caméra, le cinéaste a choisi de raconter la fuite de Massamba (Ibrahima Mbaye Tchie) et de Mati (Anna Diakhere Thiandoum), des esclaves dans la plantation d’Eugène Larcenet (Benoît Magimel).

Alors qu’il rêve que sa fille soit affranchie, celle-ci va décider, une nuit, de quitter le cauchemar de la canne à sucre et de rejoindre une communauté vivant en liberté de l’autre côté de l’Isle de France (l’actuelle Île Maurice). Madame La Victoire (Camille Cottin), célèbre chasseuse d’esclaves, est alors engagée pour la traquer. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour. Par cet acte, il devient un « marron » et rompt le Code colonial.

En mode survie

Avec son postulat basé sur la fuite de ses personnages, Ni chaînes ni maîtres dépasse les codes du long-métrage sur l’esclavage classique. Si Amistad (1997) de Steven Spielberg, ou Twelve Years a Slave (2013) de Steve McQueen avaient des airs de blockbusters américains, entre grandiloquence patriotique et traditionalisme émouvant – presque dépassé –, le film de Simon Moutaïrou apparaît plus humble, mais tout aussi percutant. En choisissant de montrer la violence des plantations, mais surtout de donner à sa création les couleurs d’un survival, le metteur en scène offre à son histoire tension et intensité.

Grâce au récit de la survie, Simon Moutaïrou offre ainsi à son histoire un cadre authentique, particulièrement organique, souligné par une mise en scène qui ne fait aucune concession sur la brutalité de la condition d’esclave dans les plantations, l’oppression de la traque, ou encore l’hostilité de la nature dans laquelle nos personnages vont se réfugier.

Ibrahima Mbaye Tchie dans Ni chaînes ni maîtres.©Chi-Fou-Mi Productions/Les Autres Films/StudioCanal/France 2 Cinéma

De ces choix de mise en scène ressort un film d’une profondeur inédite. Plus encore, il est frontal et doté d’un important réalisme à travers lequel le réalisateur offre un discours sur l’horreur vécue par les esclaves – les châtiments, l’importance du « Code noir » à l’époque. Ainsi, dans un souci anthropologique et historique, le cinéaste choisit de ne jamais laisser la violence hors champ.

S’appuyant sur un travail de documentation poussé, Simon Moutaïrou n’édulcore rien au profit d’une exposition efficace. Il confronte aussi notre présent au passé ; un passé qui a du mal à être reconnu en France, là où les œuvres culturelles américaines, malgré un certain lyrisme, ont souvent trouvé le moyen d’épouser cette histoire obscure.

Ni chaînes ni maîtres. ©Chi-Fou-Mi Productions/Les Autres Films/StudioCanal/France 2 Cinéma

Pour autant, le réalisateur a également choisi de donner à son film une part de mysticisme. Entre convocation des esprits et songes de la nuit, le film bouscule nos croyances. Ni chaînes ni maîtres, outre le survivalisme, convoque ainsi tout le spiritualisme wolof, nécessaire à la quête de liberté de ses personnages, notamment celle de Massamba. Abandonné par les dieux, selon lui, depuis qu’il a été réduit en esclavage, notre héros va finalement retrouver le chemin de la croyance et de la dignité en quittant la plantation pour les forêts et les plages de l’Isle de France.

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Celle-ci apparaît d’ailleurs comme l’un des personnages essentiels du film. Sublimée par une photographie bleue envoûtante rappelant par moments celle de Moonlight (2016) de Barry Jenkins, elle apparaît aussi terrible que magnifique, offrant aux protagonistes qui la traversent leur lot de calvaires, mais aussi de révélations. Massamba trouvera grâce à elle le chemin de la justice et de l’estime de soi, tandis que Baptiste, par exemple (incarné par Vassili Schneider – révélation masculine récemment au casting du Comte de Monte-Cristo avec Pierre Niney), y trouvera une certaine forme de rédemption.

Affiche de Ni chaînes ni maîtres.©Chi-Fou-Mi Productions/Les Autres Films/StudioCanal/France 2 Cinéma

Ce ne sera en revanche pas le cas de sa mère, Madame La Victoire, incarnée par Camille Cottin. L’actrice de Dix pour cent (2015) trouve ici un rôle original et menaçant, loin de son registre habituel. Si certains passages, (trop) remplis de dramaturgie, ont du mal à convaincre, l’imaginaire terrifiant que son statut de chasseuse d’esclaves nourrit un personnage tout à fait passionnant, qui utilise sa foi comme réponse à tout afin de garder le contrôle sur ses fils et justifier ses agissements.

Devoir de mémoire

Ni chaînes ni maîtres apparaît ainsi comme un film hybride électrisant. Entre réalisme et spiritualisme, Simon Moutaïrou est parvenu à offrir un long-métrage puissant sur la quête de liberté et de dignité. Ce double rapport s’observe aussi dans les genres qu’utilise le film, entre le survival et le récit d’apprentissage. À travers le parcours du combattant de Massamba et de Mati, le réalisateur propose un long-métrage dense, aussi personnel qu’universel.

Bande-annonce de Ni chaînes ni maîtres.

Émotionnellement fort et porté par l’interprétation habitée de son duo d’acteurs principaux, Ni chaînes ni maîtres est aussi un film important historiquement pour la France. Première trace du passé esclavagiste du pays et du marronnage, il porte ainsi les stigmates du XVIIIe siècle qu’il est important de questionner, de représenter et de ne surtout pas oublier, particulièrement aujourd’hui.

Avec un premier film magistral et poétique, Simon Moutaïrou est parvenu à dresser un pont entre le passé dans ce qu’il a de plus traumatisant et le présent, afin de construire des icônes, mais surtout d’organiser un devoir, presque vital, de mémoire.

Ni chaînes ni maîtres, de Simon Moutaïrou avec Ibrahima Mbaye Tchie, Anna Diakhere Thiandoum, Camille Cottin, Benoît Magimel et Vassili Schneider, 1h38, au cinéma le 18 septembre 2024.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste