En dix livres haletants, tour d’horizon d’un genre qui déchaîne les passion : Le True Crime.
A mi-chemin entre le journalisme et la littérature, roman du réel où l’exigence des faits se mêle à l’exercice de style, le True Crime, mise en récit des plus célèbres faits divers, obsède les lecteurs français au point de devenir en l’espace de quelques années le genre littéraire à la mode et l’objet de toutes les convoitises, surtout à l’approche de la période estivale. Plongée morbide dans les entrailles du mal, autopsie radicale de la cruauté que sont capable d’engendrer les Hommes : le True Crime fascine parce qu’il tend un miroir douloureux sur nos passions perverses : du sang et des larmes.
| De Sang-froid, Truman Capote
L’émergence du genre est étroitement liée avec l’avènement du New Journalism, un type d’écriture journalistique faisant appel à de nombreux procédés littéraires, notamment l’utilisation de la première personne, qui implique directement l’auteur. Le journaliste devient alors le narrateur de ses propres histoires, il se plonge dans le décor et donne ses impressions subjectives. Parmi les pionniers de cette nouvelle méthode narrative figure un homme et une œuvre : Truman Capote et son magnum opus, De sang-froid.
En 1958, il découvre dans les colonnes du New York Times un fait divers qui le fascine. A Holcomb, dans le Kansas, deux jeunes truands ont tué sans aucun mobile, quatre membres d’une même famille de fermiers. Accompagné de sa fidèle amie Harper Lee, autrice culte de Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (1960), il se rend sur place pour mener l’enquête. Au terme de longs mois de recherches sur le terrain, d’entretiens avec les locaux, les forces de police et même avec les meurtriers en prison, Truman Capote dispose de plus de 8000 pages de notes. Elles se transformeront en un bijou de littérature qui plonge loin dans les entrailles du mal et questionne notre responsabilité en tant que société. D’abord publié en 1965, en feuilleton dans The New Yorker, puis l’année suivante en librairie, De sang-froid devient un classique et un best-seller écoulé à huit millions d’exemplaires.
| Le Chant du bourreau, Norman Mailer
En 1979, Norman Mailer, l’une des plus belles plumes du New Journalism publie Le Chant du Bourreau. Dans ce chef d’œuvre, il retrace l’affaire Gary Gilmore jusqu’à sa condamnation à mort. Puis, il pousse un peu son récit et raconte avec une précision glaçante qui force la réflexion, son exécution par un peloton obsédé à l’idée de lui trouer la peau.
Acclamé unanimement, le livre est couronné du Prix Pulitzer. Pour la première fois, le True Crime a le droit aux honneurs de la République des belles lettres.
| Le Motel du voyeur, Gay Talese
Une des entreprises littéraires les plus folles qu’il ait été donné de lire. Gay Talese, encore une plume mythique du New Journalism, reçoit à son domicile de New York une lettre d’un dénommé Gerald Foos. Ce dernier prétend avoir transformé son motel en “laboratoire d’observation” À travers des trous dissimulés dans les murs des chambres, il plongeait avec son épouse dans l’intimité de ses clients. Jusqu’à ce qu’il soit témoin d’un meurtre non résolu…
Pendant plusieurs semaines, Gay Talese part enquêter sur le terrain et rencontre ce voyeur pour qu’il lui confie ses notes et lui raconte son histoire. Initié en 1980, le livre ne paraît qu’en 2016. L’hurluberlu voulait rester anonyme, une chose incompatible avec l’éthique du journaliste. Il aura fallu attendre trente-cinq ans pour que l’un des deux cède et que cette histoire folle puisse voir le jour.
| L’appât, Morgan Sportes
Le fait divers a mis du temps à susciter l’intérêt des écrivains français. Longtemps relégué au rang de genre mineur, le True Crime commence à se faire un nom à partir des années 90 et c’est la publication du livre de Morgan Sportes qui lance les hostilités. L’Appât est un roman passionnant consacré à l’affaire Valérie Subra.
Il raconte par le menu un terrible procédé criminel, celui d’une jeune et belle brune de dix-huit ans qui attire des hommes dans ses filets et les offre en pâture à ses deux complices meurtriers. Le livre connaît un beau succès d’estime mais sera quelque peu effacé des annales par l’éclosion d’une autre œuvre magistrale.
| L’Adversaire, Emmanuel Carrère
Comme Truman Capote quarante-ans auparavant, c’est dans le journal qu’Emmanuel Carrère découvre l’affaire Jean-Claude Romand. Pendant dix-huit ans, chaque matin, ce mari et père de famille modèle, prétendument médecin, a fait semblant de partir travailler. Jusqu’au jour où le mensonge s’est fissuré. Le 9 janvier 1993, démasqué par un des membres de sa famille, il décide de tuer sa femme, ses enfants et ses parents, il brûle les corps et tente en vain de se suicider.
