Critique

Those About to Die : du sang et des jeux olympiques ?

18 juillet 2024
Par Quentin Moyon
“Those About to Die”, le 19 juillet sur Prime Video.
“Those About to Die”, le 19 juillet sur Prime Video. ©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

Course dans un stadium, affrontements sous les cris du public en délire, baignade dans une eau trouble… Exit les Jeux olympiques : cette nouvelle série nous plonge dans la cruauté de l’Empire romain.

« Salut, César, ceux qui vont mourir te saluent. » Alors que le nanar de Xavier Gens, Sous la Seine, nous a déjà donné un avant-goût des Jeux olympiques de Paris qui courront du 26 juillet au 11 août et que l’on sort à peine la tête de législatives pour le moins agitées, Prime Video a flairé le bon filon : des épreuves sportives et des affrontements politiques sanglants.

Sword-and… claquettes chaussettes

Jeux olympiques, mais aussi isthmiques, pythiques, néméens, voire héréens pour les femmes… À ce lot très complet et très grec des variantes de jeux pour le peuple et par le peuple qui ont pu voir le jour dans l’Antiquité, il manque la version romaine. L’ingrédient secret de ces jeux aux sonorités plus latines ? Indubitablement, le sang. 

Those About to Die, nouvelle série de Prime Video créée par Robert Rodat [déjà à l’écriture de films comme Thor : le monde des ténèbres (2013), The Patriot : le chemin de la liberté (2000), Il faut sauver le soldat Ryan (1998)], a misé sur une libre adaptation du livre de non-fiction du même nom de Daniel P. Mannix sorti en 1958. 

Au programme ? Dix épisodes qui nous plongent dans les rues de Rome en 79 après J.-C., une époque bouillante en termes d’intrigues politiques, de conflits générationnels, de sang et de sexe. S’y exprime un multiculturalisme révélateur de l’étendue de l’Empire romain de l’époque, qui occupe l’Europe (dont la Gaule) et va jusqu’à l’Afrique du Nord, dont la Numidie, tout en poursuivant son extension plus à l’est.

On découvre de près la conception du Colisée de Rome, aussi connu sous le nom d’Amphithéâtre Flavien, initiée par l’empereur Vespasien. Un bouillonnement sociétal auquel se mêle celui du magma, l’année coïncidant avec la plus grande éruption du Vésuve connue jusqu’alors. Une immersion dans la grande histoire, qui se repose en grande partie sur du grand spectacle, épique à souhait. 

©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

L’expression « Panum et circacem » (du pain et des jeux) pourrait finalement résumer l’ambiance de la série. Ce monde de messes basses est celui de l’empereur Vespasien (Anthony Hopkins) qui, vieillissant, se trouve en proie à un dilemme de succession entre ses deux fils, Titus (Tom Hughes), un militaire gradé, et son plus jeune frère Domitian (Jojo Macari), fieffé politicien. 

Aux murmures de couloirs se mêle la grogne des « athlètes » qui s’affrontent dans une succession de courses de chars vertigineuses, de combats de gladiateurs sanglants, pour l’obtention d’argent ou de leur liberté. Sans surprise, Those About to Die s’inscrit pleinement dans le genre du péplum – ou Sword-and-Sandal (épée et sandale) en anglais. Pour réussir cette plongée dans le temps, le show a mis toutes les chances de son côté. 

©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

Filmé en grande partie dans les célèbres studios romains de la Cinecittà, qui ont déjà accueilli Rome (2005-2007) de HBO, Those About to Die mélange décors réels (en comptant notamment sur les permanents du studio, comme les espaces Roma Antica et Teatro Romano) et innovation technologique.

Un mur LED de 51 mètres de circonférence et de huit mètres de haut a, selon le superviseur des effets visuels, Peter Travers, permis de redonner vie à la capitale romaine de l’époque, tout en offrant la possibilité aux acteurs de s’immerger plus encore dans le décor. Par ailleurs, ces derniers ont pu compter sur l’expertise du designer de costumes, Gianni Casalnuovo, qui possède une certaine connaissance des péplums, lui qui a travaillé sur Ben-Hur (2016).

©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

À ses côtés, Maurizio Nardi et Mauro Tamagini, respectivement responsables du maquillage et des coiffures des comédiens, ont tâché de rendre palpable l’attention certaine que les Romains portaient déjà à leur apparence à l’époque. En plus de ces éléments caractéristiques du genre cinématographique, le show est avant tout porté par un visage : celui d’Anthony Hopkins.

Drapé d’une toge, arborant sa couronne de laurier, l’acteur octogénaire apporte son charisme et une prestance inimitable. Il est accompagné par un fin mélange de nouveaux visages comme celui de Moe Hashim (Kwame) et de comédiens et comédiennes plus renommés comme Sara Martins (Cala) ou Iwan Rheon (Tenax) qui est déjà rodé aux grandes fresques sans foi ni loi depuis Game of Thrones.

©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

En ce qui concerne le caractère épique, Those About to Die est parfaitement mis en musique par le français Woodkid qui signe notamment un générique aux sonorités assez proche de ce qu’il a pu développer dans son album Golden Age, à l’image du morceau Run Boy Run. Comme une invitation à fuir devant la série ? Une question qui s’impose, d’autant plus que les rênes ont, côté réalisation et production exécutive, été confiées à Roland Emmerich.

Si l’attribution d’un tel projet au réalisateur allemand, connu et reconnu pour ses films catastrophes [Independence Day (1996), Le Jour d’après (2004)], mais sans expérience du genre péplum, mise à part son appartenance au pays des claquettes-chaussettes (ce n’est pas nous qui le disons, mais le quotidien allemand Die Welt), questionne, c’est aussi et surtout car ce dernier a récemment enchaîné les échecs. Alors, Roland Emmerich : fausse bonne idée ?

Des films catastrophes à une série catastrophique ?

Réalisateur des épisodes 1, 2, 3, 9 et 10, Roland Emmerich, au travers de sa société Centropolis Entertainment, est aussi producteur du show.  Le « master of disaster », comme il est surnommé dans la profession, s’attaque pour la première fois au genre du péplum.

Lui qui aime plutôt mettre en scène le futur dans des films de science-fiction à grand spectacle (et à gros budget), où les explosions occupent un espace certain, doit ici retrouver ses marques avec un passé qu’il avait déjà expérimenté dans 10,000 BC (2008).

©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

Mais ici, la série se fait aussi reconstitution et se base en grande partie sur des faits historiques. Là encore, un défi de taille pour un cinéaste qui est plutôt habitué à être aux prises avec son imagination et à ne pas se soucier des anachronismes. Il s’agit enfin de travailler avec des animaux, ou encore d’endurer un tournage non plus de 90 jours pour un long-métrage, mais plutôt de 220. De nouvelles habitudes à prendre pour le réalisateur. 

Plus en odeur de sainteté du côté des productions hollywoodiennes, notamment depuis l’échec cuisant de son dernier film Moonfall (2022) qui s’est rapidement retrouvé dans la liste des plus gros ratages de l’histoire du cinéma contemporain, c’est presque par obligation que Roland Emmerich semble s’être redirigé vers un projet de série télévisée, traitant de thématiques qu’il ne maîtrise a priori pas – mais sans doute aidé par ses liens avec Robert Rodat, créateur du show avec lequel il avait déjà travaillé sur les films The Patriot : le chemin de la liberté et 10,000 BC.

©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

Malgré tout, le réalisateur habitué des blockbusters qui affirme « avoir toujours été fasciné par l’Empire romain » et « avoir toujours voulu faire un projet autour du sport » s’est retrouvé avec une juteuse enveloppe de 150 millions de dollars pour accoucher de Those About to Die.

De quoi rendre réelles ses ambitions souvent démesurées ? Ou nous proposer un nouveau crash ? Ce que l’on peut dire, c’est que le résultat est loin d’être catastrophique. Les images sont belles, les acteurs crédibles, l’action prenante et le suspense certain. La profondeur des personnages est réelle et l’on se prend à ressentir de nombreuses émotions face à ce qui leur arrive.