Fasciné par la normalité de celui qui a commis ce terrible acte de barbarie, Emmanuel Carrère écrit à Jean-Claude Romand. Ce n’est que deux ans plus tard qu’il reçoit une réponse du meurtrier. Il accepte qu’on écrive sur lui. A la première personne, mêlant enquête sur les faits et réflexions sur sa propre vie, l’auteur raconte son unique visite en prison pour rencontrer le tueur, son pèlerinage sur les lieux du crime et sa rencontre avec tous les acteurs de ce drame retentissant. Fort de son succès retentissant, L’Adversaire aura le droit à son adaptation au cinéma.
| Toute l’œuvre de Philippe Jaenada
Avec La Petite Femelle (2015) consacré à L’Affaire Pauline Dubuisson, La Serpe (Prix Femina 2017) sur le massacre dont a été accusé Henri Girard et Au Printemps des monstres (2021) qui revient sur l’enlèvement et le meurtre du petit Luc Taon, Philippe Jaenada est devenu le pape du True Crime à la française, un observateur hors pair des défaillances de notre société.
Et si nous étions les premiers responsables des monstres que nos sociétés fabriquent ?
| Nicola Lagioia, La Ville des vivants
Un matin de printemps 2016, Manuel Foffo, fils d’un riche entrepreneur romain, se livre à la police pour confesser un crime. Avec son ami Marco Pratto, ils ont sauvagement assassiné un homme choisi au hasard. Le corps de Luca Varani est découvert dans une mare de sang. Qu’est-ce qui a pu pousser ses deux jeunes hommes de bonne famille, prétendus hétéros, à payer un jeune homme pour du sexe tarifé et à le droguer avant de le poignarder et de le fracasser à grands coups de marteau ?
Vengeance, cruauté qui dépasse l’entendement, cas de possession, dans une hystérie générale, police, médias et badauds tentent de percer à jour ce duo diabolique qui a voulu tuer pour « voir ce que ça fait ».
| Florence Aubenas, L’Inconnu de la poste
En Février 2021, La grande plume de Libération et du Monde Florence Aubenas, l’emblème du New Journalism made in France, fait paraître L’inconnu de la Poste.
Elle y raconte caméra au poing sa plongée dans la mystérieuse affaire Gérald Thomassin, César du meilleur espoir masculin en 1990, soupçonné à partir de 2013 d’être l’auteur du meurtre de Catherine Burgod avant de bénéficié d’un non-lieu puis finalement de disparaître dans la nature le 29 août 2019. Il a fallu sept ans à Florence Aubenas pour en reconstituer tous les épisodes – tous, sauf un. Le résultat est saisissant.
| Alice Géraud, Sambre
Pendant trente ans, Dino Scala, « Le Violeur de la Sambre » a arpenté sur 27 km la même route déserte du Nord de la France à la recherche de proies. 56 jeunes filles, 56 viols aux procédés atroces commis en toute impunité avant d’être finalement arrêté en 2018, puis condamné l’été dernier à vingt ans de réclusion criminelle. Alice Géraud a patiemment déterré les procès-verbaux, relu les rapports d’enquête, rencontré des proches de l’affaire pour exposer de manière simple, clinique, sans jugements ni théories sensationnalistes, la faillite généralisée du système judiciaire. Car du monstre elle n’en a que faire.
Son livre se place du côté des victimes, de ces filles brisées qu’on aurait pu, qu’on aurait dû protéger. Si elle rappelle les obstacles technologiques à l’enquête et notamment l’absence de prélèvement ADN, elle tire surtout à boulet rouge sur une procédure qui n’a cessé de bafouer la parole des femmes. Considérées au mieux comme des menteuses, au pire comme des coupables, on ne les a jamais écoutées. Alors Alice Géraud a pris la plume pour les venger.
| Une collection : True Crime chez 10/18
Il y a un an et demi, la maison de poche a lancé, en collaboration avec le magazine Society, une série d’enquêtes en immersion au plus près des affaires criminelles les plus célèbres de l’histoire américaine.
Cette « cartographie des crimes aux Etats-Unis » compte déjà six tomes pour six États différents du pays de l’Oncle Sam. L’Affaire du Golden State killer de William Thorp, l’Affaire Alice Crimmins d’Anaïs Renevier, L’Inconnu de Cleveland de Thibault Raisse, Les Meurtres de Low Country d’Arthur Cerf, L’Affaire Emmett Till de J-M Pottier et un nouvel opus qui vient tout juste de paraître, La Disparition de Chandra Levy d’Hélène Coutard : de quoi embarquer pour un road-trip sanglant.