©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

La série propose aussi, souvent, une bonne balance entre grand spectacle et subtilité en ce qui concerne le traitement des histoires personnelles et des conflits en coulisses. Entre ce qui se passe au vu et au su de tous les spectateurs, et ce qui se trafique sous un amas de sable. De plus, les faits historiques semblent plutôt bien retranscrits.

Le réalisateur, entouré par la bonne équipe et en position d’exécutant, semble finalement plus à sa place qu’en tant qu’auteur. Enfin, si le récit est parfois provocateur, il se fait aussi porteur de valeurs positives comme la compassion, la vérité et l’humanité.

©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

Comme une réponse du réalisateur à ses détracteurs – il a été accusé de whitewashing (engager au casting d’un film ou d’une série des actrices et acteurs blancs pour incarner des personnes non-Blanches, ndlr) pour son film Stonewall (2015), mais aussi pointé du doigt par la communauté LGBTQIA+ pour Independence Day: Resurgence (2016) –, la série met en scène des relations homosexuelles et donne des rôles significatifs à des personnes racisées. Those About to Die est donc efficace. Mais est-elle vraiment innovante ?

Olympic Games… of Thrones

Le timing n’est évidemment pas anodin concernant la sortie de cette production, seulement dix jours avant le début des Jeux olympiques de Paris. Pour autant et malgré une convergence autour du sport et de la notion de jeux sportifs, ce récit ne rend pas vraiment hommage aux valeurs de l’olympisme.

Intrigues politiques kaléidoscopiques, conflits de famille, sexe, violence, provocations… Ces ingrédients sont ceux de la série de Robert Rodat, mais aussi ceux distillés par HBO dans RomeGame of Thrones (2011-2019) – qui s’est largement inspiré de la première – ou encore, dans un autre genre, Succession (2018-2023).

©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

Empreinte d’une pensée machiavélienne et donc de realpolitik, Those About to Die s’inscrit dans un courant de récits qui font la part belle au réel, donnant à voir le monde comme il est. Brut et cruel. Cependant, la série réalisée par Roland Emmerich s’adapte aussi aux changements du monde.

Quand Game of Thrones décapite les héros preux et idéalistes qui ne seraient pas assez virils (même si dans le contexte #MeToo, l’univers de George R.R. Martin s’est un peu modernisé), cette production met en valeur des femmes puissantes et certains personnages attachés à des valeurs positives. 

©Reiner Bajo/Peacock, Prime Video

Étonnant, aussi, de voir la résonance avec GoT concernant le lien que ces séries font avec notre réalité contemporaine. Ainsi, le leader du parti Podemos, Pablo Iglesias, décrivait dans son ouvrage Les Leçons politiques de Game of Thrones (2015) le show de HBO comme l’expression d’« un scénario de destruction de l’ordre civil et politique ». Au vu du contexte politique français ou américain, les luttes intestines au sein de l’Empire romain ne semblent pas moins actuelles et métaphoriques. 

Malgré tout, l’hommage semble parfois un peu trop appuyé. Alors que se lance le générique de Those About to Die, dans lequel s’épanche un liquide rouge sang entre les décors qui vont habiller les intrigues de la série, le tout rythmé par les tambours de Woodkid, on ne peut pas ne pas songer à celui de la saison 1 de House of the Dragon.

©Reiner Bajo/Peacock

Quand on voit apparaitre Iwan Rheon dans le rôle de Tenax, un homme cruel en charge des paris des jeux du cirque, on ne peut pas ne pas penser au personnage de Ramsay Bolton qu’il incarnait dans Game of Thrones. En somme, cette série est malgré tout un peu pâlotte à côté de Game of Thrones ou de Rome qui avaient su prendre le temps de dessiner des atmosphères miséreuses, des métropoles sales et putrides, crasseuses et inquiétantes. 

Those About to Die s’habille le plus souvent d’une lumière chaude – quelque part plus proche du très pop 300 (2006) de Zack Snyder – qui détonne un peu avec la froideur et la brutalité des événements proposés. Cependant, elle reste malgré tout une production efficace et divertissante. Pouce en haut, donc, avant la sortie du très attendu Gladiator 2 de Ridley Scott.

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